Chapitre 26

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Alexander: C'est là que tout a commencé à déraper pour moi.
Moi: Que veux tu dire ?
Alexander: J'étais adolescent, mon frère était plus âgé que moi avec déjà de lourdes responsabilités. La disparition de ma mère m'a fait perdre mes repères. Je n'étais plus aussi concentré sur mes études. Mon père a encore resserré la vis et j'ai implosé finalement à dix-huit ans. Après l'obtention de mon diplôme, il m'a mis un pied dans l'armée pour je cite, « me cadrer et me faire prendre conscience de qui j'étais ».
Moi: Décidément, nos parents ont à peu de choses près la même conception de l'éducation. Éloigner le problème, refiler la patate chaude à quelqu'un d'autre en espérant qu'il se réglera tout seul si l'on attend assez longtemps.

Ses yeux sont accrochés aux miens, comme si au delà du discours il voulait me transmettre ses visions, ses pensées et ses ressentis aux moments qu'il me décrit. Je vois qu'il comprend ce que je dis et qu'il sait que je le comprend.

Alexander: Je ne sais pas si c'est mon apparence, mon rang ou mon caractère mais j'étais déjà pas mal pris pour cible par les photographes de presse et les journalistes. J'ai appris à jouer avec eux au fil des années, rendant mon père un peu plus furieux chaque jour. Pourtant, je m'efforçais de briller dans tous les domaines. Ce n'a jamais été suffisant. Et puis, alors qu'il se rendait dans notre château de Balmoral en Ecosse, Alban a été poursuivi. Il était l'héritier et ça m'arrangeait bien, alors il attisait encore plus les convoitises que moi. Il pleuvait, la route était détrempée. La voiture roulait trop vite pour échapper aux journalistes et était trop lourde pour freiner, elle a dérapé. Mon frère est mort quelques heures plus tard à l'hôpital.

Les images du choc, des ambulances et des fourgons de police transférant les corps du prince, de son garde du corps et de son chauffeur à l'hôpital, du ballet incessant des caravanes de presse au pied du bâtiment me reviennent elles aussi peu à peu. Cela a duré quelques heures, toutes intenses et j'étais en mission à cette époque. Le ministère des Affaires étrangères me tenait informée de la situation à chaque nouvelle. Je n'ai vu les images qu'à mon retour en France deux mois plus tard.

Alexander: En un claquement de doigts, je suis devenu héritier de la couronne, du royaume d'Angleterre. J'avais déjà perdu ma mère, mon insouciance, je n'ai jamais connu l'amour d'un père. Et me voilà maintenant propulsé sur le devant de la scène, devant me préparer à devenir roi. Je n'ai pas supporté cette pression. Après l'enterrement de mon frère, je suis parti en mission. Et cette fois, mon père m'en a voulu de choisir l'armée. Il était furieux que je ne sois pas resté pour me préparer à reprendre la tâche d'Alban. Ça n'a qu'empirer les choses entre lui et moi.

Je comprends tout. Bien que je n'ai jamais été confrontée à d'autres pressions de la part de ma famille que de me trouver un mari au plus vite et d'enfanter, je comprends ce qu'il a pu ressentir. Perdre les personnes qui nous sont chères est horrible, d'autant plus lorsqu'elles sont notre socle dans une position aussi important que celle d'Alexander. Il s'est vu attribuer le destin d'un autre, contre son gré et bien malgré lui tout en devant accepter les conséquences qui vont avec.

Alexander: Je suis devenu la source de toutes leurs préoccupations. Le palais, mon père, les journaux, les foules... tout le monde n'en avait qu'après moi. Je me suis retrouvé au milieu d'un tourbillon insupportable. J'ai appris à m'y faire, à m'adapter. Et me voici, un prince discret, prêt à accepter son sort, obligé de mentir pour se protéger.
Moi: Je trouve ça horrible. On dirait un condamné à mort, tu attends sagement que vienne ton tour sans jamais t'autoriser à rêver de quelque chose de meilleur même si ça reste irréel.

Il écarquille les yeux en lâchant sa fourchette dans son assiette.
Je sais que c'est largement plus facile à dire qu'à faire, surtout quand on ne porte pas de titre ni l'avenir de tout en pays entre ses mains. Mais je repense à l'écrasante case où l'on a tenté de me faire entrer bien gentiment jusqu'à la fin de mon adolescence, sans aucun scrupule. Ne pouvant plus me permettre de me laisser étouffer de la sorte, j'ai tout fait exploser, laissant voler en un million d'éclats de verre le peu d'estime que ma famille avait pour moi. Ces morceaux ont tapissé l'écart déjà béant entre ma mère et moi, le rendant infranchissable.
Il doit se dire que je suis folle de dire ça, que je ne me rends pas compte. Il a peut-être raison mais je suis persuadée de ne pas avoir totalement tort. Au moment où il ouvre la bouche, quelqu'un frappe à la porte. Alexander s'affaisse dans sa chaise, soupirant bruyamment.

L'étoile et le lionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant