Chapitre 22 - Un commandant autoritaire (2)

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Vermet revint à Tamanssaret et retrouva la ville un peu plus forte qu'à son départ. Mais lorsqu'il franchit les portes, il surprit de nombreux regards de travers, moqueurs. Il les tança de haut d'un air supérieur et prit le parti de les ignorer.

- Commandant, lui dit-on lorsqu'il revint. Des rumeurs courent.

- Des rumeurs ?

- Je crois qu'on ne vous aime pas.

- Qu'ai-je à faire que l'on m'aime ou que l'on me haïsse ?

- Ils rient, mon commandant. La rumeur circule qu'on vous aurait jeté un fruit pourri.

- Une rumeur, passa Vermet d'un ton impatient.

- Mais la rumeur est très importante ! Vous ne devriez pas la négliger.

- Eh bien je la néglige. Avez-vous élevé la taxe d'impôt ?

- Mais commandant ! Sur quoi voulez-vous que nous l'élevions ?

- Ne soyez pas stupide, voulez-vous ? Je suis fatigué. Laissez-moi et allez donc résoudre ce problème de taxe.

- Mais mon commandant...

- Allez, allez...

- Mais !

Vermet se retourna avec fureur :

- Vous ne partez pas ?

- Sur quoi ?

- Le bétail évidemment ! Augmentez l'impôt de douze pour cent.

***

Lorsqu'ils apprirent la nouvelle, tous les touareg des environs vinrent aux grilles du campement pour protester. Il y eut des émeutes et tous jetaient leurs fruits pourris à travers les grilles. Les soldats tentèrent bien de repousser cette foule en colère mais elle restait et résistait.

Vermet dormait.

Comme la ville entière était entrée en émeute et avait arrêté toute activité, El Touati quitta en catastrophe sa maison pour rejoindre l'oasis où vivait Grandfort. Le jeune lieutenant, prévenu et furibond, fila d'une traite jusqu'à la ville. Sa haute présence calma légèrement la population. On le saluait. Il promettait de mettre fin à cette loi injuste qui revenait sur les conventions d'après siège.

Lorsqu'il parvint aux grilles du campement, il eut une hésitation. Il n'y avait plus mis les pieds depuis ce jour où il avait quitté le camp, sous les ordres d'Albret à la recherche de l'homme bleu tout juste enfui. Et les soldats de garde, surpris de ce calme soudain, le virent s'approcher avec stupéfaction. De part et d'autres des grilles, il eut embarras. Grandfort avait été recherché aussi. Et toute décision ne devait être prise deffinitivement qu'après la conquête de Zerzura. Alors quel était son statut aujourd'hui ? Fallait-il l'emprisonner ou le traiter comme un hôte ?

- Laissez-moi entrer.

Sa voix simple et ferme décida les gardes à le laisser passer.

On observait sa tenue touaregue avec curiosité et on souriait. Lui les ignorait.

Il traversa la cour, toujours dominé par sa colère et vint frapper au bureau du commandant.

Ce fut avec surprise qu'il constata qu'on ne lui ouvrait point. Un soldat qui avait été sous ses ordres et qui lui conservait encore une profonde admiration le prevint que Vermet était toujours en train de dormir.

- Eh bien ça ne fait rien, s'écria Grandfort, je vais aller le réveiller !

- Mais...

- Accompagne-moi, veux-tu ? Avez-vous souffert du siège ?

- Terriblement. Je pense bien qu'à cette simple évocation le commandant blêmira et abolira cette loi absurde.

Grandfort acquiesça distraitement.

Le camp militaire n'avait pas changé et l'ancien lieutenant ressentit une grande bouffée de mélancolie au souvenir de ces heureuses années. C'était le temps de la sécurité, de l'amitié et des rires. Cela, il savait qu'il ne pourrait jamais l'oublier.

Mais c'était aussi un temps sombre pour ce profond malaise qui n'avait cessé de grandir en lui... Un malaise face à ce régime sévère que la France imposait au populations locales. Grandfort aimait la France et il adorait la France. Mais c'était un homme juste qui cherchait un monde juste. Et ce sentiment était la raison qui l'avait poussé à intégrer l'armée, avant que le hasard et la nécessité ne le mènent à Tamanssaret.

À côté de ce malaise grandissant, il y avait son ami, Beauvey, qui éprouvait le même sentiment et ne cessait de s'en plaindre à son ami. Du moins, ce fut ce que Grandfort avait cru comprendre. Mais plus le temps avançait et plus le lieutenant se posait des questions quant aux motivations qui animaient son ami...

- Grandfort ? À quoi penses-tu ?

- Ah nous sommes arrivés ! Laisse-moi maintenant.

Et il toqua fermement chez son supérieur.

Vermet sursauta. Il dormait et détestait - comme toute personne sensée - qu'on le réveille. Mais il manqua de tomber à la renverse quand la porte s'ouvrit sur l'ancien lieutenant.

- Grandfort !

- Commandant, commença le jeune homme d'un ton dur, vous avez joyeusement piétiné l'accord d'après siège.

- Et bien ?

- Les touareg ne sont pas plus affaiblis qu'avant. Ils sont prêts à se battre à nouveau. Mais cette fois, je crois que la ville se retournera contre vous. Souhaiteriez-vous un nouveau siège ?

- Je te trouve bien présomptueux, soldat Grandfort, d'exiger de telles choses. Il serait bon que tu reviennes à ta place. Le gouvernement d'Alger n'attend d'ailleurs que cela.

- Asseyons-nous, murmura le jeune homme aussi tendu que l'on peut l'être. Vous avez voulu cet entretien, n'est-ce pas ? Vous m'avez provoqué ?

- Mais qu'imaginez-vous ! Cessez donc de raconter de pareilles inepties, je ne fais que mon devoir.

- Decidez-vous déjà entre le tutoiement et le vouvoiement.

- Sortez !

- Non. Qu'avez-vous fait à Alger ?

- En quoi cela vous concerne-t-il ?

- Cette loi me concerne et il semble qu'elle ait un rapport avec votre voyage.

- Vous êtes perspiscace Grandfort et il est fort dommage que vous ne soyez plus dans l'armée. Vous aurez brillé dans le génie. Oui j'ai élevé l'impôt pour deux raisons : la première est que je souhaite punir les touareg.

- Punissez-les autrement ou ne les punissez pas. Si dans deux jours, mes informateurs m'apprenent que rien n'a changé, je relance la révolte. Deux jours.

- La deuxième raison à cette loi, répliqua Vermet en fermant doucement les yeux, c'est que je souhaitais vous apprendre de vive voix et observer votre réaction...

- Quoi ? Blêmit Grandfort.

- Le grand Amenokal, père de Tarana, se retire de l'échiquier parce que sa fille est morte.

- Tarana n'est pas morte. Les sorcières, et plus encore les déesses, sont immortelles.

- Vous vous brisez le cœur à petit feu, soldat.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant