CHAPITRE 6

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Quinze minutes. Quinze minutes qu'on essaie de passer. Un garçon nommé Ruth a proposé de sauter par dessus les Abîmes. Avec un peu d'élan et un bon saut, pourquoi pas. Mais Warren nous a refroidi aussitôt avec un sourire amusé, "si vous ne voulez pas terminer au fond des Abimes, il est préférable de ne pas essayer", nous voilà donc coincés pour de bon, du mauvais côté de la frontière. Je me suis assise. Ça me fait mal au dos mais au moins je ne suis pas tenté de faire les cents pas.

Devant moi, il y a Cassie. Elle discute avec une petite brune. Je la scrute du regard discrètement. Assez timide, avec de jolis yeux, des cheveux qui courent jusqu'à son menton et un nez parsemé de tache de rousseur. Je déglutis. Ses ongles sont rongés jusqu'au sang et elle ne cesse de se tordre les mains pour tenter de calmer le stresse qui monte en elle. Elle est menue, sûrement autant que moi, ce qui n'est pas réellement un point positif. Ces bras sont fins comme des brindilles et ses jolies mains ne collent pas vraiment avec l'apparence rustre et guerrière des résistants. Je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'elle ne semble pas avoir sa place ici.

Mes yeux se posent presque immédiatement sur mes mains à moi. De longs doigts, une peau douce et sans aucun défaut, même pas une minuscule cicatrice, le genre de main qui n'a jamais envoyé un coup de poing de toute sa vie. Je soupire, ce n'est pas le moment de se décourager.

Les deux filles chuchotent si bas qu'il faut que je prête l'oreille pour les entendre. Je fixe mes pieds en écoutant, honteuse de la curiosité malsaine qui me semble maintenant presque naturelle.

- J'aurais pas du...

- Enola, dis pas ça !

- Si, tu le sais autant que moi. J'aurais du partir j'ai pas du tout le profil d'une résistante.

- Enola !

Je me mords la lèvre. Je ne devrais pas entendre ça...

- Non. Je suis petite. Beaucoup plus petite que tout le monde, et je suis frêle comme un moineau.

- Au moins tu es rapide. C'est vrai que t'es sûrement pas la plus costaude mais il n'y pas que ça qui compte.

- Je perdais tout le temps quand on était gamin et qu'on se battait entre copain. Je revenais avec de gros bleus sur le visage et ma mère répétait sans cesse que je n'étais pas faite pour ça. Elle tenait les compresses sur mon visage en me regardant comme si elle savait déjà que je n'étais pas destinée à cette vie là. Et moi, je le savais mais je n'ai pas pu... J'ai pas réussi à quitter tout ça. Toute cette vie que je me suis créée.

- Tu dis ça mais regarde la nouvelle. Elle est plus grande de quelques centimètres mais elle n'est pas beaucoup plus costaude !

Je me sens rougir et je tente de fixer mes pieds sans faire attention à leurs deux pairs d'yeux qui me fixent.

- Non, c'est pas fait pour moi. Je devrais partir.

- Enola ...

- J'ai besoin d'être seule Cassie. S'il te plait.

Il s'en suit un long silence. Même sans les voir je perçois le regard suppliant de chacune et les larmes brulantes aux yeux de Enola. Ça doit être dur de savoir qu'on a choisit une voie où on aura jamais sa place... Je me laisse une seconde pour réfléchir à ma place à moi et puis repousse ces réflexions à plus tard.

- Très bien, mais réfléchis bien. Conclut Cassie avant de se lever.

L'autre acquiesce et elles se quittent. Je m'autorise enfin à la regarder, maintenant que suis sûr de ne pas les surprendre. Enola est jolie. Elle a des cheveux bruns qui lui tombent en cascade le long de ses joues, un visage décoré de tache de rousseurs et des traits fins qui ajoutent encore à la délicatesse du portrait. C'est vrai qu'elle est petite. C'est aussi vrai qu'elle est frêle et ressemble à un moineau, mais je ne suis guère mieux.

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