Chapitre 2 - Tarana (2)

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Un éclat sauvage brilla dans ses deux pupilles noires et elle tourna des talons en faisant voler ses voiles. Le capitaine Albret resta longuement songeur en la regardant s'éloigner à toute vitesse. Comme beaucoup ici, il était fou amoureux. Il aurait voulu recevoir plus de Tarana. Mais on disait des choses à son sujet et son cœur épris d'amour en palpitait chaque fois qu'il la voyait.

On disait que Tarana était quelqu'un d'étrange, enfantée dans des conditions étranges et aux pouvoirs étranges. Nul ne savait d'où elle venait, ni dans quelle tribu elle avait grandi. Mais on murmurait qu'elle était fille de démon et que c'était une sorcière. Ainsi sa légendaire beauté serait artificielle, et ses dons captivants nuisibles.

Néanmoins, ce n'était que des murmures et nombreux furent ceux qui n'accordèrent pas leur foi à ces dires et qui se laissèrent prendre en ses filets. Le capitaine était de ceux-là, connaissant la légende mais trop enchanté pour se méfier de la belle sorcière.

Albret s'était assis sur une pierre à l'entrée du camp. Il soupirait en songeant à son absolu beauté, le cœur tout renversé. Finalement, il se mit à pleurer, doucement puis à grosses larmes. Il se sentait vide aujourd'hui. Sans rien, pour réconforter son âme abandonnée. Il était seul et cherchait l'amitié, peut-être l'amour. Pourquoi avait-il dû se faire violence tout-à-l'heure pour renvoyer la jolie Tarana ? Que s'était-il passé et quelle mouche l'avait piquée ? Il se croyait fou amoureux et désireux de tout faire pour son bonheur, mais par ailleurs il connaissait son devoir. Ah ! Il était seul à connaître certains secrets sur la belle sorcière, des secrets que le commandant cherchait désespérement. Albret savait que son devoir aurait été de tout divulguer à son supérieur et d'enfermer la jeune targuia dans Tamenssaret. Mais c'était déjà trop tard pour lui, il était trop amoureux.

Un soldat vint le chercher et l'avertit que le commandant cherchait à le voir. Dans le noir, le militaire ne vit pas les larmes de son capitaine et celui-ci les essuya furtivement. Peut-être que le départ de Tarana libèrerait son cœur ?

Quant à la belle targuia, elle s'était approché des bords de la ville et était entrée dans un petit appartement pauvre et étroit. À petits gestes furtifs et tout en jetant par moment des coups d'œil autour d'elle, elle avait rempli quelques sacs.

Elle allait terminer quand elle vit de la lumière au loin et une voix qui criait "Tarana !". Effarée, elle pressa le mouvement et sauta par la fenêtre avec ses sacs. Elle se tassa près du mur et attendit que les hommes passent. C'était quatre soldats. Elle les connaissait tous mais il semblait qu'ils ne fussent pas venus avec des intentions pacifiques. Elle tremblait. Les militaires fouillèrent rapidement son appartement, surpris certainement de ne l'y point trouver. Ils allaient repartir quand un des amis de la jeune fille, habitué des lieux, avisa que la pièce était excessivement vide. Les autres s'exclamèrent que la remarque était juste et hésitèrent quant à ce qu'ils devaient faire.

- Arrêtez de chercher, de toute façon elle a fui. Que voulez-vous que nous fassions d'autre ?

- Nous devrions nous assurer que son mehari est encore ici...

- Savez-vous déjà si elle en a un ? Et à quoi il ressemble ? Et où il se trouve ?

- Moi, elle me l'a dit, s'écria un soldat qui était resté muet jusqu'à présent. À moi, elle me l'a dit.

- Toi ? C'est à moi qu'elle l'a dit. C'est moi qu'elle estime le plus entre nous quatre. Son mehari est brun et installé dans l'écurie publique !

- Tu as tout faux ! Elle ne t'a raconté que des mensonges. C'est à moi qu'elle s'est confiée en m'assurant qu'elle n'avait pas de mehari !

Le sujet était futil, mais ces quatre hommes augmentèrent vite le ton et en vinrent presque aux mains. Tarana rit doucement et décida que le moment était opportun pour venir récupérer son mehari blanc, dans l'écurie derrière ses appartements. Elle grimpa lestement et prit la fuite le cœur battant.

- Ainsi, on me recherche déjà... Ont-ils découvert mon secret ? Peut-être pas, mais cela ne saurait tarder. Et alors rien ne pourra plus me protéger de l'enfer qui me tombera dessus. Rien, sauf un miracle.

Elle talonna sa monture pour accélérer le pas. Sous l'effet de la vitesse, l'un de ses voiles se détacha et tout un pan se mit à flotter dans son sillage. Ses traits apparurent, découpés par la lune. Ici, c'était une princesse orientale, abandonnée au gré des routes.

- Allons... Je ne suis point si seule ! J'ai quelques qualités qui peuvent à tout moment me sortir d'affaire !

Et elle reprit courage, tout en pousant vers le ciel un cri sauvage et victorieux. Elle pouvait être heureuse, la belle targuia.

Au matin, elle atteignit un oasis où elle savait trouver une tribu. D'abord méfiants, tous l'accueillirent généreusement lorsqu'elle expliqua la situation complexe dans laquelle elle se trouvait. L'Amghar la laissa planter sa tente en bordure de leur campement.

C'était une paisible tribu imrad qui voyageait entre le Tanezrouft et Tamenssaret. Elle entrait rarement en conflit avec d'autres tribus car elle avait toujours eu tendance à s'effacer devant les autres. Par ailleurs, cette tribu se trouvait relativement éloignée de la ville aujourd'hui. Ainsi Tarana se croyait-elle en sûreté.

Mais vers le soir, l'Amghar l'appela et lui confia avec dans la voix une sorte d'accent désespéré qu'ici les hommes blancs menaient souvent une terreur sans nom et que par trois fois déjà, ils avaient pris des otages. Aujourd'hui, il était à craindre que cela ne recommençât !

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Targuia : je ne sais pas si vous avez deviné mais c'est le féminin de targui, lui-même singulier de touareg.

Imrad qualifie les tribus touaregues nobles mais non pas au sommet de la hierarchie.

L'Amghar est le chef d'une tribu touaregue.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant