J'enfile la troisième veste de mon équipement. Par dessus la combinaison et le gilet pare-balles, j'ai l'impression d'être un ogre mais il est fait extrêmement froid dehors à cette heure ci. Je me lève plus tôt sur tout le monde pour superviser le départ des premiers convois. Avec mon paquetage sur le dos et mes petites fiches à la main, je quitte ma cellule. En me retournant sur la petite pièce si impersonnelle et simple, j'ai comme un pincement au cœur. Et comme je le fais secrètement à chaque début d'opération, j'adresse une prière à qui voudra bien l'entendre. Je ferme la porte à clé et je range le trousseau dans une poche de mon sac. Je remonte le couloir dans un silence qui pourrait effrayer n'importe qui ; moi il m'apaise. Je passe le sasse d'entrée et le froid d'une nuit dans le désert m'assaille sans ménagement.
La brise glacée et sèche me pique le visage alors je mets mon casque pour protéger ma tête autant que je le peux. Deux faibles ampoules éclairent l'extérieur et les premiers groupes à quitter notre camp sont déjà en rangs, prêtés à partir avec les véhicules qui leur ont été attribués. Cette scène a quelque chose d'apocalyptique : il n'y a presque pas de lumière et ces soldats debout dans le froid d'un désert perdu paraissent endormis, attendant qu'un sort les réveillent. Les ordres sont lancés et les troupes commencent à bouger. Montant en rythme dans les chars et les fourgons blindés, le bruit des moteurs prend toute la place. Les embrayages craquent et les voilà partis. On commence à préparer le deuxième convoi censé partir dans une petite heure avec Arthur à son bord, dirigé par Paul. Je participe aux derniers préparatifs. Monter les caisses dans les fourgons, vérifier le nombre de munitions, s'assurer que les trousses de premiers secours sont bien sous les sièges conducteurs. J'aide ensuite les médecins à vider l'infirmerie du camp. Cette vision me fait réaliser qu'il y aura peut-être des blessés. J'en suis consciente et cette éventualité n'a jamais quitté mon esprit mais ces tâches rendent toujours la réalité plus flagrante, il paraît impossible d'en échapper.
Paul: Merci de finir de préparer mes affaires pour mon départ, j'ai hâte d'arriver pour me baigner.
Paul est toujours très drôle, il a beaucoup d'humour et je ne l'ai vu que très rarement pessimiste. Ce sont certaines des choses qui me le rendent sympathique. Je souris en l'entendant derrière moi.
Moi: Mais bien sûr Monsieur !
Il sourit franchement et pose une main sur l'épaule. Ses cheveux bouclés blonds vénitiens dépassent un peu de son casque.
Paul: Ne t'inquiète pas. C'est une opération comme une autre. Tu en as dirigé beaucoup et elles ont toutes réussi.
Moi: Justement si c'était la première ?
Paul: Il faut que tu aies confiance sinon tout le monde le sentira, compris ?Il n'a pas tort et quitte à passer pour une créature insensible, je dois faire preuve de courage et de force devant nos compagnons. Dans ce genre d'actions, les émotions se transmettent très rapidement et perdre son calme peut mener à des erreurs importantes. Je dois garder la tête froide, comme je le fais d'habitude.
Paul: Aller courage, c'est bientôt l'heure.
Il me fait une accolade avec un sourire amical plus que sincère. Paul est un des rares collègues que je peux appeler amis. J'en ai si peu, à cause de mon fichu caractère. Mais ils comptent tous énormément pour moi.
Paul: A bientôt.
Il ne dit jamais au revoir, persuadé qu'on se reverra. Croyant, il n'a jamais de doutes quant à la question des retrouvailles, ici ou ailleurs. J'aimerais avoir ses convictions. Peut-être m'aideraient elles à affronter certaines angoisses passagères. Je lui souris doucement en le regardant s'approcher du blindé qu'il va conduire. J'entends les bottes des soldats du deuxième convoi frapper le sol derrière moi. Je me retrouve doucement, ils s'arrêtent et me saluent comme le veulent les règles ici. Je leur répond et leur demande de poursuivre. Je vois Arthur au milieu des lignes. Le regard que je lui lance doit être bien désespéré pour qu'il me réponde en fronçant les sourcils. Je les regarde passer devant moi pour rejoindre les véhicules qui les mèneront à quelques dizaines de kilomètres d'ici. Il se retourne pour me regarder. Je m'approche.
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L'étoile et le lion
Genç KurguFrançaise et entravée par des principes familiaux, sa vie prend un tournant alors qu'elle traverse la Manche comme tant d'autres fois auparavant. Anglais et promis à un avenir lourd de responsabilités, il est bousculé par l'imprévu d'une mission ba...