Les parents ne m'ont pas vue depuis plus d'un maintenant. Limiter les contacts, prétexter avoir trop de travail, tel à été mon quotidien. New-York me fait encore plus souffrir quand j'y mets les pieds, plus que quand je pense à cette ville.
Heureusement, il faut simplement tenir une semaine. Une petite semaine et tout ira bien. Une semaine, ce n'est pas si long quand on y pense.
Toute la famille est réunie pour mon retour, le retour de l'enfant prodige qui va publier sa première histoire dans quelques temps. Tous les fans ont hâte, plus que moi en tout cas, étant donné que je ne parviens pas à ressentir quoi que ce soit de bon.
— Je suis si contente de revoir enfin ! s'exclame ma mère en me prenant dans ses bras.
Depuis que nous avons appris pour ma maladie, le trouble de borderline, ma mère a totalement changé. Elle est plus attentionnée, moins faite de glace qu'au temps où ma sœur était encore en vie. Mon père en est très heureux d'ailleurs.
C'est un peu comme si tout était devenu normal, sauf que la normalité n'existe pas dans la famille Milles.
Malheureusement.
Ma chambre est toujours la même, bien qu'il n'y plus aucun vêtement dans mon armoire, plus aucune décoration sur les murs. Non, en fait, elle est totalement différente d'il y a deux ans.
Je secoue la tête de droite à gauche avant de descendre ces escaliers que j'ai descendu tant de fois autrefois. J'annonce à ma mère que je sors au centre commercial, prétextant avoir oublié quelque chose à Los Angeles et que je dois acheter impérativement.
Je connais New-York par cœur. Et cette ville m'étouffe, à chaque fois que j'y mets les pieds. Je ne suis plus à ma place dans cette ridicule petite partie du monde. En marchant dans la rue, une affiche attire mon regard et me fait arrêter. Les bras le long du corps, j'observe une affiche où est représenté un homme, le poing tendu, semblant tenir quelque chose. Son poing est dégoulinant de sang tandis que son visage est abîmé, comme s'il avait reçu des coups. L'affiche est très réaliste et me fait froid dans le dos, surtout par le sourire pas vraiment souriant de l'homme représenté.
En-dessous est écrit quelques mots en caractère gras.OÙ ES-TU BATMAN ?
Je détourne les yeux et reprend ma marche, accompagnée de souvenirs qui me reviennent, malheureusement. Et j'essaie de respirer calmement, de me concentrer sur autre chose que lui mais je n'y parviens pas. Je n'y arrive pas. Son visage réapparaît dans mon esprit, encore et encore.
J'aimerais plutôt être morte que revoir tout cela, mais malheureusement je ne le suis pas. Les poings serrés, je rentre dans le centre commercial. Des policiers fouillent les sacs des gens, un par un, veillant à ne pas laisser entrer une arme, une bombe.
Oublier, c'est ce pourquoi je suis là. Mais comment ? Alors comme ça Batman, l'incroyable Batman a disparu ? Bizarrement, cela correspond au jour où je suis partie, il y a deux ans.
J'imagine qu'il a probablement utiliser le programme Table Rase.
Par pure ou non, je tombe nez à nez avec des personnes qui étaient autrefois des amis pour moi. Je me fige, interdite quand ils s'approchent de moi. La blague. Mon sang est en train de bouillir.
— Zafrina !
Comme quoi, porte des lunettes de soleil ne me rend pas méconnaissable, à mon plus grand désespoir. Ils vont se payer ma poire, j'en suis sûre. Je retire mes lunettes.
— Comment vas-tu ?
Alors que je m'apprête à mentir que tout va parfaitement bien, que ma vie roule comme sur des roulettes, que je ne suis pas triste, blessée, au bout du rouleau, mon regard se pose ailleurs. Comme si tout se déroulait dans un film, tout se passe au ralenti, du moins en apparence. Au loin, tellement loin et pourtant si proche, il est là.
Il est là.
Et j'aurais tellement aimé que ce soit ma sœur, que je la prenne une dernière fois dans mes bras, que je lui face ressentir toute la haine et la douleur de mon cœur. Mais ce n'est pas elle, c'est pas ma sœur qui me coupe le souffle.
L'amour que je lui porte n'a pas disparu, cet amour pour lui est d'une puissance folle. C'est paralysant.
Je secoue la tête quand l'homme que je fixe depuis un moment n'est pas l'homme que je croyait qu'il soit. Cette ville va me rendre dingue.
Oubliant les politesses, j'envoie balader mes ex amis et me dirige vers la sortie du centre commercial. Avoir des visions de son ex n'est pas vraiment le top du top. L'air glacé me fait du bien, cela change de la température de Los Angeles. Mais malgré cela, j'ai l'impression que l'atmosphère est étouffante. Simplement parce que c'est New York et que je déteste cette ville par-dessus tout, mais pas autant que ma défunte sœur.
— Respire, me dis-je à moi-même.
Une grande bouffée d'air me fait du bien, bien que l'air de la ville soit polluée à souhait.
C'est quand je lève les yeux que mon corps s'anesthésie de lui-même, que cela me rappelle à quel point je déteste cette ville, cette vie et tous les souvenirs. Chaque respiration que je prends m'est douloureuse, chaque expiration est dix fois pire.
— Non, murmuré-je.
Lui aussi a les yeux que moi.
Lui aussi ne peut décrocher son regard du mien.
Et lui aussi a l'air de ressentir les mêmes émotions que moi.
Déstabilisée, je suis incapable de bouger. Évidemment, il fallait que ça arrive un jour, mais le plus tard possible voire jamais aurait été mieux. Je déteste ma vie, je déteste mon ancienne vie. Je déteste tout. Mais pas lui, je ne peux pas le détester.
Bruce s'approche de moi en évitant les personnes, ne les touchant même pas d'un millimètre. Et quand il arrive auprès de moi, quand il s'arrête devant moi, j'arrive même plus à respirer.
Le monde pourrait s'arrêter que je ne m'en apercevrais même pas.
Ses yeux noirs sont exactement comme dans les souvenirs, à la lumière de son visage si peu expressif. À chaque fois t'as l'impression de te prendre un mur, si puissant, si violent.
— Salut, Zafrina, souffle-t-il. Comment vas-tu ?
Mal, tellement mal. Jenifer envie de le lui hurler, de lui dire que la douleur m'a engloutie comme un tsunami engloutissant des villes et les littoraux. Mais tout ce dont je suis capable en le contemplant c'est de lui répondre positivement.
— Bien et toi ?
— Bien également.
Je m'apprête à lui demander ce qu'il fait de sa vie en ce moment mais une fille lui saute dessus pour l'embrasser sans le cou. Je fais un pas en arrière, lèvres pincées.
Évidemment, il en aime une autre.
Évidemment.
Bruce se racle la gorge avant de me présenter à sa copine.
— Je te présente Irina. Irina, voici Zafrina, une amie de longue date.
Voilà qui m'apprendra, je ne suis plus qu'une amie à ses yeux même si en vérité, je n'ai jamais été grand chose à ses yeux. La fille me sourit et me fait la bise. Elle a l'air d'avoir mon âge.
— Vous êtes ensemble depuis combien de temps alors ? demandé-je.
— Quelques jours ! Bruce est un véritable amour avec moi.
Elle hausse les épaules et s'accroche au bras du grand brun.
Je l'avais dit que New York est la ville que je déteste le plus au monde. Il s'y passe toujours quelque chose que je déteste, comme Bruce avec cette fille. Je mentirais si je disais que je ne suis pas jalouse. Je mentirais parce que je suis complètement et totalement jalouse.
Irina part l'attendre à la voiture, des sacs à la main.
— Elle est belle, dis-je.
— Pour t'avouer, j'aurais aimé que cette situation n'arrive jamais.
Moi aussi. Au bout d'un moment, quand nous nous sommes trop regardés droit dans les yeux, je prétexte que j'ai à faire. Je recule de quelques pas en hochant la tête.
— C'était bon de te revoir, Wayne.
Et puis si je suis partie, c'était surtout pour l'oublier, car j'ai su à l'instant où j'ai appris la vérité sur Batman, qu'il n'y avait pas de possibilité d'un « nous » entre Bruce et moi.
C'est comme ça, parfois des personnes s'aiment trop et ne peuvent pas pour autant être ensemble.
Bruce a un regard qui en dit long, il ne parvient même pas à articuler le moindre mot.
Alors je pars, comme je l'ai fait il y a un an.🤡
...
à suivre