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« c'est dans la frayeur qu'est né le besoin inconditionnel de l'aimer »

- note à moi-même

Désolée, tu sais. J'ai pas su être la bonne sœur, celle que tout le monde espérait que je sois. Tu m'as demandée d'aller au cinéma avec toi hier et j'ai refusé parce que je devais le voir. Tu vois, je suis une putain d'égoïste.
Et je m'en veux de te faire souffrir. Je t'ai promis d'être plus présente pour toi, et voilà comment je tiens ma promesse. En te fuyant. Je ne veux pas que tu souffres de me voir dans cet état, loin de lui. Maintenant c'est du passé. Je dois sûrement être morte.
     Crois-moi, je n'ai pas le choix en vous faisant du mal. Alors maintenant je vais te raconter ce qu'il s'est passé par la suite.
     La semaine a été longue après que je sois revenue de chez la police. J'ai pleuré toutes les nuits, ça tu le sais déjà. Mais ce que tu ne sais pas, c'est que mon cœur était totalement vide. J'avais l'impression d'avoir perdu la plus grande partie de moi-même. Il est parti avec, il m'a tout pris du début à la fin.
     Papa et maman m'ont interdit de le revoir, mais tu étais là. Tout le monde était là d'ailleurs. Tu m'as vue pleurer, fondre en larmes comme jamais. T'as assisté à ça et j'en suis désolée. Mais personne n'a remarqué à quel point je venais de tomber, à quel point tout s'était effondré à l'intérieur de moi. Le vide absolu, voilà ce que c'était. Je suis tellement désolée si tu savais.
- Comment ça, Jérôme Valeska a tué sa mère ? Comment ça, il est matricide ? s'est exclamée maman.
- Nous t'interdisons de le revoir ou essayer d'entrer en contact avec lui ! a hurlé papa, fou de colère.
     Je me souviens de tout du début à la fin comme si c'était hier.
- Vous ne pouvez pas m'interdire de le revoir ! ai-je hurlé en pleurant.
- Comment oses-tu dire ça ? a dit papa. Comment oses-tu dire ça alors qu'il a tué sa mère ? Bordel Katerina Milles, c'est un meurtrier, un fou !
- Non c'est faux ! Il doit forcément avoir une explication !
- Une explication à quoi Katerina ? a hurlé maman à son tour. Il n'y a pas d'explication, c'est un assassin qui mérite d'aller à Arkham !
     On hurlait à s'en faire mal la voix. Je pleurais au point que mes larmes roulaient le long de mes joues et dans mon cou. Et leur regard, j'ai détesté leur regard. Au fond, j'essayais de trouver une explication aux agissements de J. J'essayais de trouver quelque chose pour le défendre mais je n'avais rien. Et je ne voulais rien entendre qui puisse être en sa défaveur.
     La semaine qui a suivi au lycée était l'une des pires. J'ai jamais été aussi seule de toute ma vie. Lisa et sa bande se moquaient bien mais je m'en contrefichais. Certaines filles de ma classe ont essayé de m'intégrer à leur groupe voyant ma solitude à son apogée mais je suis restée seule.
     Parce que j'avais besoin de personne d'autre que lui.
     Parce que j'ai besoin de personne d'autre que lui et désolée si je te blesse pour ça, pardonne-moi je t'en supplie mais j'ai plus besoin de lui plus que de toi. Pardonne-moi petite sœur.
     Les gens de ma classe me demandaient pourquoi il était absent et à chaque fois je répondais que j'en avais pas la moindre idée. J'ai même dit qu'il avait sûrement déménagé, sans prévenir, j'ai dit qu'il ne me répondait pas par message.
     J'ai dit qu'il m'avait abandonnée.
     Vous ne m'avez pas vu pleurer les nuits qui ont suivies la semaine là. Vous aviez même cru que j'étais passée à autre chose parce que j'ai cessé de pleurer. Je n'ai pas pleuré devant vous mais Dieu seul sait à quel point mes larmes ont coulé pendant des heures durant ces nuits.
     Ces nuits d'ombre. À cet instant, je me suis sentie morte. À l'intérieur j'étais morte. Je ne sais pas si tu connais cette sensation Zafrina et j'espère que tu ne la connaîtras jamais. Tu vois, je me sens en vie quand je suis en danger. Drôle de sensation non ? Pour moi c'est ça de se sentir mort à l'intérieur.
     C'est avoir besoin du danger de mort pour se sentir en vie.
     J'ai tenu trois semaines avant de m'y rendre. Personne n'est au courant, pas même les parents. Mais maintenant je peux l'écrire, je dois être morte. Tu peux même le dire, je m'en fiche, je suis morte. Autant salir mon image jusqu'au bout.
     Oui, tu as bien lu, je suis allée le voir. Tu sais, là-bas, dans cet endroit flippant de malades mentaux. Parmi ceux qui tuent pour le plaisir.
     Je parie que tu as la bouche grande ouverte en lisant ce que j'ai écrit. Vous n'étiez pas au courant mais après trois semaines de solitude et d'errance totale, j'ai décidé de me rendre à Arkham.
     Je suis allée en terre inconnue, à l'aveugle. Les heures de visite sont courtes mais pour lui, je ferai n'importe quoi. Pour lui ça en vaut la peine.
     J'ai du me débarrasser de tous mes objets personnels, même de mon téléphone. J'ai été escortée jusque dans une pièce située à l'autre bout d'Arkham, passant par des couloirs qui m'ont glacée le sang.
     Il y avait des personnes qui rendaient déjà visite aux prisonniers. C'était une grande salle lumineuse avec des tables et des chaises où nous étions libres de parler comme on le voulait. Bien sûr, nous étions surveillés.
     Je me suis assise à une table, les mains croisées en dessous de la table, attendant son arrivée. Mon cœur battait à fond, je me sentais en vie à cet instant parce que je savais que j'allais le revoir après trois semaines. Mon Dieu trois semaines, c'est tellement long.
     Quand il est arrivé dans mon champ de vision, je n'ai pas osé faire le moindre mouvement.
     Jérôme portait un uniforme de prisonnier blanc rayé vert sapin. Il était menotté quand il est arrivé jusqu'à moi, ses cheveux roux toujours coiffés de la même manière que d'habitude. Il y a juste l'expression de son visage qui était différente, comme celle que tu connais maintenant.
     Est-ce que tu te souviens de l'ancien Jérôme ? Celui que tu aimais bien ? Oublie-le. Je n'ai pas réussi le premier coup, ce jour-là quand je suis venue le voir. Je n'ai pas réussi, je me suis accrochée à l'ancien lui.
     Toi, je parie que tu l'as déjà oublié. L'ancien, je veux dire. Pas le nouveau. De toute façon nous sommes morts.
     Il s'est assis en face de moi en souriant de toutes ses dents, avec un petit rire, celui que tout le monde imite mais que personne ne sait aussi bien faire que lui.
- Bouh ! a-t-il fait en formant un O avec ses lèvres.
Je n'ai pas osé répondre, j'étais au bord de pleurer, je retenais mes larmes encore et encore, un véritable combat qui luttait à l'intérieur de moi.
- Quoi de neuf ? a-t-il sourit.
- Quoi de neuf ? ai-je répété. Tu plaisantes ?
     Il a hoché la tête de droite à gauche en regardant le plafond et le bruit autour de nous me paraissait inexistant.
- Pourquoi est-ce que t'as fait ça ? Pourquoi tu as tué ta mère ?
    Tu te souviens de la couleur de ses yeux Zafrina ? Ils étaient verts. Tu te souviens ? Et bien ce n'était plus le même vert bien qu'ils soient restés de la même couleur. En fait, ils reflétaient sa nouvelle personnalité, ce qu'il est devenu aujourd'hui. Et ça me fait encore mal de penser à ce jour où il ne me regardait plus de la même manière qu'avant.
     Quelqu'un t'a déjà regardé d'une manière que tu peux expliquer et par la suite, ne te regardait plus comme avant ?
- T'as déjà eu envie de tuer ta mère, serrer son cou entre tes mains ? Le serrer jusqu'à ce qu'il éclate ? a-t-il mimé les gestes de quelqu'un qu'il est en train d'étrangler.
     Je me souviens comme si c'était hier, il a terminé sa phrase en souriant et en même temps en le serrant, tel un vrai psychopathe. Puis, il a penché la tête sur le côté, continuant.
- T'as déjà eu envie de ne plus voir son misérable visage au point de lui trancher la gorge ? De réduire sa putain d'existence à rien ?
- Non ! ai-je crié pour l'arrêter. Tu en avais l'envie ?
     Il a plaqué sa main contre son visage en criant un gigantesque oui, tout cela suivi d'un rire hystérique. Je n'ai pas compris, même encore aujourd'hui je ne comprends pas.
- Pourquoi est-ce que tu as fait ça ? Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ? Nous sommes meilleurs amis.
     Une larme a coulé seule, suivie d'une autre. Il a arrêté de rire, il s'est figé et il venait de me blesser profondément.
- Tu viens de gâcher ta vie, Jérôme. Tu viens de la ruiner.
- Non, je viens de renaître, m'a-t-il contredit en rigolant.
- Putain de merde, Jérôme Valeska ! Il n'y a rien de drôle !
     Et tout le monde sait que quand je dis des gros mots, ce n'est pas bon signe. Il m'énervait parce que je ne le comprenais pas sur ce coup, je ne le comprends toujours pas aujourd'hui. Quoi ? Il trouve ça marrant d'avoir tué sa mère ? Non, même encore aujourd'hui je ne trouve pas ça drôle.
     J'ai failli lui donner une claque ce jour-là mais vu qu'il a été capable de tuer sa mère, je parie qu'il aurait été capable de me faire du mal.
- Qu'est-ce que tu crois ? ai-je continué à dire en pleurant. Que c'est drôle d'être dans cette situation ? Putain de merde, il n'y a que toi que cela fait rire ! Et puis quoi ? Tu crois que tu vas tenir des mois ici ? Ils ne feront qu'une bouchée de toi, tu n'es qu'un matricide, Jérôme Valeska.
Il a sourit de la même manière précédemment, penché la tête sur le côté en tenant sa tête de la paume de la main, accoudé à la table.
- Tu vois le type aux cheveux bouclés derrière toi ?
Je me retourne vers l'homme avant de le regarder à nouveau.
- Il a dévoré des femmes. Je suis ami avec lui. Tu vois le grand type chauve près de la porte ?
Je jette un coup et le gars me regarde en plissant les yeux avant que je ne pose mon regard sur Jérôme.
- Il a tué sa famille à mains nues. Je suis ami avec lui. Tu veux que je continue ?
- Ami avec eux ? ai-je éclaté de rire ironiquement. Nous savons tous les deux que tu es incapable de te faire des amis et que je suis la seule personne qui compte à tes yeux. Ne me fais pas croire le contraire.
Jérôme reprend son rire hystérique, ce qui vaut une nouvelle larme. Je ne parviens pas à lire dans son regard s'il se moque de moi ou non.
- Et toi Katerina, ça te plait la solitude dans le monde extérieur ?
Il s'était moqué sur le fait que je sois seule au lycée. Il savait parfaitement bien que cela allait m'affecter mais tout ce qu'il voulait était me blesser. Bien plus tard, il s'est excusé.
Mais je garde encore les traces douloureuses des insultes et des moqueries des autres.
Tu verras par la suite petite sœur que ma vie n'était là d'une partie de plaisir.
Je suis partie sous son rire diabolique. Je ne me suis pas retournée et je pleurais et ça, il le savait.
Vous n'avez jamais su que je lui aie rendu visite.

psychotic loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant