« Il faut être toujours du parti de la vérité et de la justice. »
- Christine de Suède
Normalement, tu ne t'es pas arrêtée dans le fil de ta lecture. Je suppose que tu as tourné la page, impatiente de connaître la suite. Je parie que tu es frustrée. Tu l'es, je te connais petite sœur. Je parie aussi que tu détestes déjà J.
Tu l'aimais bien avant, tu sais ? Comme tout le monde, il n'était qu'un être humain. Je sais, il a sombré. Mais les êtres humains finissent par sombrer parfois, pas vrai ? [ricanement de ma part]. Ironique puisque j'ai sombré avec lui mais je suis totalement folle amoureuse de lui, si tu savais...
Parfois je m'en veux d'être amoureuse de lui. De l'aimer au point d'en crever. Mais papa et maman n'auraient pas supporté de me voir si j'étais restée en vie, comme tout le monde. Les gens ne me parleraient plus et préféreraient m'insulter.
Mais eux aussi sont tombés amoureux, non ? Qui a-t-il de mal à tomber amoureux de la mauvaise personne ?
Le mal, justement. C'est le point. Le mal. Mais si j'avais été à la place de J. et que j'avais tué papa et maman, vous auriez continué à m'aimer ?
Allez, je devrais écrire la suite au lieu de parler ainsi. Accroche-toi petite sœur, tu sauras à quel point j'ai eu mal ce jour-là.« Le lendemain matin, vers onze heures, je lui envoie un message. Il est neuf heures du matin quand je m'apprête à déjeuner et que j'allume la télévision. Je tombe sur les informations, maman et papa relèvent la tête, me disent bonjour mais restent concentrés sur les infos, tout comme moi. Une triste nouvelle.
Thomas et Maria Wayne ont été assassinés la nuit dernière dans l'une des rues de notre chère ville corrompue. Leur fils, Bruce Wayne, âgé de dix neuf ans, était en leur compagnie mais se trouve être indemne en ce moment même. Il a apparement vu ses parents se faire tuer sous ses yeux sans qu'il puisse y faire quoi que ce soit.
Aucune blessure apparente, il serait rentré chez lui, d'après les informations. J'ai de la peine pour lui. C'est abominable, une horreur. Il n'a ni frères ni sœurs et c'est le dernier Wayne encore en vie.
Il est totalement seul.
Je ne m'imagine pas ma vie sans mes parents. Je sais qu'un jour ils ne seront plus là, je sais que tout être doit mourir mais je ne suis pas prête pour les perdre. Qui l'est ? Papa et maman, parfaits croyants, disent que nous nous retrouverons dans l'au-delà.
C'est ce qu'ils disent mais ce n'est pas ce que je crois. Je ne sais pas ce qu'il y aura après la mort. Un vide, le néant. Le noir. Je ne sais pas, seuls les morts savent.
- J'espère qu'ils vont retrouver l'assassin, soupire mon père.
- Le pauvre enfant, il sera marqué à vie, complète ma mère.
Il y aura toujours quelque chose ou quelqu'un qui nous aura marqué à vie. Peu importe qui ou quoi, on sera marqué. Je redoute déjà le jour où je vais les perdre. Je mange mes fruits en silence, écoutant mes parents parler affaires et autres sujets divers.
Il doit être trois heures de l'après-midi quand je regarde à nouveau mon téléphone. Je n'ai aucune réponse de sa part. Lui non plus n'a jamais été un grand adepte du téléphone, mais il finira par répondre.
Il n'a pas répondu.
Nous sommes mercredi et il n'a pas donné signe de vie depuis vendredi soir. Pas de réponse à mon message. Je ne connais même pas l'adresse de chez lui pour lui rendre visite, je ne connais même pas le numéro de téléphone de son appartement. C'est comme s'il était un fantôme. Je n'ai aucune nouvelle de lui et je commence à m'inquiéter sérieusement. Que se passe-t-il ?
En plus, son attitude étrange était très suspecte. Je ne sais pas où il est, mais je flippe pour lui. Les autres me regardent en ricanant puisque je suis seule. Les autres sont Lisa et sa bande. Bien sûr qu'ils me détestent, pour quelle raison m'aimeraient-ils ? C'est le troisième jour que je suis seule et je n'ai aucune idée où peut être mon meilleur ami. Je ne sais pas s'il est malade ou s'il est arrivé quelque chose de grave. Est-ce normal de ne pas avoir de nouvelle ? Est-ce normal de ne pas savoir où il réside ?
Maman dit que ce n'est pas grave, qu'il reviendra. Papa prétend que n'est étrange de sa part de se comporter ainsi tandis que mes frères et ma sœur haussent les épaules, ils s'en fichent. Je peux les comprendre, ce ne sont pas eux qui vivent en sa compagnie tous les jours depuis onze ans.
Et c'est irréel de me sentir seule. À la bibliothèque, je n'ai personne pour déranger les gens en rigolant. Je n'ai personne qui me volera mes chips. Je n'ai personne pour faire une course poursuite dans l'enceinte de l'établissement. Je n'ai personne comme ami. Personne d'autre que lui. Je suis totalement seule, comme Bruce Wayne.
Et je sais à quel point il est irremplaçable, la preuve, je ressens un profond manque. J'espère qu'il reviendra et que mes dizaines de messages le feront revenir. Pourquoi ne donne-t-il aucune nouvelle ?
En attendant, je dois attendre. Seule parmi les autres.
Samedi. J'ai été à la boxe toute la semaine sans lui, je n'ai toujours aucune nouvelle de lui. Je n'ai pas eu la motivation de manger hier soir, alors à présent, je meure de faim même si une boule au ventre est toujours présente. Je mange en silence, en compagnie de mon frère jumeau qui joue sur son téléphone dernière génération.
Quelques fraises, un morceau d'ananas et une crêpe au Nutella. Je finis par me brosser les dents, m'habiller, sans motivation, comme si j'étais vide. Je suis vide, perdue. Il me manque quelqu'un. Il me manque. Je ne sais pas où il est et je suis terriblement inquiète.
Quand je descends les escaliers, je tombe nez à nez avec ma mère et deux policiers. Je me fige, le coeur cognant fort contre ma poitrine. Il est arrivé quelque chose. Je commence déjà à imaginer le pire, ce que je fais toujours quand je me retrouve dans une terrible situation. Mes mains tremblent et je jette un regard terrifié à ma mère.
- Mademoiselle Milles, il faut nous accompagner au poste de police s'il vous plaît.
- Pourquoi ? demandé-je.
- Cela concerne Jérôme Valeska, nous ne pouvons en dire plus.
Mon cœur se brise un instant avant que je ne me précipite en bas des escaliers pour mettre mes chaussures et une veste en jean par dessus mon sweat. Quand il s'agit de lui, je n'hésite pas une seule seconde. Que se passe-t-il ?
- Tu veux que je vienne avec toi ? demande ma mère, inquiète.
- Non, c'est bon.
Je claque la porte derrière moi, n'osant pas demander aux policiers ce qu'il s'est passé exactement à propos de mon meilleur ami. Un instant, je me dis qu'il est mort et qu'ils veulent m'interroger. S'il l'est, je ne pense pas pouvoir m'en remettre, jamais.
Je m'assois sur la chaise présente en face de moi, dans cette sombre salle d'interrogatoire. Un des policiers qui est venu me chercher s'assoit devant moi, mains croisées sur la table. Mon cœur bat trop vite.
Que s'est-il passé ? Que lui est-il arrivé ?
- Connaissiez-vous bien Jérôme Valeska ?
- C'est mon meilleur ami. Je le connais depuis onze ans.
- Je vois.
- Que se passe-t-il ? demandé-je.
Il prend une profonde inspiration avant de me répondre. Enfin l'instant de vérité.
- Sa mère, Lila Valeska, a été assassinée.
- Oh mon dieu ! m'exclamé-je. Où est-il ? Où est mon meilleur ami ? Je veux le voir !
- Calmez-vous mademoiselle, il s'apprête à être interroger de nouveau.
- De nouveau ? Mais depuis quand est-ce qu'il est ici ?
- Une journée, tout au plus.
Le policer garde son calme tandis que j'ai perdu le mien depuis bien longtemps. Pourquoi a-t-il disparu depuis si longtemps alors ?
- Je veux le voir ! Vous voulez combien ? marmonné-je en sortant de l'argent.
Il écarquille les yeux et se lève aussitôt mais je sais très bien que l'argent l'intéresse.
- Pitié, ne faites pas cette tête ! m'exclamé-je. Vous êtes un flic corrompu, je l'ai remarqué dès le premier regard !
- Excusez-moi ?
- Combien ? Cinq mille ?
Il regarde mes billets avant de me les arracher des mains. Pourquoi est-ce que je me promène avec autant d'argent sur moi ? Parce que c'est dans ces situations que cela est utile. C'est un coup de chance d'avoir autant de liquide sur moi, je ne prends jamais autant.
Le policier ne me fait pas attendre et m'emmène dans une petite salle, derrière une vitre teintée. Dans la salle d'interrogatoire, quatre personnes sont présentes.
Y compris mon meilleur ami.
Je soupire de soulagement en voyant Jérôme, assise sur l'une de ces chaises. À côté de lui se trouve un homme que je reconnais comme le gardien de l'immeuble. Un policier dont je ne vois pas le visage est dos à moi, tout comme une femme, dos à moi, les cheveux coupés jusqu'aux épaules, est debout et appuyée contre le mur, observant la scène.
- À quel point aimais-tu ta mère, Jérôme ?
- Elle comptait beaucoup pour moi.
Il a l'air terrorisé d'être dans cette situation. Je remarque le policier secouer la tête de droite à gauche. J'ai l'impression que mon cœur veut sortir de ma cage thoracique.
- Je crois que tu as tué ta mère, Jérôme. N'est-ce pas ? Tu l'as tué ?
- Tué ? Comment pourrais-je tuer ma propre mère ?
Il est capable de donner des coups, de blesser quelqu'un mais pas de tuer, il est doux comme un agneau.
- Et vous qui êtes son père, vous l'avez protégé, continue l'homme qui interroge mon meilleur ami.
Son père ? Son père est un inconnu aux yeux de Jérôme. Personne ne connaît le prénom du père de mon meilleur ami, nous croyons même tous les deux que ce n'était qu'un homme de passage ou pire, un homme qui a abusé de sa mère.
Cependant, le vieil homme ne dit rien tandis que Jérôme tourne la tête vers le gardien de l'immeuble.
- Mon père ? Tu ne peux pas être mon père !
- Il l'est, nous pouvons le vérifier par un test ADN. Nous pouvons avoir les résultats en moins d'une heure. N'est-ce pas, Lee ?
- Tout à fait, confirme la femme.
Mais dans quel cauchemar suis-je tombée ? Que se passe-t-il ? Mon meilleur ami est incapable de faire du mal au point de tuer une personne, même sa propre mère ! Certes, il me racontait qu'elle n'était pas facile à vivre, mais il ne voulait pas la tuer pourquoi autant !
- Il a raison, je suis ton père.
- Quoi ?
Je suis tout aussi choquée que mon meilleur ami qui paraît complètement détruit. Il secoue la tête de droite à gauche, regardant l'homme droit dans les yeux. J'aimerais le soutenir, le prendre dans mes bras et le réconforter. J'en ai mal pour lui. Comment a-t-il pu regarder grandir Jérôme pendant toutes ces années sans avouer qui il était réellement ? Comment peut-on faire semblant à ce point ?
- Ta mère n'était pas la première femme que j'ai aimé, elle était froide, certes mais je l'aime aimé et elle m'a aimé à sa manière.
Ce n'est pas moi qui pleure pour une fois, c'est Jay. Une larme coule le long de sa joue. Je pose une main sur la vitre. Mon Dieu j'aimerais tellement le prendre dans ses bras pour le soutenir, j'en ai les larmes aux yeux. Jérôme se tourne vers le policier et baisse la tête vers le sol, secoué par des larmes de tristesse. Comment peut-on l'accuser d'avoir tué sa mère ?
Puis, ses tremblements de tristesse finissent par se transformer en un rire diabolique, un rire que je ne reconnais pas. Je retire ma main de la vitre rapidement, comme si elle venait de me brûler. J'ai les yeux écarquillés, le souffle coupé. Je ne comprends pas.
Il dévoile un sourire affreux, diabolique, presque forcé. Son regard est si différent, tellement effrayant, tellement noir. Ses beaux yeux verts n'expriment plus qu'un amusement diabolique. Son rire me transperce le cœur et me fait mal.
Je ne comprends pas. Que se passe-t-il ? Que fait-il ?
- Je savais que tu étais mon père, ricane-t-il d'une voix que je ne reconnais pas, en se tournant vers l'homme. Je le savais depuis un petit moment déjà, je t'ai vu venir.
Le gardien d'immeuble est figé dans une peur comme la femme appuyée contre le mur.
Jérôme a les mains posées à plat sur la table et son regard diabolique se dirige vers le policier.
- Au moins elle m'aura surprise jusqu'au bout sur l'identité de mon père, hoche-t-il la tête.
- Pourquoi as-tu tué ta mère ?
- Vous savez comment sont les mères, pénibles, chiantes.
Le ton de sa voix me paraît loin de tout, irréel, monstrueuse. Il a tué sa mère... non, ce n'est pas possible, pas lui, pas mon meilleur ami...
- Ma mère était une traînée qui couchait à droite à gauche. Elle pouvait être une traînée et chiante. Mais elle ne pouvait pas être une traînée chiante tout en baisant avec un homme quand j'étais dans la pièce à côté ! hurle-t-il en tapant du plat de la main la table.
Je sursaute en même temps que la femme présente dans la salle d'interrogatoire. Je ne sais pas à quoi je dois ressembler mais je sais que je l'ai les yeux écarquillés. Je suis choquée, effrayée par l'attitude et les révélations de mon meilleur ami. Je ne comprends pas, je ne le comprends plus. Je donnerais n'importe quoi pour retourner en arrière et tout changer pour qu'il ne tue pas sa mère.
Jérôme éclate de rire, le même rire fort et diabolique, presque forcé. Ce rire résonne dans la pièce et vient jusqu'à moi pour me glacer le sang. Je suis incapable de faire le moindre mouvement, de bouger ou même de parler. Je ne sais même pas comment je fais pour encore respirer.
- Donc tu affirmes avoir tué ta mère ? Parce qu'elle était chiante ?
- Oui ! Oui ! s'exclame-t-il en se levant.
Mon meilleur ami, devenu complètement fou, tourne ses yeux vers la vitre teintée et sans le savoir, ses yeux se plantent en plein dans les miens. Mon souffle est de plus en plus bruyant, mon cœur cogne si fort contre ma cage thoracique que ça m'en fait mal. Jérôme penche la tête sur le côté comme pour examiner la vitre d'un autre angle et s'avance vers moi. Sans le savoir.
Il ne sait pas que je suis ici, heureusement, je n'oserais imaginer sa réaction. Je ne parviens pas à bouger quand il se plante pile devant moi, c'est comme s'il savait que j'étais présente. Son visage est si prêt de la vitre que je peux voir chaque détail de ses yeux verts. Il étire son sourire jusqu'à en dévoiler toutes ses dents blanches et parfaitement alignées. Et il me terrifie, pour la première fois de ma vie, j'ai peur de mon meilleur ami.
- Toc, toc, toc, fait-il.
À chaque « toc » il donne un coup contre la vitre. Son sourire et son regard sont effrayants. C'est à ce moment que je craque et qu'une larme coule le long de ma joue, sans prévenir. J'ai l'impression qu'elle brûle ma peau. Je cligne des yeux pour chasser les larmes et elles finissent par couler, d'une lenteur incroyable. Je finis par plaquer une main contre ma bouche, détruite par ce qu'il vient de devenir.
- Toc, toc, toc, qui est là ? recommence-t-il.
- Allez, ça suffit.
Il est menotté tandis que le policier derrière moi me fait reculer. Mes jambes semblent fonctionner de nouveau, toutes seules et je m'enfuie de cette pièce pour rejoindre l'accueil du poste de police où grouillent des dizaines de policiers en service.
Je ne retiens pas mes larmes, une main contre la bouche, l'autre contre mon ventre. J'ai tellement mal, j'ai envie de vomir.
Je ne pensais pas qu'il allait me voir mais quatre policiers se tiennent autour de lui, Jérôme menotté, affichant un sourire terrifiant, comme le joker sur une carte de jeu. Il est terrifiant. Plus rien autour de moi ne peut me perturber, mes yeux braqués sur lui. Le bruit autour de moi semble s'évanouir. Même mon cœur est plus bruyant que le bruit en lui-même.
Jérôme tourne la tête dans ma direction, m'apercevant enfin. Je ne pensais pas qu'il allait me remarquer mais il le fait et se met soudainement à éclater de rire comme il l'a fait précédemment dans la salle d'interrogatoire. Son rire résonne dans le poste de police et tout le monde le regarde, terrifié. Moi y compris.
Son regard est différent, ce n'est pas celui que j'ai connu. »Et puis, tu connais la suite. Je suis rentrée en pleurant, j'ai foncé tout droit aux toilettes pour vomir et tu m'as tenue les cheveux. J'étais en larmes, déboussolée, désorientée, détruite.
Je ne croyais pas ce que je venais de voir, je pensais faire un cauchemar. Il me devait une explication, je devais savoir ce qui lui avait pris. Mais comment lui parler ?
Ils l'ont envoyé à Arkham, cet asile de fous parce qu'il était devenu fou. Complètement cinglé. Je ne savais plus qui il était, je venais de le perdre. Quelques fois je le retrouve mais ce n'est plus comme avant.
Et à cette époque, j'avais beau me dire que je venais de le perdre, je ne parvenais pas à le sortir de ma tête. Je ne parviens toujours pas à le sortir de ma tête, même après tout ce qu'il a fait.
Je l'aime, Zafrina. Personne ne pourra m'enlever ça. Je parie que tu vas le détester, je parie que tu as la haine en ce moment même. Je parie même que tu pleures. Oh maintenant tu peux pleurer, fais ce que tu veux après tout. Je ne peux pas contrôler tes émotions, après tout, personne n'a pu contrôler les miennes.
Tu peux prendre une pause, tu n'es pas obligée de lire tout de suite mes prochains écrits.
Rappelle-toi malgré tout petite sœur, que tu es dans mon cœur.
