Bai Luo Yin - Gu Hai -2- "Une Famille Chinoise."

29-Le ravissement d'un cœur.

«... Lu Yang fixait les orbes de sa femme penchée vers son visage, une main au-dessus de son front, une autre serrant la sienne, la deuxième recroquevillée sur la poitrine.

Des rires d'enfants les entouraient, comme le regard d'adultes compatissant. Des jeunes étaient curieux de cette tendresse après tant d'années à s'aimer.

Allongé dans un hamac, sous le carbet familial, Lu Yang redressa légèrement la tête et visionna une dernière fois son monde depuis plus de quarante ans. La moiteur d'après la pluie tropicale s'invita jusqu'à lui. L'odeur particulière de la terre rouge humide, mélangée aux fumées d'un feu chauffant le manioc, titilla son nez, le replongea dans des souvenirs gustatifs lointains. Le paysage vert et sa panoplie sonore l'apaisa, le ramena vers les siens.

Un par un, il toucha ses frères des yeux.

Des mômes nus en pagnes s'arrêtaient pour le remercier de cette attention inutile, mais, gentille. Ils souriaient et montraient leurs dents étincelantes, pour certains, clairsemées. D'autres, plus vieux, savaient la fin proche de leur professeur des petites classes à leurs diplômes pour les grandes écoles. Des jeunes filles, poitrines libres, pleuraient dans un coin, derrière des grandes feuilles de bananiers, la figure tournée vers l'extérieur, vers la Déesse Mère, la forêt. Elles y cherchaient un peu de réconfort. Des adolescents timides n'osaient montrer leurs émotions et apportaient des fleurs odorantes, les préférées de Lu Yang, des héliconias. Ils passeraient bientôt l'épreuve pour devenir des hommes au sein de la communauté. Les jeunes adultes venaient un par un, pour toucher une dernière fois l'enveloppe vivante de cet être qui les accompagnaient dans leurs pas. Ils déposaient une marque de peinture naturelle sur l'emplacement épidermique frotté. Les responsables du village étaient un peu à l'écart sachant ce moment difficile pour cette famille. La veille, ils avaient rendu leur hommage par une fête vers l'ailleurs, l'autre monde.

Restaient les enfants du couple, de Lu Yang et de Jin Lu Lu. Ils étaient venus de loin pour le voir et dire bonjour à leur mère. La mort ne les effrayait pas. Ils avaient appris dans ce milieu à la considérer comme normale, une partie de la vie. Ils retrouvaient avec un peu de nostalgie, les us simples d'ici.

Lu Yang versa une larme pour leur montrer tout son amour. Depuis quelques jours, il ne pouvait plus parler, lui qui avait défendu avec des mots l'honneur de l'humanité. Il avait échoué, comme beaucoup d'hommes et de femmes de bonnes volontés de son époque. La Terre était en proie de nouveau à la violence des guerres et des atrocités.

Dans le dernier carré de verdure de ce monde en perdition, Lu Yang eut un dernier geste pour ces frères, pour cette nature lui ayant tant appris et donnée. Des arbres majestueux entouraient les habitations de bois et de feuilles. Ils saluèrent leur ami. Lu Yang sentit leur fluide l'inviter à se confondre avec eux. Son dernier voyage commençait.

Il reposa doucement le haut de son corps, ferma les yeux, un sourire aux lèvres et s'éteignit dans le grand tout... »

La sonnette le tira de son rêve psychédélique.

La soirée d'hier avait été riche en alcool et produits illicites. Jin Lu Lu l'avait initié aux plus doux. Il n'en referait pas l'expérience.

-... Mmmh... T'y vas ? Jin Lu Lu marmonna.

-... Ouais... Hein?... Nous sommes dans ton lit, ma chère !... Mais, soit, je ne trouverai plus le sommeil après cette vision trop romantique... Il passa un short, sous le regard désirable de Jin Lu Lu. Je sens ta curiosité mal placée, tu sais ?

-Et moi, je vois ton engin se profiler... Elle sourit et gloussa presque.

-La trique du matin... Il appuya sur le sexe pour mesurer son envie. Il aurait bien passer quelques minutes à explorer les régions chaudes et humides... Bordel, tout nous ramène à ça !