CHAPITRE 42

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J'ouvre les yeux. Mes paupières me semblent terriblement lourdes, comme si elles avaient été closes durant des années. J'entends des cris. Enfin je crois. Du moins une voix qui m'appelle.

Je fronce les sourcils et tente de faire la netteté autour de moi. Du blanc. Avant même d'avoir pu penser au paradis, je reconnais l'infirmerie.

J'ouvre la bouche pour dire quelque chose. Elle me semble étrangement pâteuse. Les contours de la pièce commencent à devenir net. Il y a quelqu'un. Deux lueurs or brillent dans tout ce blanc immaculé.

- Ant ? Croassé-je.

- Elissia.

Ant me sourit. J'ai du mal à croire que tout cela soit réel. Ses yeux sont brillants. Je lève ma main droite au dessus de mon visage. Celle avec le signe résistant. Lentement je l'approche de son visage. Il la regarde sans ciller. Du bout des doigts, j'effleure sa joue. Ma peau sèche comparée à la sienne. Pourtant, je sens tout son corps pulser sous mes doigts.

- Je suis vivante...

- Il faut croire. Je crois que tu peux remercier ton père, il était bien trop mauvais tireur.

Il esquisse un sourire moqueur.

- Quoi ? Soufflé-je.

- Tu es vivante. Je crois bien que c'est une des premières fois que tu tiens l'une de tes promesses.

La bataille est finie. Eureka est finie. Elle a sombré avec cette guerre. Une larme glisse sur ma joue et vient échouer au creux de mon cou. Une larme d'Adieu peut-être.

Je me sens étrangement vide. Maintenant que tout est terminé, je suis un peu perdue. J'ai toujours vécu dans cette ville et maintenant qu'on m'annonce qu'elle n'existe plus je ne sais pas comment réagir. J'ai toujours été selon ce que me dictait mon clan, résistante ou loyaliste. Alors que dorénavant, nous sommes libres. Qui suis-je ?

Je tourne la tête. Sur la table de chevet se trouve le livre des Rose. Je tends la main et Ant me tend le carnet.

- Tout le monde a reçu un nouveau logement, il fallait déserter le dortoir alors je l'ai récupéré.

- Merci...

Je fixe la couverture et caresse les sillons du papier de mon pouce. Les lettres du titre « descendante » sont un peu en relief. Je lâche un faible sourire. Ce livre représente précisément tout ce qui m'est arrivé ces derniers mois.

- Je crois que je suis prête.

- Prête ?

- A écrire. Mon propre chapitre des Rose.
Il acquiesce et me confie un stylo. Je m'en saisis, un peu tremblante.

Je tourne les pages jusqu'aux feuilles vierges, après le récit de ma grand mère. Je me mords la lèvre. Je n'ai jamais pu faire de chapitre consacré à ma mère mais je ne suis pas sûr d'en être réellement capable. Après tout, je ne l'ai jamais connue autant que j'aurais du. Je serais bien incapable de raconter la seule histoire de Marguerite Vank. L'unique récrit que je puisse livrer nous concerne toutes les deux. Notre histoire.

Je me saisis du stylo et inscris mon nom sur le papier et, juste à côté, après une hésitation, j'inscris le sien. Je ne sais pas trop par quoi débuter. Je fronce les sourcils et soupire. Commençons par le commencement. Par la veille du Jour. Je crois, que c'est ici que l'histoire a commencé.

Mon crayon se pose et glisse en s'accrochant fébrilement aux sinuosités que le temps a apposées sur le papier. Et tandis que j'écris, je me sens un peu plus légère.

Voici mon histoire. Celle d'Elissia Rose.

DESCENDANTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant