Chapitre 5 : Les feux du désert (2)

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Tarana pinça des lèvres pour marquer sa perplexité mais resta rêveuse à regarder la piste et ils ne bougèrent plus jusqu'à l'arrivée du lieutenant. Beauvey était troublé par l'aura que dégageait cette toute jeune fille. Il sentait qu'il était primordial qu'il la soutienne et la réconforte pour qu'elle prenne un nouvel élan mais avait peur de la brusquer. Alors quand son ami parvint jusqu'à lui, il sentit son embarras fondre dans l'instant.

Les deux hommes se sourirent avant de s'assener mutuellement une large claque d'amitié dans le dos. Tarana les observait, surprise par cette complicité et presque jalouse qu'on lui porte si peu d'intérêt.

Beauvey et Grandfort portaient les mêmes yeux bleu clair comme l'azur, les mêmes traits durs et secs et la même corpulence athlétique et fine. Mais alors que le premier était grand et blond, le suivant était plus trapus et ses cheveux couleur châtaigne.

Devinant l'impatience de Tarana dans son dos, Beauvey s'écarta de son ami et lui présenta la jolie targuia :

- Je l'ai retrouvée en plein Tanezrouft, étendue sur le sable et mourrante.

- Mais tu es Tarana ! S'exclama Grandfort. Sais-tu que l'armée te recherche avidement ?

- C'est pour cela que j'ai fuis.

- Mais alors... Beauvey, il faut partir tout de suite ! J'ai vu au loin des soldats de l'armée qui venaient par ici. Je pense qu'ils ont deviné que tu sortirais bientôt de ton ermitage.

Le jeune homme, à ses paroles, parut sur le qui-vive. Il se tourna vers la targuia et lui dit vivement :

- Eh bien, ne tardons plus et partons !

Tarana, comprenant qu'il fallait se dépêcher, vint ranger les sacs sur le dos des mehara et escalada douloureusement son dromadaire. Grandfort la regardait faire avec une expression de pitié et hésitait à l'aider. Mais Beauvey lui fit signe que non et grimpa sur l'un des mehara à son tour. Quelques instants plus tard, les deux français et la targuia fuyaient vers le Nord, sans dire un mot.

Alors qu'ils étaient déjà fort éloignés de l'oasis, les soldats y parvinrent et virent les trois points au loin. Montbert, pointant sa lunette, reconnut deux uniformes de l'armée française. Par déduction, il était maintenant certain que Grandfort, Beauvey et Tarana s'étaient retrouvés et alliés. Il était désormais trop tard et l'affaire s'en trouvait sérieusement compliquée.

- Que l'on envoie deux cavaliers légers à leur poursuite.

- Qui ? Mon lieutenant, qui ?

- Qui vous voulez mais hâtez-vous !

Effrayés, deux soldats à cheval prirent le galop à leur poursuite. Montbert esquissa un sourire satisfait et décida que le reste du groupe suivrait aussi. Devant, les deux militaires fuyaient dans un nuage de poussière qui se rapprochait inexorablement des trois fugitifs. Et Montbert se sentait fier de lui.

Beauvey, Grandfort et Tarana ne comprirent que tardivement le danger où ils se trouvaient. Ils allaient de leur train régulier, silencieusement et songeant. Par moment, Grandfort et Beauvey s'échangeaient un regard avant de jeter un coup d'œil à la targuia, en frémissant. Ce n'était qu'un langage muet mais qui disait beaucoup car les deux français sentaient leurs cœurs battre de plus en plus fort à mesure qu'ils avançaient. Ils voyaient la jeune fille s'affaisser peu à peu, la mine accablée, et comprenaient qu'ils leur incombaient désormais de la protéger aux côtés des touareg.

En prenant la fuite, les deux hommes avaient cru pouvoir échapper à une guerre inévitable, à laquelle ils étaient contre. Mais par cet acte, ils se plaçaient en réalité du côté des touareg et cela leur semblait préférable dans ce conflit.

- Nous les aiderons à retrouver un pays, murmura simplement Grandfort au milieu de ses pensées.

Beauvey acquiesça tacitement et se concentra sur la route. Tarana n'avait même pas cherché à comprendre.

Mais c'est elle qui, alors que les cavaliers commençaient à se faire proches, comprit la première le danger. En se retournant, elle apperçut les deux soldats à quelques centaines de mètres et eut un frémissement au cœur.

- Ils sont là ! S'écria-t-elle brutalement.

Les deux hommes tournèrent la tête et ne retinrent pas une exclamation de surprise. Beauvey, nerveux, intima :

- Séparons-nous ! Grandfort, emmène Tarana là où nous avions convenu d'aller. Je vais faire diversion et nous nous retrouverons quand je le jugerai bon. Allez !

Et l'homme bleu partit en direction des deux cavaliers à toutes vitesses, en tournant vers l'Est peu avant de les croiser. Surpris, les deux soldats hésitèrent avant de le suivre. La poursuite s'engagea.

Beauvey affichait un petit sourire excité. Il connaissait les deux soldats derrière lui. Il leur avait même commandé, un temps. Quelle étrange situation que de se retrouver poursuivi par les siens ! Mais l'adrénaline n'en était que plus forte. Et il ne pouvait pas laisser l'envahir la honte de se faire rattraper par d'anciens subalternes. Alors il fallait fuir ! Et vite !

Le mehari de l'homme bleu escalada une dune. Derrière se trouvait une large piste, assez fréquentée. Après une brève hésitation, le mehariste se décida à la traverser sans la suivre. Il voulait perdre ses poursuivants dans le désert saharien. Ensuite seulement il aviserait. Ainsi, il s'enfonçait toujours plus dans les dunes. Et malgré la légèreté et la rapidité de leurs montures, les deux cavaliers ne parvenaient pas à le rattraper. Beauvey souriait.

Et soudain le fugitif décida de ralentir insensiblement pour les laisser le rattraper. Il arborait une mine réjouie et ironique, fière du tour qu'il allait leur jouer. Ils se trouvaient loin de tout, absolument perdus. Et même le reste du groupe s'était arrêté sur la piste, faute de savoir où ils étaient partis. En réalité, l'homme bleu ne risquait rien.

Les deux soldats atteignirent enfin le mehariste et se placèrent de part et d'autre. Les trois hommes ralentirent et s'arrêtèrent.

- Halte-là ! S'écria le premier.

Beauvey se tourna vers lui avec une expression douce. Le soldat, troublé, se tourna vers son compagnon, hésitant.

- Lieutenant, s'écria le second soldat comme pour soutenir son ami, vous êtes en état d'arrestation !

- Soit.

- Vous nous suivrez ?

Le ton n'était pas ferme, plutôt implorant.

- Vous m'excuserez : j'ai d'autres affaires plus importantes.

- Ce n'était pas une invitation, lieutenant, répliqua celui que Beauvey connaissait moins, d'un ton si ferme qu'il fit frémir tout le monde.

- Et où aller ? Objecta le fugitif.

Les deux soldats jetèrent un coup d'œil autour d'eux. Un petit vent s'était levé, balayant leurs traces. Ils avaient tant tourné en boucle qu'ils étaient maintenant incapables de se répérer.

- Avez-vous une boussole, questionna alors Beauvey gentiment ?

- Non.

L'un d'eux hésita avant de dégainer son pistolet en intimant :

- Mais vous en avez une. Donnez-la-nous et nous vous ramènerons à Tamenssaret.

- Je l'attendais, celle-là, figurez-vous ! Je vous ai déjà dit que j'avais d'autres affaires d'une autre importance.

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant