CHAPITRE 27

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Un journal. C'était un journal. J'ai feuilleté les autres pages sans plus m'attarder. Chaque Rose y a écrit sa vie. À commencer par la toute première connue aujourd'hui dans tout Eureka : Lana Rose.

C'est à la fois terrifiant et rassurant, savoir que d'autres personnes ont vécu le même calvaire, qu'elles ont connu la douleur insupportable du moment fatidique qui mène vers cet autre monde. Celui du temps.

Lorsque l'histoire de Lana Rose s'est terminée et que j'ai compris l'origine du carnet, j'ai foncé aux dernières pages. Ma mère. Ce que j'attendais depuis des semaines. En apprendre plus. Comprendre pourquoi on m'avait imposé ce silence. Mais il n'y a rien, excepté son nom écrit par la dernière propriétaire du carnet.

Marguerite.

Je reste là durant une éternité à fixer son nom. Il était bête d'espérer lire quoi que se soit. Comment le carnet aurait-il pu arriver dans les mains de ma mère ? Je l'ai moi même trouvé...
Soudain, j'ai envie d'écrire moi aussi. Pas pour raconter mon histoire, mais la sienne. Pour lui faire hommage, que son souvenir ne se disperse pas dans le temps et dans le vent comme ils le font tous. Qu'il subsiste une partie d'elle quelque part, au creux de ces pages jaunies et ancestrales. Je réfléchis à ce que je pourrais écrire mais je ne trouve rien.

C'est dur à admettre mais ce carnet m'éloigne de ma mère. Cette vie, le destin vers lequel je m'avance m'éloigne d'elle. Je ne sais plus très bien qui elle a été.

Et, je ne sais plus très bien non plus qui est-ce que je deviens.

Je me recouche et serre le carnet contre moi, comme un doux souvenir, une bouée qui me maintiendrait à la surface. Je sens que je m'en approche, de découvrir qui je suis. Seulement je n'en ai pas envie. Enfin si, mais pas tout de suite, pas encore. J'ai le temps de le découvrir.
Après tout, quel est l'intérêt de vivre une histoire si on en connaît déjà la fin.

. . .

Le lendemain, je suis réveillée par la sonnerie stridente du dortoir. Voilà un moment que ça ne m'était pas arrivé. Plusieurs grognements se font entendre de part et d'autre de la salle. Lorsque j'ouvre à mon tour les yeux, je suis envahie par une immense satisfaction. La première épreuve est enfin définitivement derrière nous. Et, devant nous se dresse la prochaine étape de notre parcours. Sans trop savoir pourquoi, ça ne m'effraie pas. L'envie de repousser les limites du possible me l'interdit. J'ai seulement ce besoin de continuer, jusqu'au bout, sans un regard en arrière. Je ne ressens plus cette peur qui me crevait le ventre il y a encore quelques jours. Je me sens... plus posée et réfléchie. Comme si j'avais pris dix ans depuis les résultats de la première épreuve.

Lorsque je suis enfin habillée, et prête à affronter la journée je rejoins le reste du groupe dans l'entrée. Presque tout le monde est arrivé et attend nos dirigeants dans la bonne humeur. Les rires fusent, les accolades et les sourires s'accumulent dans cette ivresse délicate qui célèbre la fin et le début de quelque chose. Toutefois la tension est toujours présente, mais comme une longueur à laquelle nos corps s'habituent. Elle rend nos gestes un peu fébriles et nos rires bancals. Elle s'agrippe à nos poumons et nous empêche de vivre l'instant en total insouciance.

Aujourd'hui commence la seconde épreuve. Cette révélation pèse lourdement sur nos cœurs. Non que la suite de l'histoire nous regrettions la première, au contraire je pense à l'unanimité que nous adressons, en toute complaisance, notre dernier au revoir à Kurt. Mais, au moins lors de la première épreuve nous savions au moins à quoi nous attendre. La suite demeure un véritable mystère. C'est cet inconnu qui se dresse devant nous et qui rend l'attente infernale.

Enfin, Kurt arrive. Lorsque la lumière matinale éclaire sa silhouette le silence fait place comme pour l'accueillir. Comme si nous célébrions ensemble le deuil tant attendu de nos dernières heures en sa compagnie. Derrière lui, suivent Warren et Wendy qui chuchotent à voix basse. Tous les trois se tournent vers nous comme s'ils venaient seulement de s'apercevoir de notre présence. Kurt ballait la salle de son regard hautain et s'arrête quelques secondes de plus qu'il n'en faut sur moi. Je déglutis. Si seulement il ne faisait pas trois têtes de plus que moi, je prendrais un malin plaisir à lui dire ma façon de penser. Je soupire bruyamment et croise les doigts, encore une journée et nous en serons débarrassés ! Warren deviendra notre instructeur durant la seconde étape et nous pourrons dire au revoir à Kurt et ses intensions malveillantes !
- Bonjour à tous ! Commence Warren.
Il se tient face à nous laissant sa prestance discipliner nos rangs. Je me demande si une telle autorité émanera jamais de moi.
- Bon, suivez moi !
Sur ce, il s'engouffre dans un couloir toujours suivi des deux autres dirigeants et nous qui les suivons d'un pas hésitant. Tout en continuant à s'enfoncer dans l'antre résistante, il se remet à parler.
- Si vous êtes ici, c'est que la première épreuve a été franchie avec succès et que vous avez fait l'ultime pas pour devenir résistant. Comme vous avez sans doute du le comprendre, cette épreuve était la seule qui pouvait déterminer de votre sortie de notre société. Elle testait à la fois votre adaptation autant morale que physique mais surtout vos capacités en tant que futur résistant. Il est en effet inutile de préciser que la fonction première des résistants est de défendre la ville, vos capacités à rester en vie sont donc primordiales. La seconde épreuve que je dirige est faite pour finaliser votre formation. Elle est centrée sur deux aspects : le sang froid qu'il vous faudra garder en toute circonstance et le jeu collectif. Certains prennent cette formation pour un concours mais le but est avant tout de former une bonne entente qui mènera à une cohésion et un esprit d'équipe qui pourra vous sauver la vie par la suite. Durant cette épreuve, vous devrez affronter les épreuves de la vie.
Je me laisse cinq secondes pour souffler. Affronter la vie ? Il n'aurait pas pu trouver mieux pour me foutre les jetons. Je trouve que la vie et moi avons assez bataillé.
- Pour ce faire, vous serez par duo. Pour une équité la plus parfaite, il a été choisi de réunir à partir du classement de votre première épreuve, le premier et le dernier, le second et l'avant dernier et ainsi de suite. Ouvrez grand vos oreilles je ne répèterai pas. Ant et El, Travis et Ruth, Ed et Cassie, Corey et Don, Carter et Ray.
Je jette un regard en biais à Ant mais voyant qu'il m'observe aussi, je détourne les yeux. Je ne saurais dire si c'est une bonne chose. Sur le plan tactique, évidemment qu'avoir le premier de tous les apprentis en coéquipier n'est pas déplaisant, mais Ant a quelque chose d'autre. Un trop grand mystère ou une trop grande capacité à me percer à jour. Quelque chose de frustrant. Comme une énigme qu'on ne parvient pas à déchiffrer. Et les énigmes ont toujours eu le don de me hanter.

DESCENDANTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant