CHAPITRE 19

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Je n'ai pas dormi de la nuit. Et je crois que les autres aussi ont eu du mal à fermer l'œil. J'ai d'abord pensé à l'après midi précédente, à la rage qui m'avait engloutie aussi vite qu'un bateau fait naufrage et aux paroles entêtantes de Ant. Puis mon esprit a dérivé vers ma mère. Puis vers mon père. J'ai lentement songé aux rêves que j'ai eus, si on peut appeler cela ainsi. À leurs cris. J'ai repensé au moment où je me suis projetée devant la balle tirée par mon père. Au moment où, par une horrible fascination, j'ai senti que le vide me traversait. Puis lorsque j'ai remarqué, au bord du gouffre, que j'étais vivante, sans oser imaginer ce qu'il pouvait y avoir derrière moi, n'entendant plus qu'un silence étouffant et l'absence d'un cœur qui bat. Enfin j'ai pensé au vide autour de moi, à la chaleur procurée par les gens qui occupaient les lits du dortoir. À l'épreuve qui allait se dérouler dans quelques heures. À la nuit, profonde, qu'on entendait susurrer par la fenêtre. Et, j'ai pensé que je voulais vivre.

J'ai retourné ces sujets dans tous les sens sans jamais trouver satisfaction. Mon père et la mort de ma mère restaient un mystère qui creusait un trou béant dans ma poitrine. Comme attendant ma mort. Le sourire aux lèvres et les bras grands ouverts, accueillant ma descente vers l'inhumanité.

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Pour la première fois depuis que je la connais, Cassie réussit à sortir de ses draps sans râler. Et pour la première fois depuis plusieurs semaines, je me réveille en même temps que les autres après une longue nuit sans sommeil. Il règne dans la pièce une tension accablante.

Lorsque j'ouvre les yeux et les referme aussitôt éblouie par la lumière, je suis prise d'une subite envie de fondre en larmes. Je prends trois inspirations profondes et ouvre à nouveau les yeux. Je me lève exténuée maudissant mon cerveau de ne pas m'avoir laissée dormir une seule seconde. Pour la première fois depuis mon arrivée, je fais mon lit. D'une façon un peu maladroite mais suffisante. Sans trop savoir si ce geste devrait sonner comme un au revoir. Je quitte la pièce dans l'espoir ultime de pouvoir passer une nuit de plus sous la lumière tamisée de la lune traversant les vitraux.

Je me dirige vers la salle de bain puis vers la cafétéria comme un automate. Dans ce cours lapse de temps, plusieurs fois, je regrette de pouvoir respirer, j'ai l'impression que chaque inspiration me fait avaler une dose supplémentaire d'angoisse. Comme si je n'étais pas assez stressée ! En m'asseyant à la table, le silence est encore plus pesant. Même les deux frères se taisent, ce qui est franchement inquiétant. J'ai encore plus de mal à respirer, comme si quelque chose empêchait l'air d'arriver à mes poumons. Et je me demande jusqu'à quand mes capacités pulmonaires vont elles se dégrader et si j'aurais le temps de passer l'épreuve avant de mourir par insuffisance respiratoire. Je n'arrive pas à manger. De toute façon mes mains tremblent trop fort pour que je puisse me servir d'un couteau.

Le silence à notre table à beau être complet, j'ai mal à la tête. Je sens mon cerveau qui carbure à l'adrénaline. Mille pensées se confondent, s'entrechoquent, et se disputent. J'ai une folle envie de mettre mes mains sur mes oreilles et d'hurler pour ne plus rien entendre. Mais je me retiens par compassion pour l'image effrayante qu'auraient de moi mes compagnons de table.

Le déjeuner se déroule dans le plus grand calme. Autour de nous règne l'effervescence résistante habituelle mais à notre table, tous se taisent.
Corey qui était parti chercher le petit déjeuner, revient le visage fermé et un plateau à la main. Il a presque l'air de se retenir de respirer. Je comprends lorsqu'il pose le plateau à côté de moi. Celui-ci est chargé de croissants, dorés, caramélisés, et encore chauds. L'odeur qui s'en dégage et tellement enivrante que je réprime un haut le cœur.

Ce matin, le repas est bref et nos estomacs affamés restent vides. C'est comme si on avait disposé devant des naufragés n'ayant pas mangé depuis des jours un buffet empoisonné. 10 minutes plus tard, le peu d'espace que pouvaient contenir nos estomacs est surchargé et nous nous levons. Arrivée à la porte, je sens une main retenir violement mon bras. Je fais volte face et agrippe le bras de façon à me défendre. Mais je me retrouve nez à nez avec Ant. Il hausse un sourcil et me regarde de travers. Je soupire.

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