Tarana s'étais assise sur le sable et avait plongé son petit visage entre ses mains. Et pleurait. Les larmes venaient s'écraser sur ce sable qui se creusait et se durcissait, surpris par ces gouttes si rares. La jeune femme avait les épaules qui tremblotaient. Elle paraissait si frêle dans cet immense désert, comme une petite poupée oubliée sur le sable. Mais il est vrai que Tarana avait de quoi se lamenter.
Elle avait fui la ville, soit ! Il restait les tribus. Elle avait fui les touareg... Qui restait-il ? Les ignorés ? Les solitaires ? Mais les solitaires ne sont-ils pas fait pour rester seul justement ? Or Tarana avait besoin d'un soutien aujourd'hui et tous semblaient l'avoir abandonnée. Où pouvait-elle aller ? Vers qui se tourner ?
À travers ses larmes, Tarana se redressa et se mit à marcher sur les dunes. Elle se trouvait bien avancée dans le Tanezrouft, en un endroit où nul ne pouvait la trouver. Au-dessus d'elle, le soleil finissait de se coucher et la fraîcheur commençait à l'envelopper. Mais elle n'y prenait pas garde et marchait songeusement d'un pas dansant. Ses larmes se séchèrent, son cœur gardait cette impression de vide et d'abandon. Elle errait sur les dunes en se concentrant sur le ciel étoilé plutôt que sur sa triste position.
Elle voyait le sable glisser le long des dunes et s'envoler par volutes en dessinant maintes arabesques. Elle pouvait deviner le vent qui tourbillonait entre la terre et la lune. Elle sentait le goût âcre de la nuit qui venait. Mais son âme restait désespérement vide.
Rien ! Pas un sentiment ! Pas une once de réconfort !
La jeune fille cherchait la paix ! Elle voulait ressentir un peu de joie, rien qu'une larme de bonheur ! Mais cela lui semblait refusé, car il est des êtres qui ne sont pas faits pour se réjouir.
Elle était revenue s'asseoir près de son mehari et avait dressé une sorte de tente. La faim la tiraillait : depuis la veille elle n'avait rien mangé. Mais elle devait encore résister, jusqu'à ce qu'elle trouve une solution.
Et maintenant, tournée vers la lune, elle méditait :
- Les sages de mon enfance m'ont toujours appris à ne compter que sur moi-même. Je connais les plantes et leurs vertus. Je sais les traditions, les légendes et les dieux de mon pays. J'ai l'art de la danse et celui de la parole. Je m'appuie sur les autres mais point trop car alors la trahison se fait amère. Lorsqu'on est étrangère en tout lieu, il faut savoir être solitaire. Qui m'apprendra la solitude ? Oh ! Homme bleu ! Toi, tu es solitaire. Toi, tu es fort, je le devine. Et tu es indépendant. Peut-être n'es-tu qu'à deux pas... Mais il est temps que tu rentres dans la danse, sans faire bande à part. Viens ! Viens, beau lieutenant... Tu m'as sauvée déjà une fois. Viendras-tu cette fois aussi ? Je crois bien que tu es le seul à avoir compris l'importance que j'avais. Manarf ! Je ne veux plus de cette solitude ! Mais que quelqu'un vienne et me sauve !
Et elle sanglota de plus belle, plus rien n'allait, tout était mort, morne et creux... La nuit l'enveloppait désormais tout à fait et la fatigue de ses courtes heures trop intense la cueillit pour l'emporter vers les rêves. Elle s'endormit doucement comme une princesse.
Bien plus loin, à Tamenssaret, le capitaine Albret revenait avec ses quatre otages. Le commandant le fit appeler immédiatement et malgré l'heure tardive dans son bureau. Il le considéra un instant, la mine soucieuse, avant de murmurer :
- Vous n'avez pas Tarana ?
- Non, rétorqua le brave capitaine un peu penaud. Elle s'est enfuie et nul ne sait où.
- Vous n'êtes qu'un imbécile, capitaine ! Évidemment qu'elle est partie dans le Tanezrouft, que ne l'avez-vous suivie ! Cette sorcière est capable de vivre partout comme une reine.
- Le Tanezrouft, mais...
- Oui, il est impossible d'y vivre, c'est ce que tous disent. Mais en voilà deux qui s'y réfugient. Ah ! Qu'ai-je fait pour avoir un idiot pareil ! Montbert, j'en suis certain, ferait tout cela mille fois mieux que vous ! Vous le sortirez de sa geole et lui ordonnerer de venir me voir, à ce propos. Enfin, oublions cela. On m'a dit que vous aviez quatre nouveaux otages ?
- Je peux leur dire que nous les relâcherons s'ils disent simplement ce qu'ils savent sur Tarana...?
- Faites ! Ils ne se laisseront tout de même point torturer pour une sorcière ! Ou je deviens fou ! Allez.
Et d'un geste de la main, Vermet congédia son capitaine. Mais ce-dernier hésitait à partir, et après une brève hésitation :
- Mon commandant ? Pourquoi Tarana ? Elle ne présente aucun intérêt si ce n'est qu'elle fut la pomme de discorde entre Montbert et Beauvey.
- C'est bien plus que cela, mon ami. Beauvey avait ici toutes les raisons de combattre Montbert et de fuir car c'est bien plus qu'une simple histoire de cœur. Mais je croyais vous avoir demandé de filer ?
- Oui, oui... Excusez-moi, salua prestement Albret en se retirant vivement.
Mais en quittant le bureau de son supérieur, il ne retint pas un juron :
- Dame ! Cette fichue sorcière m'en fera voir de toutes les couleurs ! Je croyais l'aimer mais ce ne devait être qu'un sortilège car comment aurais-je pu aimer cette démone ? Ah ! Elle m'a bien eu sur ce coup-là. Et je suis bien naïf de l'avoir aidée !
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Manarf : Ça suffit
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L'Homme bleu ou Histoire d'une légende
Historical FictionUne légende lointaine, une envoûtante sorcière, un mystérieux fugitif et le pur désert du Sahara, 1902. La liberté, la solitude et le calme sont là. Mais le nom de l'homme bleu ne brille pas encore dans le ciel étoilé. Alors sa quête de légende comm...