CHAPITRE 21

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Je me laisse quelques secondes pour souffler avant de commencer à enjamber les marches de l'escalier. Maintenant que tout semble redevenir calme, j'ai de plus en plus froid. Je serre mon arme contre moi, aux aguets, comme si ma vie en dépendait, comme si la sensation de l'arme contre moi me donnait cette illusion de chaleur dont j'ai besoin pour avancer.
Je ne me sens pas bien ici, pas à ma place. Le monde alentour m'appréhende avec un regard méfiant et je l'appréhende également. Mais quelque chose me pousse à ne pas m'arrêter, alors je continue.

Je me demande vaguement ce qui est sensé se passer maintenant. Peut-être qu'il y en a d'autres. Une sorte de piège. Après tout, la place circulaire serait idéale pour une embuscade... Ils me sauteraient tous dessus, m'arracheraient mon arme, tiraient sur mes cheveux, feraient courir leurs doigts meurtriers le long de mes blessures. Je frémis. Parfois je regrette d'avoir autant d'imagination. Je regrette que le monde ai fait de moi une gamine de 16 ans qui voit la vie comme un échafaud qui nous enchaîne jusqu'à la mort.

Soudain quelque chose attire mon attention entre mes mains. Je fronce les sourcils. Il y a quelque chose dans ma paume... Tout à coup une lumière vive surgit de nulle part ! Le pistolet s'illumine brusquement, je suis obligée de plisser les yeux pour ne pas être éblouie. Puis les minuscules poussières de lumière se dispersent dans l'espace et tourbillonnent follement autour de moi, perdant leur aspect d'arme meurtrière. Je panique craignant le pire. Deux secondes plus tard, le pire est arrivé. Je me retrouve les mains vides. Je reste figée en haut de l'escalier. L'arme a disparu ! Et me voilà seule. Étrangement, le fait de me savoir toujours vivante, même sans la présence de l'arme meurtrière entre mes doigts, n'est pas un soulagement. Au contraire, mon incapacité et ma faiblesse semblent deux fois plus importantes maintenant. Comment suis-je sensée faire sans rien pour me défendre ? Je suis désarmée à l'entrée d'une place qui regorge peut-être d'assaillants. Je suis secouée d'un frisson. Je me sens comme nue sans ce prolongement de mon corps coincé entre mes doigts. Je déglutis.

Lentement mon regard vient se poser sur ma main droite. Sur cette main noire de jais qui me rappelle, à chaque regard, la sensation de délivrance de l'emblème résistant qui me brûlait la peau.

Je soupire. Ce n'est pas le moment de se décourager. J'ai choisi d'être résistante, je l'ai voulu de tout mon cœur. D'abord pour échapper au destin, pour fuir et me cacher. Puis pour la vengeance, pour ne plus jamais avoir à vivre la mort, pour ne plus avoir peur de tout perdre. Et puis pour chaque jour être plus forte et plus fière de ce que je deviens. Pour être heureuse.

Je prends une profonde inspiration. Je vais me battre à la force de mes propres mains. Je l'ai déjà fait. J'aurais pu être ensevelie sous terre avec sur ma pierre tombale écrit « ci-gît Elissia Vank, elle n'a pas pu parer le destin, ne lui en veuillez pas, personne ne le peut », sauf que je l'ai fait. Alors que le poignard déchirait l'air, alors que mon père allait me tuer, j'ai voulu vivre. Et je suis là. Je n'ai pas besoin d'arme. J'ai ma propre volonté et cela compte mille fois plus que toutes les armes du monde.

Père, sans le savoir, malgré la peur qui me tord le ventre, malgré les ténèbres qui m'étouffent, en voulant en finir pour de bon, tu as forgé l'arme qui causera ta perte. Ta fille est devenue meurtrière, père, à cause de toi, grâce à toi, sous mes pétales scintillantes, ont poussé des épines au poison mortel.
Fais attention, ou bien un jour, tu risques de t'y piquer le doigt.

. . .

Une fois arrivée tout en haut, je me laisse une seconde pour observer les lieux. C'est une place tout à fait ronde avec deux sorties. L'escalier, et une autre rue située en face, qui grimpe vers le ciel. Au centre, il y a une gigantesque fontaine à deux étages. Au premier, un bassin où s'écoule une eau scintillante et au second, des nymphes de pierres qui dominent élégamment la structure d'eau, soufflant des cascades ruisselantes d'entre leurs mains. Il y a deux bancs et hormis le sol mal pavé, la place est complètement vide.

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