Chapitre 34 : chute

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Assis dans la neige, je réfléchis, la tête et le dos appuyés sur la porte derrière moi, les jambes croisées.

Elle était repartie depuis longtemps, s'occuper de cuire une tarte. Et moi, je suis encore là, sans rien à faire.

Attentif aux sons, et au nuage de buée formé par mon souffle, je réfléchis.

Sur l'origine de ces étranges blessures qui décorent désormais mon crâne et la clavicule, sur cette image insolite d'une cabane dans un jardin, familière et pourtant jamais vue, la mince déchirure sur la manche de mon sweater, et bien sûr, la sensation de pincement qui commence à se faire sentir, dans ma poitrine. D'où venaient toutes ces incongruités ?

Profitant de ma solitude et du silence ambiant, je peux réfléchir à tout cela, sans me sentir obligé de ponctuer chaque phrase d'une blague, sans devoir tenir ce rôle devant tous...

Plongé ainsi dans mes pensées, je contemple silencieusement la blancheur ambiante.

"C'est un magnifique jour ici..."


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Des couleurs étaient présentes partout, tranchant avec le gris sale du ciel, de la pluie... De la ville.

Au sol, il y avait cette même surface rugueuse et sale, qu'on croirait presque faite ainsi exprès pour arracher la peau de ceux qui n'auraient rien prévu pour couvrir leurs pieds.

Cachée à la sortie d'une ruelle, je voyais tout le monde s'affairer afin d'éviter autant que possible d'être trempés, j'aperçus un carrefour encombré de voitures, la pluie tombant sur leurs toits, ruisselant tristement le long des portières et du capot.

Les enseignes colorées des magasins brillaient de mille feux, chacune parée de couleurs toujours aussi flamboyantes et variées.

Je distinguais la date à laquelle j'étais, indiquée par la pharmacie, sur le trottoir d'en face. J'étais actuellement revenue il y a un peu plus de deux ans en arrière...

Des larmes ont coulé.

Puis j'eus les yeux fixés sur une voiture en particulier.

Sur la personne qui était au volant.

Une adulte.

Une femme.

Ma mère.

J'avais envie de fuir, de ne pas assister à cette scène que je ne connaissais que trop bien, mais mes jambes refusaient de bouger, fixées au sol, en dépit de la douleur causée par mes pieds à vif.

Paniquée, voulant à tout prix m'éloigner de cet endroit de malheur, je me fis violence pour échapper à ce qui allait arriver.

Mais rien n'y fit.

Les feux de signalisation du carrefour passèrent au rouge.

La voiture de ma mère était la troisième de la file.

Je voyais au travers de la pluie une vague forme, accoudée sur la porte du siège à l'arrière, impossible à voir correctement d'ici à cause de l'eau ruisselant sur la vitre, regardant distraitement de l'autre côté de la route au travers de celle-ci. Pourtant, je savais pertinemment qui était cette personne assise là, puisqu'il s'agissait de moi.

Je ne savais que faire, paniquée, et incapable de bouger le moindre muscle.

Les secondes s'égrenaient lentement, et le feu reprit finalement sa couleur vert sale, autorisant toute la file de véhicules à rouler de nouveau.

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