Chapitre 30 : différence

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Je marche, à l'abri sous les grands spins m'offrant un toit, fait de leurs branches, de leur corps.

L'ombre des arbres me masquent la lumière artificielle du ciel de mon petit monde renfermé. Je suis contraint d'avancer à moitié à l'aveuglette, me guidant beaucoup plus à ma mémoire du chemin qu'à la vue du petit sentier, de toute manière depuis longtemps effacé sous la neige fraîche.

Dans cette faible obscurité, j'entends les arbres craquer, la neige se tasser sous mes pieds, le silence omniprésent se marquer.

Et dans cette quiétude, je me souviens de la première fois où j'avais emprunté ce chemin.

Sans regarder où me mènent mes pas, je ferme les yeux et me remémore tout cela.

...

Je courais, j'étais en colère, effrayé, triste, et désorienté.

J'étais déjà venu une fois dans cette ville, pour les recherches de mon père.

Elle m'avait immédiatement plu, son ambiance festive apportait quelques couleurs joyeuses sur la neige d'un blanc pur...

Mais cette fois-là, ce n'était pas dans le but de m'amuser que j'étais venu.

Une violente dispute avait éclaté, entre mon père et moi, à propos de mon petit frère. Je voulais le préserver de ses expériences, parce qu'il était plus faible que moi. Lui, voulait continuer, ignorant mon avis, et celui de mon petit frère.

Nous étions ses rats, et devions nous contenter de subir.

J'en avais marre, et j'avais donc fui.

J'avais couru au hasard, m'éloignant de la petite ville enneigée, fuyant sur les chemins, me cachant sous les arbres et m'aventurant aussi loin que possible de tout ce que je connaissais.

...

Ses foutues expériences, sur la force d'une âme, tout ce qu'on peut faire avec, les liens, la possibilité de briser la barrière une fois pour toutes... Je n'y crois plus.

Je longe les troncs épais et humides, ramasse une petite pierre bleue par terre, prends à droite au détour d'une branche, à gauche après une vieille souche, pour enfin déboucher à ma destination finale.

Les flocons tombent lentement au sol, donnant un semblant de vie à cet endroit figé dans le temps.

Une clairière s'ouvre devant moi, recouverte d'une neige éclatante à la texture cotonneuse.

Je soupire de soulagement, en voyant ainsi mon refuge, inchangé depuis la dernière fois.

Bordée par quelques fleurs de l'Underground, une petite rivière d'eau claire et glacée serpente paresseusement, sortant de l'ombre des arbres, et s'écoulant timidement dans une petite mare, creusée par le courant au fil du temps, l'eau ayant décidé s'arrêter ici, sans raison visible.

Je m'approche de cette dernière, m'aventurant sur le petit terrain saupoudré de flocons immaculés, presque parfaitement plane, à l'exception d'une petite bosse visible sous la neige, et d'un discret renfoncement situé à quelques mètres de la petite rivière.

Je m'accroupis près de la mare, et ramasse une pierre unique posée là, pour la nettoyer de la neige ainsi accumulée dessus.

A sa surface est marqué, à la craie, d'une écriture tremblotante, deux dates, un mot, et un chiffre.

La dernière fois que je suis venu et que je suis reparti, la raison de cette venue, et le nombre de fois que je suis venu.

Je la dépose derrière moi, et sors l'autre pierre, celle que j'ai ramassée en chemin, pour la plonger dans l'eau afin de la débarrasser de la terre dont elle était entourée.

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