27-Interludes. (3 parties)

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Désarroi.


Les doigts maladroits, pressés et anxieux, Gu Hai ouvrit l'enveloppe.

Chaque soldat propriétaire d'une missive s'était isolé sur son lit, dans un couloir, sur un palier, à l'extérieur.

Pour certains, ils effleuraient l'attente de l'amour d'une femme, d'une mère. Pour Gu Hai, comme quelques uns en secret, les mots de celui laissé là-bas, dans un appartement, une famille, une ville, loin du cœur.

Gu Hai allait prendre connaissance de la lettre torturée de Luo Yin, la première. Une dizaine d'autres jonchaient le dessus de la couverture, classées par ordre chronologique. Il les avait toutes ouvertes et vérifié la date inscrite, de la belle écriture de Luo Yin, avant de les remettre dans leur écrin. Il ne voulait rien perdre, tout toucher et contempler en humant l'odeur du papier.

Rien de bien romantique, mais, déjà le feu consumait l'esprit, le corps de Gu Hai.

Il voyait son amour dans la tenue d'Adam, penché sur l'écritoire du bureau, s'appliquer à tracer chaque sinogramme pour lui et se tripoter le gland. J'en aurais pleuré, s'il n'y avait pas eu Dao Lee à côté, un œil vers moi et à la lecture des termes délicats de ma mère et de mon grand-père.

Un rayon de Soleil s'aventura jusqu'au début de la chambre, en cette fin de journée et sur son parcours, illumina la surface des objets, des hommes. Chacun avait une mine réjouie par la fin de cette période sans nouvelles, avec ou sans correspondance.

Zhu Lien s'était retiré vers le bas du bâtiment. Il n'avait rien reçu. She Kun Ju feuilletait un long billet et souriait devant les photos jointes. Niu Ma-Ku avait rejoint son frère jumeau et ils se lamentaient de ne pas avoir d'échos de leur famille. Ding Fen était attablé à son habitude et parcourait les informations fournies par son père, du Parti Communiste dans sa région.

Le Commandant avait donné l'autorisation de lever le block out sur le courrier, pour la classe 07-2016, juste avant les épreuves du deuxième mois. Pour les téléphones et les communications via un réseau, il faudra attendre la fin des manœuvres.

Le cheminement de l'ensemble de la messagerie écrite, entre les soldats et le monde en dehors du casernement, dans l'APL, suivait le même trajet vers un centre dédié. Des milliers de petites mains ouvraient sans vergogne, les liaisons littéraires intimes, afin d'y déceler les traces de... de manquements au devoir de réserve.

Tout débordement, quand il était de nature civile, pornographique pour résumer, était censuré par un avertissement standard, sous forme d'encart placé au cœur des saillies des amants. Pour le volet concernant les activités militaires proprement dites, pas besoin de ce procédé. L'importun était convoqué par la police soldatesque, afin de pratiquer un examen poussé de vos intentions. Concernant les nouvelles technologies, téléphones mobiles, internet, là, aussi, l'APL n'avait rien à envier à la NSA de nos amis américains. Toutes les voix, les transmissions, les échanges, étaient enregistrés, stockés et analysés par les super-ordinateurs du Ministère de la Sécurité de l'État, parmi les plus puissants du monde.

Rien n'échappait à ces grandes oreilles, sauf la déception des cœurs brisés, les larmes de l'amour lointain ou d'une mère inquiète. Gu Hai s'imaginait bien celles de Luo Yin, car il connaissait son extrême sensibilité lorsqu'il écrivait la nuit, seul, à la lueur de la lampe sur le meuble.

Un dépliant d'usage sur les bonnes mœurs tomba sur les genoux de Gu Hai, ainsi qu'une petite feuille bleue pliée. Il mit le tout sur la petite table, le chevet. Il connaissait depuis longtemps cette intrusion dans la vie des recrues et n'en tint pas compte. Dao Lee, pas encore habitué à ce genre de méthode, souleva un sourcil.

Bai Luo Yin - Gu Hai -2- "Une Famille Chinoise."Où les histoires vivent. Découvrez maintenant