Rencontre

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Au matin, quand la porte s'ouvre, j'ai des cernes énormes. Évidemment, cela n'attendrit nullement le soldat qui vient me chercher.

Il me lie fermement les mains dans le dos et me conduit sans me lâcher une seule seconde à la porte de la forteresse. Le roi nous attend déjà, avec une quinzaine d'hommes.

Je sais que je ne pourrais pas m'échapper, et l'angoisse me noue toujours le ventre. D'autant plus que je n'ai pas dormi. La fatigue me fait presque chanceler, et n'arrange rien de ma peur.

Sans un mot, nous nous mettons en route, et je me force à avancer. De toute façon je n'ai pas le choix, je suis cernée de toute part par les soldats. Si je m'arrête, je suis entrainée en avant comme si je n'avais rien pesé. En fait c'est l'impression que je dois leur donner, entre ma taille bien inférieure à la leur et mon peu de résistance.

Je finis par ne même plus essayer et me contente de marcher mécaniquement. Je me laisse guider, mon corps est complètement sur pilote automatique. Mon cerveau par contre n'arrive toujours pas à calmer ses peurs. Ma partie rationnelle se dit que ça ira, mon père va payer et je rentrerais chez moi. Mais mon instinct de survie me hurle de tenter de m'enfuir, parce que je vais sûrement mourir.

Je ne me rends même pas compte des kilomètres qui défilent sous mes pieds, et nous arrivons à la nuit tombante plus très loin du campement de mon père.

La troupe s'arrête et je sors de ma léthargie quand je manque de rentrer dans le Yrrksh devant moi.

Je regarde les alentours, hagarde. Je ne pensais pas que c'était possible de perdre ainsi conscience du temps. En effet, nous sommes maintenant presque à l'orée de la Grande Forêt. On voit à quelques kilomètres le campement se détacher sur la plaine uniforme. Nous sommes encore trop loin pour être repérés, et le roi donne des ordres pour l'arrêt ici en attendant la nuit complète.

Enfin, après environ deux heures d'attente supplémentaires durant lesquelles je pique du nez régulièrement malgré ma peur, le soldat le plus proche de moi me fait me relever avec un petit coup de pied. Pas suffisant pour me faire mal mais ça me sors de mon demi-sommeil instantanément, et l'angoisse revient au galop.

Une autre corde est nouée à la première qui entravait mes mains, faisant comme une laisse que l'un des soldats tient fermement en me poussant devant lui.

Quand on arrive en vue plus précise du campement, je sens la pointe d'un poignard entre mes omoplates. Mon cœur accélère encore, mon souffle se fait plus saccadé. Au moindre faux mouvement je peux être morte. Un filet de sueur glacée me coule dans le dos.

Nous avançons ainsi un moment, le temps de nous rapprocher. Évidemment, la sentinelle nous repère. Mais nous ne sommes alors qu'à environ cinquante mètre de l'entrée du camp quand retenti le "qui va là ?" que j'attendais.

Le roi Yrrksh me souffle :

– Réponds. Mais fais attention à ce que tu dis.

Je hoche très légèrement la tête pour lui montrer que j'ai compris et dit à voix haute, bien que moins assurée que ce que je voudrais :

– Je suis Jana, la fille de votre Shmitiyou*. Demandez lui de venir me retrouver s'il vous plaît.

– Oh... euh... tout de suite, ma Dame. Je reviens.

Il disparaît donc à l'intérieur du camp. Quelques minutes plus tard, on le voit revenir avec des torches, des gardes, et au milieu d'eux, mon père. Je suis soulagée de le voir, mais en même temps la tension monte encore d'un cran dans mon ventre et dans ma gorge. Même si je le voulais, je ne suis plus capable d'articuler un mot.

En les voyant avancer, le roi Yrrksh prend la corde des mains du soldat qui me tenait et me fait plier les jambes avec un coup derrière les genoux avant de me forcer à m'agenouiller. Je ne résiste pas. Ça serait inutile.

Les soldats de mon père s'alignent devant le camp, à environ vingt mètres de nous. Ils laissent juste un espace pour qu'il puisse passer. Je vois le Shmitiya s'avancer, je le sens vouloir se précipiter vers moi. Au même moment, le roi Yrrksh pose un couteau sur ma gorge. Lentement. Mon père se fige. Moi aussi. Je ne respire même plus. Ma vie n'a jamais été plus précaire qu'en cet instant.

Le colosse qui me menace prend la parole. Il a une voix posée, mais on sent qu'au fond il est prêt à exploser. Il parle très lentement, mais ça ne le rend que plus terrifiant :

– Je t'ai demandé de me payer une rançon pour ta fille. Tu as refusé. Je t'avais prévenu que si tu cherchais la guerre, tu l'aurais. Mais que tu ne serais pas vainqueur. Et surtout que tu perdrais ta fille. Je te laisse une dernière chance de la sauver. Donne moi l'argent et elle te rejoint sur le champ. Refuse encore et elle meure, là, comme ça.

Je vois mon père hésiter. Perdre la face ou perdre sa fille ainée ?

– Que lui avez-vous fait ? Demande-t-il finalement.

– Rien de méchant, ne t'en fais pas. Mais décide toi vite, ça pourrait changer.

Le couteau s'enfonce de quelques millimètres dans ma peau. Je sens un liquide chaud couler le long de mon cou. Je tremble de plus en plus.

J'espère de tout cœur que mon père va mettre un peu de côté sa fierté. Et qu'il ne vas pas me laisser mourir.

– Dix.

Oh non...



*Shmitiyou signifie roi

La poursuite (en réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant