Chapitre 44

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Abattue et sourde, j'attends dans une antichambre qui ressemble plus à un couloir qu'à un salon qui office de salle d'attente. Le dos légèrement courbé, je laisse le poids de la conversation que nous venons d'avoir se charger entièrement sur mes épaules et ma nuque. Alexander m'a laissée ici depuis je ne sais combien de temps. J'ai entendu quelques fois des éclats de voix dans la pièce à côté mais ils ont toujours fini par s'estomper. Je ne sais pas quoi penser. Je laisse mon esprit divaguer au gré de mon désespoir. Cette entrevue ne s'est pas passée comme je l'avais préparée et c'est la faute d'Alexander. Jamais je n'aurai cru l'accuser si durement mais aujourd'hui, il m'a fait plus de mal que je l'imaginais. Il m'a laissée croire que mon plan marcherait, qu'il me laisserait agir en me mettant en confiance pour finalement prendre la tête et retourner la situation. J'ai peur de m'être trompée, d'avoir ma confiance à la mauvaise personne, de me retrouver enfermée dans une situation et une famille qui seront ma cage dorée pour toujours.

J'entends à nouveau de éclats de voix. Cette fois ils crient, ça se rapproche de moi. Ils sont juste derrière la porte qui emmurait ma solitude. Soudain, la porte s'ouvre dans un grand fracas. J'imagine la tête surprise du valet derrière qui est censé l'ouvrir. Je vois Alexander débouler comme un chien enragé dans l'antichambre. Il fait de grands pas en serrant les poings. Je le regarde avancer, le visage fermé et les sourcils froncés. Il ne semble pas me voir. Le roi le suit avec la même attitude, j'ai l'impression de voir deux clones à des âges différents.

Edward: Je peux savoir où tu vas comme ça ?!
Alexander: Chercher cette bague que vous n'avez plus. Comment avez-vous pu vous en séparer ?
Edward: Oh non mon garçon, tu ne dérangera pas ta grand-mère à cette heure de la nuit !
Alexander: Et pourquoi ne le ferai-je pas ?

Alexander s'est alors retourné dans une volte-face tranchante pour faire face à son père, pointant le doigt sur lui. Leurs visages sont déformés par la colère et la fatigue à cette heure. Je regarde une des nombreuses pendules de cette pièce. Il est actuellement vingt-deux heures trente. Le temps est comme en suspend, ils sont prêts à se jeter l'un sur l'autre. Il suffit qu'un arbitre siffle le début du combat et ils le feront. Mais si personne n'intervient pour lancer l'affrontement, leur rang et leur qualité de gentlemen les en empêcheront.

Edward: Il est absolument hors de question que tu réveilles ta grand-mère pour cette histoire ridicule !
Alexander: Comme si Granny dormait à cette heure.

La contre-attaque du prince héritier fait blêmir le roi de rage dans un silence lourd. C'est autour d'Alexander de pointer un doigt sur son père.

Alexander: Redites encore une seule fois que mon histoire avec Rose est ridicule et il vous faudra vous trouver un autre héritier pour votre chère lignée.

Cette menace lancée sur un ton froid et définitif cloue le roi sur place. Ses bras retombent le long de son corps et ses épaules s'affaissent de quelques millimètres. Alexander expire bruyamment et reprend sa route dans je ne sais quelle direction avec la même détermination. Le roi et moi nous retrouvons dans la même pièce, à nouveau. Cette fois, l'air se fige autour de nous. Le temps n'avance plus et je n'ose presque pas respirer. Le risque serait, encore une fois, de faire basculer ce monde que je ne connais pas, rien quand faisant bouger les atomes qui sont dans l'atmosphère.
Trois ou quatre minutes passent et semblent être une éternité. Une éternité dans laquelle le roi et moi sommes bloqués, dans une salle immense, entre deux portes ouvertes. Je le guette du coin de l'œil tandis que lui ne m'adresse pas un seul regard. Je me replace très lentement dans mon fauteuil. Je viens de réaliser que je m'étais blottie dans un coin du siège devant cette scène. Je m'efforce de remettre mon dos droit, de relever la tête et de calmer ma respiration. J'essaie de ne pas penser à ce que doivent ressentir les personnes extérieures à cette famille qui n'ont pas de passé militaire. Pour moi, c'est difficile alors pour eux, ce doit être un calvaire.

L'étoile et le lionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant