DESCENDANTE

CHAPITRE 9

Il fait chaud. Ma mère est devant moi. Elle porte une robe droite aux couleurs délavées et ses cheveux sont remontés en une queue haute. Je regarde son visage fatigué. Il exprime une telle démence que je sens mon rythme cardiaque accélérer. Qu'est ce qui se passe ? Elle se précipite vers moi, les yeux exorbités et les mains tremblantes.

- Elissia tu es toute sale !

Je baisse les yeux pour m'observer. Oh. C'est vrai, j'ai les mains pleines de terre. De toutes petites mains, noires, comme si elles avaient joué avec de la suie, poussiéreuses jusque dans les creux et sinuosités de la peau. Je porte une robe à carreaux qui est un peu trop grande pour moi. Je ne dois pas avoir plus de 7ans.

- Qu'est ce qu'il y a maman ? J'ai une toute petite voix tremblante.

- Il ne faut pas ! Ses yeux se posent à toute vitesse sur mon visage crasseux, sur mes genoux trainant dans la terre et enfin sur mes mains pleines de boue.

- Quoi ?

- Si tu te salies les mains ton père va se fâcher ! Vite rentre !

- Pourquoi maman ?

Alors qu'elle me poussait à l'intérieur je m'arrête.

- Pourquoi papa, il veut pas ? Les autres eux, des fois ils sont tout sales, pourquoi moi je peux pas ?

Son visage se décompose encore plus. Des larmes viennent embuer ses yeux. Je ne me souvenais pas avoir jamais vu pareille expression sur son visage. Un mélange de culpabilité, de folie... de terreur.

- Rentre et vas te laver les mains ! Souffle-t-elle entre deux souffles saccadés.

- El ! Tu viens ?

Je relève la tête. Cassie. Elle a le visage propre. Je baisse lentement la tête. Je me sens étrangement lourde, comme si mon cerveau s'était changé en une chape de plomb. Mes mains elles aussi sont blanches.

- Allo ? Il y a quelqu'un ?

- Qu'est ce que tu dis ? Je relève la tête vers son visage.

La pièce est plutôt sombre, la nuit doit commencer à tomber.

- Je te demandais si tu venais avec nous ?

- Où ?

- À notre repère.

- Votre repère ?

- Ouai, avant on allait tout le temps là bas. M'explique Ed en s'approchant. C'est une zone abandonnée avec des vestiges de l'ancien temps.

Je remarque tout le groupe derrière. Don et Corey qui semble en grande discussion. Les deux frères et Ant aussi.

- C'est assez incroyable à voir et on aurait aimé vous faire une petite visite. T'es partante ? Cassie esquisse un large sourire.

Mes yeux se posent sur le drap encore froissé de mon lit, puis sur la blancheur cadavérique de mes mains. Sortir ne me fera pas de mal.

- J'arrive.

Je me lève et mes articulations semblent étrangement rouillées. Je les suis dans un long dédale de couloirs. On empreinte celui de l'entrée du bâtiment et le vent s'engouffre dans mes cheveux. La nuit s'étend et gagne un peu plus l'atmosphère à chaque seconde. Je ferme les yeux pour savourer la sensation du souffle glacé sur mes paupières et sur mes bras parcourus de chair de poule. Lorsque je les ouvre à nouveau, il y a devant moi les Abysses qui s'étirent à l'horizon comme un serpent se mouvant entre les sinuosités du sol. Un ciel orangé et à la fois si sombre illumine nos visages d'une lueur étrange. L'herbe naissante sur le sol parait irréelle et l'eau ruisselante droit devant moi, possédée. Les vagues puissantes s'écrasent bruyamment contre leurs parois, faisant du paysage une pluie de minuscules gouttelettes étincelantes aux reflets turquoises et argentés. Je mets encore quelques secondes à réaliser que les autres ont démarré et les rejoins en trottinant. Petit à petit, le ciel s'assombrit et ne laisse plus que la seule lumière de la lune pour éclairer notre chemin. Nous avons quitté le camp des résistants qui semble déjà bien loin. Au loin j'aperçois des formes floues, énormes.