Chapitre 21 - Poison (1)

12 2 4
                                    

Les dunes de sable et le ciel bleu sombre... Cela aurait pu paraître uni, mais l'homme bleu à ce paysage voyait mille et une nuances et de multiples atraits. Cette contemplation du désert ne le lassait pas.

La caravane s'était décidée à marcher de nuit, pour éviter la fatigue aux heures les plus chaudes de la journée. Les touareg et le français se levaient vers la soir, quand l'air se rafraîchissait, et marchaient jusqu'à l'aube. Ils avaient alors l'occasion de profiter d'un spectacle extraordinaire avec une mer étoilée voguant au-dessus d'une mer ensablée.

- On s'arrête, cria l'homme bleu alors que le Soleil se levait doucement.

Les mehara s'accroupirent sur le sol pour laisser descendre leur cavalier et immédiatement tous s'organisèrent pour préparer le repas. La caravane parvenait à la fin de ses ressources mais l'homme bleu avait envoyé le deuxième pisteur rejoindre le camp des tribus rebelles pour leur demander d'apporter des vivres à Abalessa. Aussi tous, exténués, mangeaient et buvaient sans se soucier.

Tarana, jeune fille qui avait déjà beaucoup enduré, tenait le rythme essentiellement grâce à ses herbes et à ses incantations. Compatissant, l'homme bleu lui avait déjà proposé de rejoindre les autres tribus lorsqu'ils passeraient Abalessa, mais elle avait chaque fois refusé avec verve. Elle tenait à voir Zerzura. Tarana était femme du désert, étonnante sorcière qui avait maintes fois prouvé sa résistance. L'homme bleu s'était plié à sa volonté.

Au cours du repas, les regards étaient éteints et nul ne parlait. En réalité, chacun songeait au sommeil qui attendait juste après ce repas. Le cuisinier du jour ne cessait de jeter des regards furtifs un peu partout, comme pour s'assurer que le repas se déroulait convenablement. Tarana attrapait ses cuillerées de couscous par automatisme. Meltiti avait son regard plongé vers l'horizon, les yeux rêveurs à demi-plissés. Et l'homme bleu seul réfléchissait à vive allure à la route qu'ils devaient suivre. L'ambiance était morne.

Pour dormir, la caravane n'avait pas pris le luxe de se charger de tentes. Aussi chacun étendait entre son mehari et le sol un grand drap, plantait leur sabre dans le sable en guise de poteau et se glissait dessous pour la nuit.

Les heures passèrent lentement. L'homme bleu rêvait doucement, bercé par la chaleur du Soleil saharien. Une paix soudaine et bienfaisante l'avait envahi. Il en profitait pleinement car quelques heures plus tard le voyage devait se poursuivre.

Mais tout-à-coup, une main aggripa sa tunique et la serra très fort. Effrayé, le jeune lieutenant se redressa et fit tomber le voile qui le recouvrait en saisissant le sabre. Tarana le regardait avec des yeux révulsés, des gémissements et un filet de salive qui lui tombait des lèvres.

La panique saisit le français.

- Parle ! Que veux-tu que je fasse ?

- Apporte... Mon sac.

Il comprit aussitôt qu'elle voulait ses herbres et courut les chercher, aussi silencieusement que possible pour ne pas réveiller les autres.

La jeune fille était étendue sur le sable, les yeux tournées vers le ciel et le corps parcourut de spasmes. L'homme bleu s'agenouilla près d'elle et lui demanda :

- Quelles ? Combien ?

- Deux crochetues...

Sa poitrine se soulevait de plus en plus difficilement. Désespéré, l'homme bleu la voyait perdre conscience et ses mouvements hatifs se faisaient maladroits. Il trouva ce qu'il pensait être les herbres, en montra une à Tarana qui acquiesça, et lui donna le remède. Les lèvres de la jeune fille murmurèrent quelques incantations, puis elle remercia du regard le français et se laissa perdre conscience.

Hébété, l'homme bleu l'observait. Les yeux de la jeune fille se voilaient légèrement d'une brume. Les convulsions se calmaient peu à peu mais le jeune homme ne savait pas si c'était de bon augure...

Perdre la jeune fille... Était-ce seulement envisageable ? C'était une sorcière, plus résistante que quiconque. L'homme bleu la croyait immortelle alors elle allait survivre. Oh ! Il n'y avait pas de doutes ! Comment en aurait-il pu être autrement ?

- Empoisonnée. Tarana, on t'a empoisonnée. Il y a comme un souffle de folie dans l'air... La question, maintenant, est qui ? À qui doit-on imputer la faute ? Je ne sais pas... Il y a cette caravane qui nous suit, danger constant, mais comment un soldat aurait pu se glisser jusqu'à nous pendant le repas...? Oh il y a folie, sorcellerie, diablerie et le Sahara tord les esprits les plus robustes. Non je n'aime pas ça.

Le soleil était encore trop haut pour que l'homme bleu réveillât les touareg. Il avait pitié de leur sommeil et pas de besoins urgents de les reveiller.

Le jeune homme se leva pour faire le tour du campement endormi. Ses pas crissaient sur le sable. Oh il se sentait malade, seul à porter ce fardeau jusqu'à la nuit. Seul réveillé quand tout sommeillait autour de lui. Le cœur tout chamboulé, il revint s'asseoir auprès de la belle targuia et passa sa main dans ses beaux cheveux.

Elle aussi paraissait dormir alors qu'il savait qu'il n'en était rien. La seule trace était ses lèvres desséchées et mordues par le poison.

- Qu'est-ce que je vais faire, sans toi Tarana ? Pourquoi... Pourquoi ensorcelles-tu les cœurs ainsi maudite sorcière ? Et d'où te vient ta si troublante beauté ?

L'homme bleu avait de nouveau tourné son regard vers le désert quand la main l'attrapa une seconde fois. La jeune fille avait ouvert les yeux et murmurait :

- Tin Hinan ! Tu chercheras ?

Tarana retomba sur le sol épuisée et ferma les yeux. L'homme bleu ne devait plus la voir les yeux ouverts.

Alors il se leva, tremblant. Ses yeux s'humectèrent. Il ne contrôlait plus ces membres. La nuit tombait enfin. La nuit était là ! Oh quelle nuit ! Il s'écria :

- Réveillez-vous ! Réveillez-vous bande de fénéants et venez tous ici. Maintenant, je veux tous vous voir devant moi !

Les touareg sautèrent debout, electrisés par cette voix éreintée. Et lorsqu'ils se retrouvèrent tous face au corps agonisant de Tarana, l'homme bleu avait repris sa voix dure et intransigeante pour ordonner :

- J'exige que le traître se dénonce.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant