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« la douleur est pire que la mort, parce qu'on se sent mort sans être pourtant mort »

- note à moi-même

     Tu te souviens du jour où je suis tombée dans la rue ? Tu te souviens du jour où je me suis brûlée la paume de la main sans le faire exprès ? Tu te souviens du jour où je suis tombée du haut d'un mur de trois mètres ? Tu te souviens quand je me suis cassée la main gauche ?
     Bien sûr que tu t'en souviens, tout le monde se souvient de mes catastrophes. Une fois, j'ai dit que je n'avais pas besoin de protection, que je n'avais besoin de personne pour me protéger.
     Et au final, j'en avais véritablement besoin, ils l'ont compris bien avant moi. Mais je refusais ce jour-là, tu te souviens ? Te souviens-tu du soir où ils sont venus, après l'épisode du matin ? Tu sais, ce matin que je t'ai raconté dans la page précédente.
     Figure-toi que tu ne sais pas tout, pas ce qu'il s'est passé ensuite.

     « Maman les laisse entrer, ils ont une expression sérieuse collée au visage.
- Comme vous avez pu le voir, Jérôme Valeska s'est échappé. Votre fille, ayant été proche de lui, se trouve être en possibilité de danger.
     J'éclate de rire quand le policier termine sa phrase. Je suis certainement plus en danger avec les policiers de la ville qu'avec lui. Les trois quarts des policiers de la ville sont sous les mains de Falcone, un trafiquant de drogue impossible à faire tomber.
- Jérôme ne me fera aucun mal ! ricané-je.
- Il a tué sa mère, il peut très bien vous tuez.
     Cette fois je ne rigole pas puisqu'il n'a pas véritablement tord. Mais je le connais par cœur, Jérôme ne me fera aucun mal, pas à moi, pas à sa meilleure amie.
- Qu'est-ce que cela implique ? demande mon père en croisant les bras en même temps que ma mère.
- Nous allons poster quelques collègues autour de la maison à partir de ce soir. Si vous voyez quoi que ce soit de suspect, faites-nous signe.
- Il ne me fera jamais de mal, dis-je encore une fois. Je suis sa meilleure amie !
- Cela n'empêche rien, Katerina, gronde ma mère.
     Je secoue la tête de droite à gauche. Ils ne comprennent pas, ils ne comprennent jamais rien. Comment pourrait-il me faire du mal ? Après tant d'années passées ensemble ? Impossible.
- Ne me croyez pas si vous le voulez, mais c'est mon meilleur ami. Je suis sa meilleure amie. Il ne me fera jamais de mal, je peux vous en assurer.
Je lance le plus atroce des regards à toutes les personnes présentes dans la pièce, y compris ma sœur. Je me sens mal face à toute cette situation, que suis-je censée faire ? Rester les bras croisés et attendre que le temps guérisse mes blessures ? Attendre d'oublier mon meilleur ami meurtrier ? Je ne sais plus quoi faire, je suis perdue.
     Comme une étrangère dans un autre pays. Combien de fois ai-je voyagé avec lui ? Au moins une dizaine. Mes parents savaient particulièrement bien que Jérôme ne partirait jamais en vacances, faute de moyens. Mais mes parents étant mes parents, ils faisaient en sorte qu'ils partent avec nous. Mes parents ont toujours été présents pour lui, comme s'il faisait parti de la famille, un peu.
     Maintenant ce n'est plus le cas. Je crois qu'ils se sentent autant trahis que moi, dégoûtés d'avoir côtoyé un assassin, un matricide. Je ne peux contenir mes larmes quand je claque la porte de ma chambre et la ferme à clé. Les larmes coulent toutes seules car j'en ai assez de ce cauchemar. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter cela ? Pourquoi a-t-il décidé de passer du côté obscur ? Pourquoi a-t-il décidé de tout changer ?
Je ne comprendrais jamais son choix. Ai-je été trop présente pour lui ? Pourquoi a-t-il décidé de m'abandonner d'un coup, sans prévenir ? Je le déteste pour cela, je le hais pour cela.
La nuit tombe vite, mes parents m'appellent pour aller manger mais je ne descends pas. Je n'ai pas faim, je n'ai pas envie de manger, bien trop dégoûtée de tous ces événements. Cela doit faire quelques heures que je suis couchée sur mon lit à laisser couler les larmes le long de mes joues. Quelques fois, elles s'arrêtent jusqu'à ce qu'elles reprennent au bout de quelques minutes.
Depuis des semaines déjà, depuis qu'il a tué sa mère, je ne suis plus la même. En se changeant lui-même, il m'a changée au passage. Je rigolais tout le temps avant, j'étais connue pour mon sourire et mon rire au lycée. Les gens disaient que j'étais trop joyeuse et que je voyais le meilleur de la vie. Parce que j'avais le meilleur à mes côtés.
Plus rien n'est comme avant et je le sera plus, il en a décidé ainsi pour nous deux et je trouve cela injuste. J'aimerais comprendre ce qui a bien pu se passer dans sa tête. Que s'est-il passé ? Est-ce à cause de moi ?
Je ne parviendrais pas à me l'imaginer si c'était le cas. Qu'aurais-je pu faire de si mal ?
Je pris pour que quelqu'un m'aide mais personne ne pourra m'aider. Quand nous sommes morts de l'intérieur, seule la personne qui nous a fait mourir et capable de nous ranimer.
- Toc, toc, toc. Devine qui est là.
Je fais un bond, tombant de mon lit et me cognant l'orteil dans la table de chevet. La lumière s'allume et éblouie mes yeux quelques secondes avant que je n'aperçoive Jérôme, sourire sanglant collé au visage, près de l'interrupteur. Comment est-il rentré ? Comment a-t-il évité la police ? Je me précipite à la d'être pour remarquer que les deux agents qui sont censés me surveiller sont à terre, endormis ou morts.
- Ils ne sont pas morts, ajoute mon meilleur ami.
- Depuis quand es-tu dans ma chambre ? essuyé-je mes larmes.
- Assez pour t'avoir entendu et vu pleurer.
Il est vêtu de vêtements moulant. Son t-shirt est coloré, rouge comme le sang. Nous restons silencieux quelques secondes avant que je ne lui saute dessus, trop enragée et blessée par lui. Si seulement il pouvait redevenir celui qu'il était auparavant.
Il se dégage avec souplesse de mon emprise, comme un félin, sourire ironique collé au visage.
- Je vais te tuer, dis-je.
- Oh ma beauté, nous savons que tu en serais incapable, se moque-t-il.
- Va au diable ! crié-je. Pourquoi est-ce que t'as fait ça ? Pourquoi ? Donne-moi une seule raison !
- La haine fait faire d'étranges choses, s'amuse Jérôme.
Je lâche un ricanement incontrôlable, ou plutôt une moquerie.
- Tu veux parler de haine à présent ? Je vais t'en parler de la haine, je m'y connais depuis ta putain d'évasion !
Énervée au beau milieu de la nuit, je soulève mon t-shirt jusqu'en dessous de mon sein où sur mes côtes, un hématome bleu violacé est apparu il y a quelques heures à cause de ce qu'il s'est produit ce matin. Je ne pensais pas que j'avais reçu aussi fort une pierre, je n'avais presque rien senti d'ailleurs puisque l'adrénaline me faisait courir. Elle faisait terre les douleurs.
Il y a d'autres hématomes dans mon dos mais celui-ci est le plus gros. Et ça me fait terriblement mal. C'est tellement douloureux.
Jérôme ne sourit plus, ne s'amuse plus et se contente de me regarder, les dents serrés, un sourire crispé et façonné dans la colère.
- Tu vois ça ? dis-je plus en colère qu'il y a quelques minutes. C'est de ta putain de faute, Valeska !
- Comment ça ?
- J'étais au lycée ce matin. Ils ont passé ta photo à la télévision, tout le monde s'est retourné contre moi, m'insultant de monstre. Parce qu'ils croient que je suis comme toi alors que je ne le suis en rien. J'ai été insultée et ils m'ont même lancée des pierres, comme si je devais être lapidée.
Son silence veut tout dire. Au fond, il n'a pas totalement disparu, il reste toujours le même. Une lueur dans son regard me le prouve.
- Tout est de ta faute, Jérôme. À cause de toi, les gens me détestent.
- Tu ne crois quand même pas que je vais gober ça ? dit-il avec une voix théâtral.
- Alors tu te fiches complètement de ce que ta meilleure amie peut bien subir à cause de tes actes ? Tu te moques que les autres lui fassent du mal ?
Il lève les yeux et hausse les épaules, souriant. Cela le fait marrer alors qu'il ne devrait même pas rigoler.
- Tu me fais du mal et tu t'en fiches complètement.
- Je ne vais pas te mentir. La réponse est oui.
- Je suis morte.
Il fronce les sourcils, ne comprenant pas, se balançant d'avant en arrière comme si cette discussion était amusante. C'est à cela que se résume notre relation à présent ? Lui à se moquer et s'en moquer et moi à pleurer et le regretter ?
- Je suis morte, Jérôme.
Il me regarde droit dans les yeux, me prenant au sérieux cette fois-ci. Les larmes commencent à revenir car pour lui je ne suis plus rien.
- Tu m'as détruite de l'intérieur et t'es parti comme un voleur. Tu as fait quelque chose de monstrueux et tu as tellement changé que je ne parviens pas à te reconnaître.
     Une larme coule le long de ma joue, comme une longue goutte d'eau glissant le long d'une vitre.
- Et t'es plus le même. Il y a quelque chose de sombre en toi que je ne parviens pas à décrire. Tu sais quoi ? Ça me fait mal, ça me tue. J'ai le cœur en miettes à cause de tes putains de conneries alors tu n'as pas le droit de te foutre de ma gueule. T'as pas le droit de revenir comme une fleur pour me provoquer parce que je te jure, j'ai tellement envie de te faire du mal.
     Son regard perçant ne quitte pas mes yeux humides et dont les larmes s'échappent en abondance. Je renifle plusieurs fois, la poitrine se soulevant également, la respiration se faisant plus intense.
- Tu me regardes comme si tout ce que je venais de dire était drôle et putain, tu n'avais jamais fait ça avant. Et tu vois, je parle avec vulgarité. Putain de merde, tu me fais chier. Je te jure, tu me fais tellement chier que j'ai envie de te détester. J'ai tellement envie de te haïr mais je n'y arrive pas, c'est impossible.
- Pourquoi ?
- Ne me coupe pas la parole, Valeska ! crié-je.
     Il lève les mains vers le ciel, faisant les gros yeux.
- Je n'arrive pas à te détester et putain, ça me fait trop chier. Tu sais pas la raison pour laquelle je n'y arrive pas. Tu ne sais rien et ça me fait trop mal au cœur, ça me détruit de l'intérieur, tu ne peux pas savoir à quel point, dis-je en montrant mon cœur du bout des doigts.
- Katerina, me coupe-t-il la parole une seconde fois.
- Ta gueule Jérôme. Sincèrement, ta gueule. Laisse-moi te parler.
- Je n'ai pas le temps.
- Tu vas prendre le temps pour moi ! dis-je d'une voix autoritaire.
- Bien sûr !
     Il se dirige tout droit vers la fenêtre ouverte, prêt à sauter.
- Tu me dois bien ça ! crié-je, me moquant de réveiller les autres. Après tout ce qu'on a vécu tous les deux, tu me dois bien ça ! Tu me dois de m'écouter !
- Je ne te dois rien.
- Bien sûr que si ! Qui a toujours été présente pour toi ? Qui a toujours essayé de te filer de l'argent ? Qui a toujours été présente pour toi quand les autres se foutaient de ta gueule à cause de ta couleur de cheveux ? Qui te réconfortait quand ta mère faisait n'importe quoi ?
- Arrête, ça ne marchera pas.
- Qui est la personne qui a été présente du début à la fin ? levé-je encore plus la voix.
     Il baisse les yeux car il sait que j'ai parfaitement raison. Je me moque de savoir si mes parents peuvent débarquer d'une minute à l'autre dans ma chambre, je me moque de savoir si je suis en passe de recevoir la punition du siècle. Mon seul et unique but est de l'atteindre au plus profond, quitte à pleurer comme une madeleine. Je sais qu'il est toujours là, au fond de lui.
- Alors ne dis certainement pas que tu me dois rien parce que tu me dois tout, tu sais parfaitement que j'ai raison ! montré-je du doigt le sol en une larme.
Je lève le menton, un peu, histoire de faire la fière bien que je ne le sois pas. Juste en apparence.
- Tu me dois tout. Tu me dois absolument tout. Tu me dois une explication par rapport à tout ça. Tu me dois de ne pas m'abandonner.
- Je te dois une seule chose. Partir. C'est tout ce que je peux faire de mieux, Katerina. Pour toi.
     Il se laisse tomber dans le vide, disparaissant dans le noir de la nuit tandis que l'air glacé me pétrifie. »

      Il est venu me retrouver, il est entré dans la maison et vous ne saviez pas. Il y a d'autre chose dont vous ne savez rien, des choses dont tu dois savoir à présent.
Je sais que je te fais du mal en t'écrivant cela mais peut-être que dévoiler toute l'histoire pourra te permettre de me pardonner et de me laisser partir plus facilement.
J'espère que tu me pardonneras Zafrina.

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