Le lendemain matin je me lève à cinq heures pour aller faire le petit déjeuner. Je descends à pas feutrés dans la cuisine et mets des tartines dans le grille-pain. Je sors une bouteille de lait et fait cuire deux œufs dans une poêle. Je reste là à regarder le lard et les œufs agoniser sous la chaleur jusqu'à ce que je réalise que moi même j'ai du mal à respirer.
Je coupe le feu et sors dehors. Je suis saisie par la fraicheur de la matinée. Je ferme les yeux et laisse le froid emplir la moindre partielle de mon corps. Mes cheveux me fouettent le visage et mon pyjama claque contre mes genoux.
J'aimerais découvrir le monde. Jusqu'ici je n'ai vu que mon école et mon quartier mais j'aimerais voir de mes propres yeux le monde. Du moins la ville, pouvoir caresser du regard l'inconnu.
Je sais qu'Eureka est organisée sous forme de cercle. Son centre étant le Grand Palais où à lieu le Jour. Autour sont situés 4 écoles, deux appartenant aux loyalistes et les deux autres aux résistants. Et au centre, passant sous le grand palais et scindant Eureka en deux, il y a les Abimes. Un torrent qui s'écoule entre les deux mondes.
Je voudrais tout voir. Pouvoir toucher l'eau froide et goûter au soleil qui me brûlerait les paupières. Sentir le vertige me tordre le ventre face au précipice et mon cœur battre la chamade. J'aimerais marcher sans savoir où aller, clopinant sur les vieilles pierres et contemplant la ville endormie. Mais je reste là. Enfermée entre mes quatre murs. Je me tourne vers le ciel et laisse mon regard dériver jusqu'à ce que j'entende les marches de l'escalier craquer sous le poids plume de ma mère.
Je referme la porte derrière moi et ma mère m'interrompt.- Tu ne devrais pas sortir tu sais que ton père n'aime pas ça...
- Maman, je ne peux rien faire avec mon père.
Elle soupire et me lance un regard résigné. J'aimerai qu'elle me dise qu'on peut changer le cours des choses et devenir plus forte mais elle reste là prostrée sur sa chaise comme pour me demander pardon.
- Elissia ?
Je réagis à l'appelle de mon nom et me relève subitement.
- Fis toi à ton instinct, qu'elle que soit les décisions que tu prendras, je t'aimerais toujours.
Je sens mes yeux me piquer mais je me force à rester impassible. Ma mère m'a élevé seule et malgré tous ce que je lui reproche, elle est aujourd'hui une des seuls personne à compter. Je ne supporterais pas de la perdre si je venais à partir. Je me détourne pour qu'elle ne me voit pas et lui souris tristement.
Je monte en enjambant deux marches à la fois. En longeant le mur du première étage j'entends à mainte reprise un bruit sourd qui martèle le plancher. Je suis la mélodie jusqu'à ce que le battement se fasse plus fort et que je me retrouve face à une porte. Le bruit vient de l'intérieur. La porte est grande et massive avec écrit sur le dessus en grosses lettres grasses « ne pas déranger ». C'est le bureau de mon père. Je remarque tout de suite que la porte est entrebâillée et que je peux entendre des voix distinctes venant de l'intérieur de la pièce. Mon cœur s'accélère battant à toute allure contre ma cage thoracique. Je n'y suis jamais entrée. Le bureau de mon père est comme la salle des trésors, seul lui et ses associés ont le droit d'y entrer. Par reflexe je plaque mes mains contre ma poitrine comme pour étouffer les bruits de tambour de mon petit cœur. Je ne peux m'empêcher de regarder par le léger entrebâillement de la porte. Je me cale bien contre le mur de sorte à ce qu'on ne puisse pas me voir et je regarde. La salle est grande avec plusieurs ordinateurs et une grande table en bois de chêne au centre. Une grande affiche est accrochée sur le mur avec un symbole que je ne connais pas. A côté, il y a une carte de la ville marquée avec des punaises. J'aimerais bien voir lesquels sont ces endroits de la carte mais de là où je suis, c'est à peine si je peux voir le contour des punaises. Je laisse mes yeux voleter sur la pièce interdite en mémorisant chaque détail, un par un. Mon père est debout au centre de la salle. Il fait les cents pas autour d'une chaise. Son expression le vieillit. Les sourcils froncé, la mâchoire serrée, en proie à une profonde réflexion. Devant lui se tient un homme d'âge mur. Des rides aussi profondes que celles de mon père viennent faire le contour de ses yeux. De petits yeux glacials. Je frisonne et je suis soudain pris de panique. Si jamais il me voit ! Mais en même temps c'est la première fois que j'ai la chance de pouvoir entrer. La pièce est toujours fermée et mon père garde la clef autour de son cou. Si je pars, l'occasion ne se représentera surement pas. Je sens mon cœur battre de plus en plus fort dans ma poitrine et cette fois j'ai l'intime conviction qu'ils vont m'entendre ! Ils vont se retourner et me voir et alors... Au moment où je m'apprête à partir c'est la voix sourde de mon père que j'entends. Il s'arrête pour faire face à l'inconnu.
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DESCENDANTE
Science FictionAprès la guerre, le monde avait sombré si bas que, même la plus fragile des lueurs, ne parvenait plus à redonner à la terre ce qu'elle avait perdue. Les hommes avaient oubliés jusqu'à la sensation enivrante du sourire ravageur, jusqu'au doux carillo...