Chapitre 18 - Victoire et négociations (1)

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- La connection est établie, mon commandant. Je reçois des dizaines de messages provenant d'In Salah. On s'inquiète à propos de la situation sur Tamanssaret. On demande ce qu'il faut faire.

- La connection est établie ? Mes bougres auront pris du temps mais le principal c'est que cela soit fait. Maintenant, notre siège prend fin !

Tous ceux présents dans le télégraphes ne continrent pas leur joie et on entendit des cris. Le commandant ajouta :

- Maintenant, sortez tous. Maintenant !

Seul avec le télégraphe, Vermet dicta son message d'une voix morne :

- Situation critique. STOP. Révolte touareg. STOP. Besoin renfort. STOP.

Le télégraphe lui jeta un long regard, la gorge nouée. Ce message, c'était un peu comme un renouveau pour la ville. Un prix infini pour tous les citoyens. L'or de la pauvreté.

Mais le commandant mit fin à cet enchantement d'une voix trop grave :

- Dès que vous recevez la réponse, prévenez-moi. Sans tarder.

Coup de menton appuyé et le militaire tourna des talons.

En milieu d'après-midi, il fut averti que l'Etat-Major envoyait des renforts et qu'ils arriveraient dans une semaine environ.

***

Au campement, Grandfort se doutait que ce calme qui durait depuis quelques semaines allaient cesser. Devinant que son commandant ne resterait pas inactif, il avait réorganisé les troupes et ajouté quelques ordres supplémentaires. Maintenant, il était serein, assuré de parer à toutes difficultés.

Des éclaireurs s'étaient postés dans les villages sur la route principale qui menait vers In Salah. Des équipes s'étaient organisés pour ravitailler les touareg, en faisant des allers-retours entre l'emplacement des femmes et le leur. Et bien nourri, s'entraînant chaque jour, affutant soigneusement leurs armes, les touareg devenaient plus forts et plus redoutables.

Grandfort se sentait particulièrement fier de tout ce qu'il avait entrepris. Il avait confiance en sa force et scrutait l'horizon en se délectant par avance de la défaite qu'allait se prendre l'armée française.

Lorsque la caravane d'In Salah apparut, il s'était préparé. Les touareg attendaient férocement leurs adversaires.

Comme Grandfort devait s'y attendre, Vermet choisit ce moment pour faire une sortie. Les touareg se retrouvèrent pris entre deux armées mais l'ancien lieutenant s'était préparé.

- Amenokal, venez sous ma tente et nous discuterons stratégies. Voyez-vous... Notre camp est attaqué. Celui de la tribu du nord est inclu dans cette attaque mais si j'en crois mes observateurs celui de la tribu du Tanezrouft ne subit qu'une petite escarmouche. Je leur fais confiance pour se dégager de leurs assaillants et leur Amghar a reçu l'ordre de venir prendre à revers l'armée de Tamanssaret déjà bien épuisée par ces longs jours de sièges.

- Nos hommes sont forts. Ils sont nombreux... Et bien que nous ne soyons pas aussi bien équipés que vos compagnons français...

- Mes anciens compagnons.

- Vos anciens compagnons français, nous avons des fusils, de la poudre, un ou deux canons, nos sabres, nos mehara et notre courage.

- Je ne doute pas un seul instant que nous vaincrons. Mais, Amenokal, puis-je néanmoins vous demander si vous seriez d'accord pour adresser un bref discours à nos troupes ? Il ne serait pas avisé de les envoyer au combat sans encouragement.

Un peu plus tard, le chef touareg disait :

- Je sais que vous êtes forts et que vous vous croyez invincibles. Mais par cette seule pensée vous vous amolissez l'esprit. Faites le tri en votre esprit pour ne garder que les nerfs, le courage et la colère. Il sera toujours temps après la bataille d'éprouver quelques sentiments faibles de tendresse, de fatigue et de fierté. Alors oubliez vos familles le temps d'une bataille. Oubliez qui vous êtes. Oubliez le futur et oubliez même le présent. Oubliez les souvenirs joyeux. Seuls vos malheurs passés doivent vous habiter. Et au-dessus de ces malheurs, placez la tête de tous vos ennemis. Forts de cette colère, vengez vos douleurs. Nous gagnerons et mass Grandfort se chargera de nous acquérir une paix durable. N'oubliez pas votre colère ! Et foncez !

***

Là où Vermet s'était attendu à une résistance molle, débordée de tous côtés, là où In Salah croyait vaincre facilement une poignée de touareg rebelles et sans armement, là où les français pensaient trouver quelques maigres forces, s'opposa un véritable mur de glace, infranchissable.

Au millieu des deux camps, surplombant le champ de bataille, Grandfort menait sa tactique d'une main de maître. L'ancien lieutenant, génie militaire, remportait la victoire face aux deux commandants bardés de médailles. Et les touareg évitaient les bombes, évitaient les balles, évitaient les coups comme des anguilles qui se faufilent partout. Rigides, fermes et immobiles, les soldats de plomb français tombaient comme des mouches. Le commandant Vermet prêta un culot sans nom à son ex-subordonné.

Quand le soir arriva, la barrière ne s'était toujours pas percée. La muraille de touareg tenait encore, provoquant la colère des deux commandants, de part et d'autres du front.

Le lendemain, ils tentèrent une autre tactique. Ils ne s'en prirent pas directement au camp de l'Amenokal mais à ceux des deux Imgharen. Mal leur en pris car le sang de Grandfort ne fit qu'un tour et il fila en renfort. Loin de faciliter la tâche, cette tactique accrût encore le nombre de pertes.

Comment faisaient-ils pour gagner ces maudits touareg ? Où étaient leur force ? Ils étaient malingres, si frèles qu'on aurait pu croire qu'une simple pichenette les aurait mis à terre. Leurs armes dataient de Mathusalem et leur génie militaire ne se résumait qu'à Grandfort ! Le diable s'en était-il mêlé ? Ou des convictions qui dépassaient les français guidaient-elles leurs actes ?

Au troisième jour, les français pleins de hargne mirent toutes leurs forces dans une attaque virulente pour inverser la tendance. Effrayé, Grandfort crut bien qu'ils allaient l'emporter cette fois-ci. Mais, et cela tenait du miracle, ses hommes tinrent bons et firent face avec bravoure.

On chercha bien à toucher l'ancien lieutenant pour mettre fin à la bataille. Il n'entendit pas se laisser faire et se battit comme un lion, tremblant même quelquefois de tous ses membres en reconnaissant un vieil ami.

On chercha bien à percer le front. Le mur tenait bon.

En fin d'après-midi, les deux commandants, sans s'être concertés, arboraient drapeau blanc. Tamanssaret était tombée, on laissait place aux négociations.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant