Chapitre 14 - Voyage (1)

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La maigre caravane passa sur la ligne de crête d'un chaîne de dune. Au loin, on pouvait appercevoir les fortifications de Tamanssaret, perdues dans un brouillard vaporeux. Les dunes du erg refletaient la couleur nacrée de ce ciel matinal. C'était beau.

L'homme bleu était devant, et à ses côtés Tarana, tous deux encore épuisés par leurs péripéties. Derrière suivaient les dix touareg soigneusement sélectionnés. Les mehara chargés d'eau.

Le programme était relativement simple. L'homme bleu avait prévu d'atteindre le Hoggar par le Sud, puis de se laisser guider par l'adorable Tarana. Lorsqu'un targui avait rétorqué qu'il était dangereux d'emprunter cette voie-là car l'armée pouvait les remarquer et les suivre, Beauvey avait répondu qu'il ne la craignait pas. Son assurance avait redonné confiance aux moins téméraires et tous s'étaient élancés à la conquête de Zerzura le cœur en paix.

Trois jours suffisaient pour atteindre le Hoggar. Et ensuite, seul le destin nous le dira.

- Tarana ? As-tu hâte ?

- Je me souviens d'une robe bleue que j'affectionnais particulièrement. Elle m'accompagnait dans toutes mes pirouettes. Je l'étendais sur la roche au faîte d'un piton et je mettais ma main au-dessus de mes yeux, regard vers le lointain. Il y avait des aigles qui survolaient les sommets en poussant quelquefois leur cri strident. Il y avait des grottes, attirantes par le mystère qu'elles renvoyaient. Il y avait parfois une pauvre edelweiss oubliée sur une aspérité glacée. Et il y avait de la joie, paix, sérénité, allégresse, puissance et grâce. Oui, j'ai hâte.

- Un jour, tu as quitté ces lieux.

- Le malheur me poursuit. Mais voilà que j'y reviens. Pourquoi ? Je ne le sais pas moi-même.

- Parce que tu as confiance en moi, Tarana, confiance et que tu m'aimes.

- Oui. Ce doit être cela. Toi aussi tu m'aimes. Et comme moi tu aimes le désert. Crois-tu que nous remporterons un jour la paix que nos cœurs espèrent avec tant de force ?

- Il n'y a pas de paix.

- Mais quand nous aurons accompli nos devoirs, nous pourons nous reposer...

- Peut-être.

Beauvey n'y croyait pas. Il disait "peut-être" uniquement pour la rassurer car il pensait que le repos n'existait pas pour tout homme qui a un tant soit peu de volonté. Alors il se tut. Mais Tarana, d'une voix émeue, ajouta :

- Nous serons heureux parce que j'ai décidé que nous pourrons l'être.

Meltiti était le pisteur du groupe. Il voulait parler au chef de l'expédition et s'était approché. Quand il entendit ce court échange, néanmoins, il hésita à s'avancer mais finit par prendre courage et s'approcha :

- Mass, si nous ne voulons pas nous faire remarquer, si près de Tamanssaret, je propose que nous accélérions.

Beauvey fronça des sourcils avant de jeter un long regard à la ville qui se dessinait dans le lointain. Il est vrai qu'ils en étaient loin mais le danger était là. L'homme bleu hésita longuement. On vit une sorte de nostalgie et de regret passer dans ses pupilles. Mais il acquiesça et sourit à Tarana.

La caravane pressa le pas. Il lui fallait être discrète. Mais il était déjà trop tard...

Montbert avait été rapidement averti de ce départ pour le Hoggar. Il avait ordonné à la caravane, prête déjà depuis la veille, de se mettre en marche. Lui et le capitaine Albret la commandaient. Une dizaine d'hommes. Deux soldats spécialisés dans le pistage, un autre dans les langues mortes et vivantes de ce pays et les derniers preux guerriers. En réalité, la constitution des deux groupes étaient identiques. Seul leur but variait.

Quant au commandant Vermet, il les avait regardé partir avec émotion et un brin d'embarras. Il se retrouvait seul ici à commander, si l'on exceptait les lieutenants de fonctions moindres. Seul face à Grandfort et la révolte. Un face à face où chacun avait assez de cartes pour sortir vainqueur. Alors tous avaient peur.

Et dans la petite caravane, on sentait leur excitation car c'était un long voyage, important et périlleux, qui commençait là. En d'autres mots : c'était l'Aventure. Il y aurait de l'action, du mystère et des sentiments... Leur hâte n'en était que plus forte.

Albret tremblait et Montbert, méprisant, l'avait remarqué. Le capitaine savait que l'instant approchait où il allait se retrouver face à Tarana. Et il en avait peur, il craignait ses passions. Tarana était précieuse, il en était fou. Un jour, il se mettrait à ses pieds et lui déclamerait sa flamme.

- En décasyllabe !
"Ô Astre Lunaire du Sahara !
" Nous nous inclinons devant ta Beauté.
"Pour ta splendeur, le monde te louera.
"Belle, viens à moi qui suis envoûté.
"Écoute mes violents palpitements.
"Vois comme je t'adule et t'idôlatre.
"Beauté, je t'aime amoureusement,
" Beauté, et ce n'est pas un simulacre.

Et tout fier, Albret se rengorgea. Il se disait :

- Elle se pâmera devant l'extraordinaire anaphore avec beauté et s'étonnera devant ces mots si recherchés : simulacre, idôlatre... Sans doute fondra-t-elle devant mon génie allié à tant d'esprit et d'amour. Ô Tarana, tu seras à moi, mon bijoux et ma flamme.

- Que dis-tu Albret ? Questionna Montbert

- Et l'on m'enviera, du commandant à... À l'homme bleu ! Rêvait le capitaine.

- Que veux-tu dire ?

- Que j'aime, ajouta-t-il toujours perdu dans ses pensées.

Le lieutenant rit, moqueur.

- Je crois que tu dérailles ! Es-tu sûr d'aller bien ? Tamanssaret n'est pas loin, il est encore temps de rentrer.

- Hein ? Quoi ? J'ai dit quelque chose ? Il faut oublier. Je songeais. Je rêvais.

Et Montbert eut un serrement au cœur, soudain empli de pitié. Mais se reprenant, il donna ordre au premier pisteur de retrouver la caravane de l'homme bleu. Il devait revenir avant la fin de l'heure pour indiquer la position exacte. Puis le second pisteur partirait avec de quoi se réchauffer et manger car il devait rester plusieurs heures, surveillant la première caravane mais visible de la seconde.

La tactique était parfaite. Si tout se passait bien, le secret de Zerzura ne pouvait que leur revenir. Mais les rêves devenaient trop rapidement certitudes dans leurs esprits, car comment trouver Zerzura... Sans Tarana ?

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant