CHAPITRE 33

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J'ouvre les yeux dans un sursaut. Je cherche Ant et le trouve assis à côté de moi, le souffle court. Warren entre dans la pièce et nous offre un mince sourire.
- C'est en progrès !
Je soupire. Je finis par m'habituer à affronter les épreuves, jour après jour. Celles du début deviennent plus simples à présent. Je passe sans difficulté sur la planche entre les deux immeubles, nous résolvons l'énigme de l'enfermement et Ant réussit mieux à contrôler sa claustrophobie. Ce qui est plus dur en revanche, ceux sont les épreuves personnelles. Maintenant que je sais ce qu'Ant cache, il est plus facile d'aborder les épreuves mais je ne peux m'empêcher de les redouter. Je crois qu'aujourd'hui nous nous en sommes mieux sortis, aucun de nous n'a du se blesser ou tuer quelqu'un pour réussir à sortir indemne de l'illusion. Du moins physiquement. Psychologiquement c'est bien plus compliqué. La voix me hante la nuit, vient me terroriser jusque dans mes rêves. Je tente à chaque fois de rester maître de moi même mais elle sait toujours quoi dire pour faire flancher mes défenses.

Warren finit par nous relâcher et nous nous ruons dans le couloir. Cette pièce est devenue pour tout le monde une véritable torture, un lieu de cauchemar. La nuit on en entend hurler. Dès que je m'endors, j'en rêve moi aussi, je revis nos séances d'entrainement et me réveille couverte de sueur au petit matin.
Ant et moi regagnons le couloir principal sans rien dire. Il marche devant moi. À une vitesse qui me permet de le suivre. Notre relation est devenue assez ambiguë depuis l'autre soir sur la falaise. Lorsqu'il est là, je me sens sereine et fébrile, comme une enfant. Je désire et redoute chaque seconde. Cassie ne cesse de me casser les oreilles avec tous ses scénarios. Tous me paraissent ridicules. Rien ne semble correspondre à ce que je ressens. Je me sens simplement complètement perdue. Ça n'a rien à voir avec de l'amitié. C'est beaucoup plus fort que cela. Il semble bouleverser toutes mes priorités. Sa simple présence devient dévastatrice. J'ai du mal à respirer, à penser, à marcher. J'hésite, je trébuche là où je savais courir. Et lorsque c'est fini et que je me retrouve un peu honteuse, les genoux pleins de boue, je ne demande qu'une chose. Recommencer.

En silence nous rejoignons la salle commune, elle est déjà occupée par un petit groupe de personnes. Je fronce les sourcils en reconnaissant quelques personnalités hautes placées du système résistant. Aurions-nous des invités ? Si oui ils doivent sûrement être importants.
Tout à coup je me fige au milieu du couloir. Ant s'arrête lui aussi mais je le vois à peine. Je ne respire plus, un frisson irrépressible parcourt ma peau. J'ai entendu sa voix. Je suis sûr que c'était lui ! Je déglutis. Qu'est-ce qu'il fait ici ? Il ne devrait pas être ici. Frigorifiée, je me remets en marche et accélère. J'arrive au milieu de la salle en deux secondes et m'approche du groupe. Et puis, j'aperçois son visage. C'est lui. Mon père est là. Mes mains tremblent. Je prends une grande respiration et tout semble devenir terriblement froid autour de moi. Je sens quelque chose monter en moi. Une rage incontrôlable. Elle boue dans ma poitrine jusqu'à me dévorer vivante. Je serre les dents et attends patiemment qu'il se retourne. Parce qu'il va le faire, il va finir par me voir c'est inévitable ! Qu'est-ce que je ferais lorsqu'il me verra ? Je n'ose plus respirer, ni penser, ni bouger. Une voix gronde en moi. Le tuer, je vais le tuer.
Un homme résistant me dévisage en haussant les sourcils. Il doit se demander ce que je fais plantée au milieu du chemin alors qu'ils accueillent leur invité. Ça pour être un invité d'exception ! Mon père suit le regard de l'homme et finit alors par me voir. Il écarquille les yeux et tout de suite après, ses sourcils se froncent comme s'il avait oublié que je vivais ici maintenant. Je sens quelque chose de terriblement froid se répandre en moi. Son regard me glace, comme il m'a toujours glacée. Cet homme me fait peur. Il a un quelque chose d'impressionnant, de terrifiant. Il se détache du groupe et s'avance vers moi le regard dur. Je me force à respirer. Son imposante ossature s'avance vers moi et je déglutis. Respire Elissia ! J'avais oublié qu'il était aussi grand. Je me fait violence pour ne pas détourner les yeux et m'oppose aux braises ardentes. Je voudrais partir en courant mais je reste ici. Il est temps d'affronter le passé.
- Elissia...
- Tais-toi. Grondé-je
Le regard de mon père se fait plus dur mais il ne me brûle plus. Ça ne me fait éprouver qu'une rage encore plus grande. Je ne supporte plus de l'entendre prononcer mon nom. Je ne suis plus cette petite fille qui se taisait de suite lorsque tu haussais la voix. J'ai changé ! Je ne suis plus cette fille là et plus jamais je ne m'abaisserai à le redevenir.
- Comment oses-tu, je suis ton père !
- Je t'ai dit de te taire ! Hurlé-je.
Je vois rouge. Mon père ! Comment peut-il se nommer comme tel ! Je ne réfléchis pas. Mon sang ne fait qu'un tour et mon coup part avant même d'y avoir pensé. Il bascule en arrière sonné et je me jette sur lui. Je lève mon coude et le projette dans son visage. Je vois du sang gicler mais ce n'est pas assez ! Il doit payer ! Payer pour ma mère ! J'entends des cris, plusieurs personnes tentent de me repousser. Puis plus rien. Rien que le silence.
- Laissez-moi ! Hurlé-je
Ma voix ne m'a jamais paru aussi bestiale. Je donne des coups en criant et me libère. Je me rue sur mon père qui m'observe le nez en sang avec son regard foudroyant. Si les regards pouvaient tuer je serais morte pour sûr ! Je lui envoie mon pied dans les côtes. Il tangue mais ne tombe pas. Non ! Mon père ne tombera jamais ! Il est bien trop fier pour cela. Il l'a toujours été, fier ! Il n'y avait que ça qui comptait et rien d'autre ! Seulement sa petite carrière ! Je me jette sur lui. Mes doigts le griffent et s'accrochent à la peau de ses bras. Je vois du sang mais continue. J'ai mal aux bras, à la tête à force d'hurler. Mon corps hurle. Mais la rage l'emporte. Elle envahit tout autre sentiment et contamine mon esprit. Elle me détruit, fait ressortir ce monstre. Je le hais ! Je le déteste ! Je ne contrôle pas ma force, je ne contrôle plus rien. Je le bats à mort. Mes coups viennent, dévastateurs. Je ne vois ni son visage, ni la pièce autour. Je ne vois que son regard de mort. Mort. Je frémis. Je voudrais le voir mort ! Le voir me supplier de lui laisser la vie sauve. Qu'il agonise lentement, qu'il ressente la douleur qui me ronge jusqu'aux os. J'ai mal bordel ! Tu te fais appeler comme étant mon père, mais ça tu ne le vois même pas ! Tout à coup je suis projetée sur la droite. Ma respiration se coupe violement. Il tente de se ressaisir et de m'assener un deuxième coup consécutif mais je l'évite. Je sens des mains qui tentent de m'éloigner de lui mais je n'y prête pas attention. Je reviens toujours à lui, dévastée par la colère. Soudain, on m'attrape fermement par la taille et on me tire en arrière. Je tente de me débarrasser des gêneurs mais cette fois je n'y parviens pas. Je me tourne et reconnais Ant.
- Ant lâche-moi ! Lâche-moi ! Je vais le tuer !
- Je ne te laisserai pas faire ça Elissia.
- Il a tué ma mère !
- Tu deviendrais aussi monstre que lui.
Je ferme les yeux sans continuer de me débattre. Mes bras retombent le long de mon corps. J'ai envie de pleurer maintenant. Ça fait longtemps que je n'ai pas eu envie de pleurer. Mon cerveau est à bout de souffle, je ne parviens même plus à penser normalement. Je sais qu'Ant a pertinemment raison mais je ne peux pas l'écouter. Je lui écrase la pointe des pieds et profite d'une seconde d'inattention pour me ruer vers mon père. C'est trop tard Ant. Il me tire en arrière mais je le repousse et me dégage brusquement. J'ai à peine le temps de me tourner vers mon père que quelque chose se referme autour mon cou. Je m'étouffe et tente de saisir ce qu'il se passe. La première chose que je vois en ouvrant les yeux, ceux sont les yeux de mon père. Il me tient fermement au dessus du sol, la main enroulée autour de mon cou. Je suffoque. Je bats des pieds comme une crevette prise au piège et tente de m'échapper. Je sens sa main se resserrer autour de mon cou, dangereusement. J'essaie de prendre une inspiration mais m'étouffe. Je manque d'air ! Ma gorge est en feu. Je tente à nouveau de respirer mais je ne peux pas. Je griffe son bras pour qu'il me lâche mais il ne scie pas. De l'air ! Je commence à voir flou. Ma respiration devient un râle. Je sens sa pression sur mon cou, sa poigne qui me brise la nuque. Il ne tente pas simplement de me repousser, il est déterminé à en finir. À terminer ce qu'il avait commencé il y a un mois.
- Tu vas t'en aller rejoindre ta mère Elissia chuchote t'il si bas que je suis la seule à entendre.
Je suffoque et agrippe frénétiquement son bras pour me détacher. Non ! De l'air... Tout à coup sa main relâche toute pression. Je tombe par terre et m'effondre sur le sol. Je tente de prendre une respiration mais m'étouffe aussitôt. J'aperçois brièvement le poing d'Ant s'abattre dans le visage de mon père. L'air entre dans mes poumons et je revis. Je tousse à plusieurs reprises en tentant de reprendre mon souffle. Ant pose une main sur mon dos.
- Elissia ?
Sa voix est tendue, paniquée même. Tout à coup une douleur lancinante traverse mon crâne. Je m'effondre sur le sol et le paysage chavire encore une fois.
Lorsque je reprends conscience, je suis dans un parc. Il y a un homme à côté de moi. Je me tourne vers lui et manque de m'étouffer. C'est mon père ! Sauf... sauf qu'il ne lui ressemble absolument pas... Il a pourtant les mêmes traits, les mêmes yeux même si ceux-ci sont beaucoup plus doux. Il est aussi bien plus jeune. Cette scène doit avoir lieu plus de vingt ans en arrière. Soudain une femme arrive dans le tableau. Le visage de mon père s'ouvre aussitôt. Il rayonne. Je ne l'ai jamais vu ainsi. Incrédule je fixe cette femme que je ne connais pas. Ce n'est pas ma mère, cependant elle me dit quelque chose, comme si je connaissais son visage. Les deux amants s'embrassent et je reste pantoise. Est-ce que c'est bien du passé dont on parle ? Cette scène semble tellement... irréelle.

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