CHAPITRE 3

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Au bout d'une heure j'arrive devant un bâtiment abimé. Je ne sais même pas comment je me suis retrouvée ici. Mais je connais cet endroit. J'ai passé 70 % de ma vie ici ces 10 dernières années. L'école. Elle est toujours ouverte. Je frappe à la porte, aussi fort que je le peux. J'ai mal et je ne peux plus avancer, j'ai perdu trop de sang. La porte grince et s'ouvre toute seule. Je me faufile à l'intérieur des couloirs sombres, des longs corridors, pareils à des tunnels sans fin. Tout en marchant, je croise du regard une porte en marbre que je ne connais que trop bien. Celle que moi et les autres élèves de mon âge avons redoutés toute l'année durant. C'est par là que j'entrerais tout à l'heure pour faire face à mon destin. Je parcourais surement un long couloir avant de déboucher dans la salle du grand palais. On n'emprunte cette porte qu'une seule fois. Le jour de ses 16 ans. Je n'y suis jamais aller et je n'irais plus jamais après. J'hésite à aller découvrir les lieux maintenant. A entrevoir avant tout le monde un avenir proche, le monde sans couleur du destin. Mais je ne peux pas. Je ne veux pas affronter ma vie future maintenant. Il y a trop de sang sur moi et je ne veux pas qu'il sèche. J'irai quand je serais forte. Oui. J'irai quand je serais prête... J'hoche la tête dans les ténèbres du couloir comme pour me persuader moi même que j'irai mieux. J'accélère pour ne plus avoir la porte dans mon champ de vision. Je tourne et quitte le couloir.
A force de les avoir parcourus je les connais par cœur. Ces longs chemins entourés de murs blancs aux dallages inégaux. Je pourrais me repérer et aller de mon cours de Physique à celui de Français les yeux fermés.
C'était mon cours préférée, celui de Français. Pendant une heure je pouvais coucher sur le papier les questions effrayantes qui me traversaient l'esprit. Lorsque j'écrivais, c'était les mots qui s'alignaient les uns après les autres sans que j'aie à me poser de questions. C'était une vague d'inspiration qui m'emportait et je ne pouvais m'empêcher de graver les phrases de ma mémoire. Ils me faisaient sourire ces petits mots, qui séparés sont bien insignifiants mais qui lorsqu'ils sont regroupés forment la majestueuse mélodie d'une vie. Une symphonie de mots, accompagnés les uns aux autres, liés par un serment invisible qui symbolisait tant. Je crois que jamais je n'aurais pu exprimer mes pensées à l'oral, lorsque j'inscrivais ma vie sur la feuille tout semblait si simple.

Elles me paraissent loin maintenant ces feuilles de papier. Celles que j'utilisais tous les jours de la semaine sans relâche. Elles me rappelaient le plafond blanc de ma chambre sauf que cette fois il y avait de fines lignes de couleur qui venait strier l'éternelle blancheur, pareil aux murs d'un labyrinthe. Un labyrinthe de lignes colorées et de blanc, perché au dessus d'un monde sans couleur.

Je me rappelle aussi du petit Miller, le professeur de Français. C'était un petit vieux qui parfois avait du mal à tenir sur ses deux jambes, mais il avait une telle force. Je la lui ai toujours envié. La puissance qu'il exhortait de ses phrases qui se transformaient en chant solennel, ces propres mots qui transcendaient la simple beauté du sens et devenaient terrifiants. J'aimais l'écouter parler des heures. Sur des sujets que des fois je ne comprenais pas encore. Sur la réalité de la vie, la mort, le passé, et le futur. J'aurais donné cher pour qu'à ce moment, alors que j'arpente blessée les couloirs sinistres d'un monde encore plongé dans la nuit, croiser son regard. Juste pouvoir voir la flamme de ses yeux se balancer. J'aurais voulu la voir bruler, étinceler, du fond de ses pupilles pour qu'il me redonne courage, pour qu'il m'emmène loin de tout ça. Loin de la mort, loin d'une vie trop compliquée, loin du Jour et de tout.

J'aurais aimé être perdue dans le noir pour ne plus avoir à penser. Plongée dans le néant, ne faire qu'un avec les ténèbres, pouvoir me noyer à l'intérieur et n'être plus que les secondes, obscures et magiques du temps.

. . .

Enfin j'arrive aux vestiaires. Je laisse reposer mes pieds contre le carrelage. Ils me brulent, et ce n'est pas seulement la douleur physique qui appose son sceau, il y a autre chose, quelque chose de plus profond et de plus douloureux encore. En tremblant je retire le bout de verre qui s'y était planté. Je serre les dents et tente de contenir le mal qui m'irradie.

DESCENDANTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant