26-Le temps d'un adieu.

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Le plafond bas du ciel, couverture de nuages gris, premiers signes de la transition saisonnière, donnait un aspect laiteux à l'aurore finissante. Les sommets étaient à peine visibles et le vent, descendu du plateau himalayen, n'engageait pas les soldats fumeurs à traîner dehors.

Gu Hai écrasa un mégot dans le cendrier à l'entrée du dortoir. Il gratta les quelques graviers sous les sandales, salua un camarade et monta les deux étages. Chacun allait et venait entre les pièces d'eau et sa chambrée.

Il y avait déjà des disputes entre les retardataires et ceux, sans gêne, pourvoyeurs de toutes sortes de bruits désagréables à l'oreille émergente. Il y avait les lève-tôt, toujours prêts avant tout le monde, souvent de bonne humeur aussi. Les traînards, pour qui chaque matin était un calvaire. Les mecs organisés comme la stratégie idéale, pour ne pas perdre une minute, sans se presser. Il y avait également les gars qui ne connaissaient pas la pièce d'eau ou de très loin. Ils étaient vite repérés et subissaient la foudre de leurs camarades de chambre quand l'odeur dépassait l'entendement.

Gu Hai connaissait tous ses rites depuis longtemps et pourtant, il aimait prendre la température dans ces moments où les hommes n'étaient pas encore tout à fait des soldats. Ils témoignaient pour lui d'une réalité : on ne naît pas soldat, on le devient.

Il alla à son armoire et enleva la veste de survêtement Il prit sa trousse de toilette. Accrochées sur un battant, il regarda un instant les photos de sa mère et de Luo Yin, les toucha comme pour mieux réaliser leur existence. Il respira profondément.

Le bruit du plastique froissé le tira de sa rêverie.

-Pas encore sous l'onde matinale, mon frère ? Gu Hai connaissait les mimiques de son ami. Dao Lee avait pour habitude de tout envelopper dans des petits sacs en polyester. Il avait gardé ce procédé depuis son enfance et les départs précipités avec sa mère, des différents logements à Hong-Kong. Dès la nature de la religion familiale, les origines et le statut de femme seule connus par les propriétaires, ils étaient chassés. Le mot venait de Dao Lee. Il l'avait tant entendu de la bouche de sa tutrice. Le calme des déménagements arriva quand il eut une dizaine d'années et l'aide du grand-père paternel, refusée jusqu'ici. Dao Lee était marqué par cette période et parfois la nuit, il se réveillait en sursautant au moindre bruit.

-J'aime prendre mon temps... Dao Lee était anxieux en ce jour spécial. Le corps de Liu Chung allait être rendu à ses parents. Il savait Gu Hai angoissé par les mots à leur dire. T'as dormi, au moins ?

-Pas beaucoup... Je ne sais pas comment dire... ?... Gu Hai prit sa serviette et attendit Dao Lee. En fait, je le connaissais à peine ! 

-Parle avec ton cœur, mon frère, c'est ce que tu as de plus beau ! Il sourit.

-Toi... Gu Hai s'approcha du placard de Dao Lee. Tu sais qu'avec tous tes trucs, tu es souvent le dernier à être prêt ? 

-Je sais... J'y travaille, crois-moi... Il ferma la double porte en bois. C'était pire avant, même les papiers, je les enveloppais à la maison, comme en classe ! Je perdais un temps fou à chaque fois... Ils allèrent ensemble à la pièce d'eau, au bout du couloir à droite en sortant.

Ding Fen était attablé à lire un journal du Parti Communiste. She Kun Ju arrivait de son ablution avec Niu Ma-Ku. Ils parlaient de leur réussite aux épreuves et de la poursuite de leurs classes. Zhu Lien était sur son lit défait et regardait tout son petit monde.

Toute la chambrée avait passé les qualifications pour le deuxième mois. Ils ne changeraient donc pas de dortoir, comme certains.

Les recalés devaient partir à la fin de la semaine et laisser la place aux nouveaux. Les logements, assemblées, ainsi défaits, incomplets, étaient reconstitués avec d'autres soldats présents pour la suite. Ainsi se côtoyait dans les bâtiments des volontaires, des nouveaux arrivants, des premiers mois, des deuxièmes mois et ceux finissants leur incorporation. Se créait des règles, non écrites, des devoirs des jeunes recrues envers les presque engagés.

Bai Luo Yin - Gu Hai -2- "Une Famille Chinoise."Où les histoires vivent. Découvrez maintenant