Chapitre 1 - Le fugitif (1)

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C'était ainsi, en 1902. La ville étirait ses longs bras fatigués en retenant un baillement. Il fallait s'éveiller. Lentement, le soleil s'élevait au-dessus de la ligne d'horizon, entamant son dur labeur quotidien. Les habitants quittaient leurs maisons pour venir profiter des premiers rayons de lumière et de la fraîcheur de cette première heure. Dans le fort, le clairon sonnait le réveil pour les militaires. Mais le camp était presque vide.

Le commandant Vermet se levait aussi, soucieux quant à la journée qui s'annonçait. Ses traits secs et particulièrement durs en ce jour de mauvais augure annonçaient son mécontentement. Certaines affaires traînaient et mettaient en péril ses projets. Et il fallait que cela cesse car le temps le pressait.

Il boutonna prestement son uniforme, se mira dans un petit miroir... Légère barbe, nez droit, yeux perçants. Cette mine austère lui plaisait bien. Enfin, il lui fallait affronter le monde.

Dans le mess, quelques rares lieutenants discutaient gravement sur les récents évènements qui avaient agités leur ville de Tamanssaret. Il n'était plus temps de rire et de s'amuser. Ici, c'était déjà les affaires qui commençaient malgré l'interdiction de parler travail en ce lieu détente.

Un vent de panique s'élevait sur la ville. Plusieurs villageois s'étaient agglutinés près des grilles du campement pour obtenir quelques informations. Tous avaient été refoulés. Le bureau de poste avait été réquisitionné par l'armée et de nombreux messages s'échangeaient entre ici et l'État-Major, à Alger. Les écuries étaient vides, tous les cavaliers et meharistes partis dans le désert. La ville était muette et angoissée.

- Montbert, venez ici, appela le commandant en fixant l'un des lieutenants paresseusement accoudé au comptoir.

Ce-dernier s'approcha d'un pas vif et entraînant, la mine soucieuse et curieuse.

- Oui, chef !

Le salut claqua et Vermet salua sèchement son subalterne.

- Ne vouliez-vous pas savoir pourquoi vous n'êtes pas partis avec les autres, Montbert ?

- Je m'étonnais.

- C'est que j'aurais besoin tout particulièrement de vos services. Cela tient en un mot : Zerzura.

Le jeune soldat frémit et son attention redoubla. Ses yeux s'étaient plissés en deux fentes songeuses et rêveuses, rehaussées d'un léger sourire. Son supérieur, après une hésitation, lui fit signe de se diriger vers une table à l'écart :

- J'aurais tout aussi bien pu vous envoyer avec les autres mais je ne l'ai pas fait parce qu'il était important que nous ayons cet entretien. Et les récents événements forment un parfait alibi à votre maintien ici. Vous savez par ailleurs que vous ne perdez rien pour attendre. Lorsqu'ils seront revenus, je tiens à vous voir dans mon bureau.

Gêné, Montbert acquiesça.

- Ce que je vais vous dire, poursuivit le commandant Vermet, est un secret important. Vous serez seul dans votre mission à le porter et il est important que vous ne le divulguiez à personne. Est-ce bien clair ?

- Je me tairai.

- Si vous vous faites prendre, vous serez seul responsable. Je vous préviens d'avance que je nierais toute participation à ce projet, êtes-vous toujours d'accord ? Attention, je veux votre parole par avance.

- Vous l'avez. Je serai seul et je réussirai.

- Vous me plaisez, mon garçon.

Et Vermet, les yeux brillants, se mit à chuchoter près de l'oreille du soldat. Si bas, que si les autres officiers n'avaient pas dès l'abord été intrigué, nul ne se serait apperçu de rien. À mesure qu'il parlait, les traits du lieutenant se décomposaient sous l'effet de la surprise et l'attention du reste de la salle redoublait. Finalement, Montbert se redressa brusquement, les yeux brillants d'une lueur de cupidité. Un fin sourire étira ses lèvres tandis qu'il murmurait :

- Je suis prêt à accomplir cette mission.

Son supérieur lui tapa gentiment dans le dos, particulièrement fier. Mais il jeta un regard circulaire au mess et grimaça.

- Ces drôles, près du comptoir, n'ont rien perdu de notre apparté. J'irai les voir. Nous sommes heureux qu'aujourd'hui la garnison soit vide.

Les quelques lieutenants trop curieux furent prévenus qu'ils leur fallaient être discrets.

La matiné s'écoula calmement. Chacun à son poste travaillait ou s'ennuyait car il est vrai que ce fut une journée particulière. Le camp se tint tranquille et cette quiétude parut rassurer les habitants de la ville. L'angoisse qui avait accompagné le lever du soleil s'était en partie apaisée.

Aux alentours de midi, la chaleur s'était faite insoutenable. Tous s'étaient enfermés chez eux, dans le noir et la fraîcheur. C'était une ambiance étrange : on ne se souvenait pas d'avoir vécu une journée si calme. Et l'on craignait quelques malheurs... Les restes de la garnison semblaient reprendre des forces, avachis au mess ou dans les dortoirs à l'ombre fraîche. Toute activité s'était arrêté. On vivait dans l'attente, en suspension entre deux événements. Et l'après-midi passa de même.

Ce ne fut que vers le soir, alors que le soleil palissait et que les hommes retrouvaient quelques vigueurs, que l'on nota du mouvement.

Un soldat vint avertir le commandant du retour des soldats de la garnison. Tout le village se pressa aux portes de Tamenssaret avec une curiosité évidente et formèrent comme une haie d'honneur. La mission avait-elle réussi ou l'armée avait-elle subi un échec ?

L'Homme bleu ou Histoire d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant