Chapitre 8 : Sauver ces malheureux (2)

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- Peut-on entrer ?

- Euh... Oui ! Oui, évidemment. L'écurie est à deux rues mais déposez vos affaires ici et mon frère emmenera vos mehara plus tard. Et... Vous me raconterez ?

Le jeune lieutenant aquiesça gravement avant de rentrer en toute hâte. Il se débarassa rapidement de son chèche tant il avait chaud et chercha des yeux une caraffe d'eau.

- Faites comme chez vous, sourit le targui.

Aussitôt, Beauvey prit un verre et se servit abondamment tout en s'affalant sur un vieux sofa. Il s'était mis à trembler. Tarana et Grandfort suivirent. Le targui vint s'installer lui aussi, en face d'eux trois.

- Tarana, Grandfort... Je vous présente El Touati.

Mouvements de tête. Puis geste curieux...

- Comment diable avez-vous pu entrer dans la ville ? À ce jour, l'on vous recherche avec acharnement.

- Nous sommes entrés. El Touati... Nous aurions cruellement besoin de ton aide.

- Que comptez-vous faire ?

- Libérer les prisonniers.

Et le targui éclata d'un grand rire.

- Vous êtes bien fous, vous !

Beauvey avait gardé un air grave. Il interrompit le rire de son ami par sa mine sérieuse et expliqua :

- Comme vous venez tout juste de le dire... Nous sommes recherchés. Nos visages sont assez connus.

- Ce n'est pas moi qui vous démentirai.

- Aussi c'est vous qui ferez l'agent de liaison. Voilà mon plan...

Et doucement, Beauvey vint tout expliquer à ses trois compagnons. Il parlait bas et d'une voix unie et grave, un peu monocorde. Le regard las et presque terne fixé devant lui sur un point imaginaire. Tarana, hypnotisée, s'approcha et vint effleurer sa main, avec une sorte d'effroi. On le sentit frémir mais il réagit à peine. Il parlait.

Un long moment de silence suivit ses paroles. Soit ! Il fallait agir et vite. Tous opinèrent en se levant comme pour marquer leur détermination. Beauvey sourit en les observant. Avec cette armée, le jeu pouvait commencer à part égal. Commencerait par un échec pour le camp adverse !

Tarana se sentait presque nostalgique de son anonymat passé. En revêtant un chèche noir qui lui couvrait en partie le visage, elle ne put s'empêcher de maudir les événements qui l'avaient contraintes à fuir. Et ses yeux pétillèrent de fureur. Mais seul Grandfort s'en apperçut et recula d'un pas craintif.

***

Cinq heure du matin, l'aube étirait tout juste ses pâles voiles en filaments légers et la ville retenait un premier baillement. El Touati quitta la maison le cœur battant. D'une démarche presque sautillante il s'approcha des grilles du campement et se composa un visage particulièrement coléreux. Les sourcils froncés, il voulut forcer l'entrée.

Mais le garde s'interposa violemment et le plaqua contre un mur.

- Que voulais-tu faire, perfide targui ? Souffla le soldat.

- Laissez-moi ! Ils ont pris mon frère ! Ils ont pris mon frère, laissez-moi !

Et El Touati, d'une force peu commune, repoussa le garde et marcha d'un pas alerte vers les prisons. Le garde soupira et le laissa paresseusement s'en aller.

Il y avait de la fièvre dans le campement. Les soldats allaient et venaient, pressés et anxieux. Aussi, nul ne prêta attention au petit targui. Du moins... Jusqu'aux prisons.

- Halte-là ! S'écria un garde. Que venez-vous faire ici ?

- Mon frère ! Je veux voir mon frère !

Toujours arborant son air sérieux, El Touati voulut forcer la porte. Mais comme à l'entrée, on le plaqua contre un mur en lui murmurant à l'oreille :

- Je ne sais pas ce que tu fais ici... Mais si tu ne t'en vas pas immédiatement tu passeras chez le commandant !

Le targui ouvrit de grands yeux effarés. Il parut se tasser sur lui-même et s'effraya :

- Mais vous ne pouvez pas le laisser en prison ! Vous êtes absolument fous ! Laissez mon frère... Il n'a rien fait. Laissez-le, s'il vous plait ! C'est quelqu'un de très gentil.

À partir de ce moment-là, El Touati continua de crier mais en berbère cette fois, et un dialecte peu connu. Il se débattit pour essayer de rentrer tout en hurlant ces mots que nul ne comprenait. Mais on lui fit un croche-patte et il s'affala à terre. Il se tut.

De nouveau, il ouvrit de grands yeux terrifiés. Peine à voir !

- Pauvre diable ! Va-t-en vite avant que je ne me fâche.

Le targui ne se fit pas prier et fila. Dans les prisons, les touareg avaient compris quant à eux le message d'El Touati. Ils se mirent à chuchoter entre eux, comme pour s'assurer qu'ils n'avaient pas rêvé. "Criez ! Criez pour votre libération et tempêtez ! L'homme bleu viendra vous sauver."

D'un seul mouvement, les prisons hurlèrent. Les touareg s'accripèrent aux barreaux et cherchèrent à les arracher. Les traits déformés par la colère, la crainte et le désir de retrouver leur liberté. Et tout était sens dessus dessous. L'on se marchait dessus. L'on tapait du pied. L'on gesticulait. C'était grand tapage.

Les soldats avaient sursauté et d'abord retenu leur souffle. Ce fracas si surprenant leur faisait presque perdre l'esprit. Mais les officiers s'étaient mis à crier leurs ordres et tous avaient tourné leur regard vers les prisons. Une grande fièvre avait saisi le campement...

Et nul ne s'attarda sur cet uniforme qui rentrait précipitemment dans le camp et filait vers les prisons. Nul ne prit le temps de s'attarder sur ses traits car si quelqu'un l'avait fait il aurait immédiatement reconnu le lieutenant Grandfort qui courait vers les prisons. Aussi, nul ne l'arrêta aux portes tant il y avait de soldats qui se pressaient à l'intérieur.

Et nul ne le vit glisser dans la main d'un targui une clé hâtivement dérobée et un message : "Quand je serai parti, ouvrez les grilles de toutes les prisons". Il eut suffi d'un regard attentif pour éventer le plan mais les nerfs étaient à vifs.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant