Alexander

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Cela fait une demie-heure que le médecin est enfermé dans notre chambre avec Rose.
Il faut dire qu'il est arrivé très vite après l'appel de ma grand-mère et qu'il s'est montré très gentil et bienveillant, comme toujours.
Le docteur Humphrey est le médecin de famille depuis que ma mère est arrivée au palais, c'était le sien. C'est un homme extrêmement soucieux de ses patients et il est très agréable de par sa douceur d'homme maintenant au front grisonnant.
Il a garé sa vieille Jaguar bleue et est monté, valise à la main. Il est entré et a examiné de loin Rose. Les gouttes de sueur ne coulaient plus le long de ses joues, absorbées par le gant de toilette humide que la grand-mère appliquait sans cacher son inquiétude. Il a posé un tas de questions sur les habitudes de Rose, ce qu'elle avait mangé et fait comme exercice durant les dernières quarante-huit heures, les éventuels soucis que nous avons en ce moment même.
Il est vrai que nous avons du affronter beaucoup de problèmes dans notre couple dernièrement, si importants que Rose a pensé à divorcer, ce qui m'a rendu complètement fou. Mais comme toujours, nous nous sommes retrouvés au bout de peu de temps alors que pour nous, c'était une éternité.

Le docteur a ensuite demandé à ce que nous sortions de la pièce pour le laisser seul avec Rose, l'examiner et parler avec elle. C'est la première fois qu'il l'ausculte et il ne la connaît pas très bien, je suppose donc qu'il veut en savoir un peu plus sur elle. Mais l'attente devient longue pour moi. Le grand salon qui donne sur notre chambre est vaste, heureusement. Je l'ai voulu plus épuré pour ne pas nous sentir étouffés sous les dorures et le décor trop lourd et solennel. Rose souhaitait aussi quelque chose de plus gai et moderne.
Mais là, je me fous de la décoration de cette fichue pièce. Ma grand-mère n'arrive plus à me tenir en place ; je passe d'un sofa à une fenêtre, de debout à assis, de stable à excité au point de faire les cent pas. Elle se lève soudain et vient vers moi.

Mary: Alexander, assieds toi.
Moi: Je suis inquiet.
Mary: Je le vois bien.
Moi: Oh grand-mère, qu'est-ce qui lui arrive ?
Mary: Je ne sais pas mon petit prince mais ne t'inquiètes pas. Le docteur est avec elle, il s'occupe d'elle.

Mon petit prince... le surnom que me donnait ma mère et ma grand-mère, je ne sais même pas pourquoi j'ai hérité de ce nom là. Mon frère était souvent appelé mon fils ou bien mon coeur. Peut-être parce qu'il était moins turbulent que moi.
Je prends les mains de ma grand-mère dans les miennes en les serrant très forts et les rapprochant de mon visage. Je ferme les yeux un instant.

Moi: Si elle était malade...
Mary: Alexander, ne penses pas à ça ! Rose est une femme forte, elle ne pourrait être malade et vous vivez sous une bonne étoile.

Devant ma petite moue, elle reprend :

Mary: Vous vous êtes séparés plusieurs fois, vous vous êtes disputés, vous ne vous êtes pas toujours compris mais vous avez ri, vous avez parlé, vous avez partagé beaucoup de choses, vous vous aimez, vous êtes mariés et soudés plus que jamais. Ce n'est pas une bonne étoile ?
Moi: Sans doutes, mais je penses...
Mary: Ne penses-tu pas plutôt que la vie vous a fait un énorme cadeau en vous rencontrant ? Est-ce que l'histoire n'aurait-elle pas été différente si vous n'aviez pas partagé cette mission militaire ?
Moi: Si, j'admets. Je ne méritais pas qu'on m'envoie cette femme là...
Mary: Mais arrête un peu d'avoir si peu de confiance en toi !
Moi: J'ai confiance en moi mais lorsqu'il s'agit d'elle, je...je ne sais plus.
Mary: Fais confiance à l'avenir, rien de mauvais n'arrivera maintenant, je le sens.

Il est vrai que ma grand-mère sent et voit certaines choses que le commun des mortels ne peut pas voir venir. Je hausses donc légèrement les épaules et relève le regard vers son visage. Son visage rond et doux, celui d'une grand-mère aimante et bienveillante. Elle n'est pas si vieille malgré quelques rides : elle va bientôt avoir soixante-douze ans.
Elle sourit et me prend dans ses bras pour me rassurer. Je fixe la porte de la chambre en me posant mille questions que je ne pourrais traduire en de véritables phrases. Est-ce que ? Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Et donc ? Que se passe-t-il ?

Puis Mary se remet face à moi et tient mon menton entre son index et son pouce, comme on le fait avec les enfants ; mais je me sens un peu enfant. Un éclair dans mon esprit me fait réaliser qu'elle est toujours là, elle. J'ai perdu ma mère, mon frère, j'ai manqué de l'amour d'un père, j'ai mis du temps à faire confiance à une femme : je pensais qu'on m'avait tout retirer pour me rendre la tâche le plus difficile possible. Mais non, elle est là et elle n'est pas encore partie. J'ai de la chance finalement.
Je sors de mes pensées au son de sa voix.

Mary: Tu veux un chocolat chaud ?
Moi: Avec plaisir.

J'affiche un large sourire. Rose ne l'a su qu'il y'a peu de temps mais le chocolat chaud n'était pas une découverte pour moi lorsque je l'ai connue. Elle a simplement réveillée une vielle habitude gourmande que j'avais lorsque j'étais petit. Remplacé par le thé de force après la mort de ma mère, j'ai oublié durant tout ce temps cette boisson qui me faisait tellement de bien. Aujourd'hui, je l'apprécie plus que jamais.
Lorsque la tasse fumante arrive sur un plateau roulant poussé par une domestique, je sursaute en entendant la porte de notre chambre s'ouvrir. Le chocolat attendra, je pourrais même le donner à Rose.
Le docteur se poste face à nous en poussant un peu la porte après être sortie, ne voulant pas exposer la future reine dans son état. Il sourit timidement, preuve de sa bonté mais son sourire a quelque chose de... différent. Je le presse :

Moi: Et bien !
Docteur: Sa Majesté a eu très mal au ventre aujourd'hui, il faut qu'elle se repose et qu'elle reprenne quelques forces. Son corps va être affaibli plus facilement.
Moi: Qu'est-ce qu'elle a ? Elle est malade ? S'il vous plaît docteur !
Docteur: Il est inutile de vous inquiéter. Il faudra faire attention à vos activités néanmoins, pas trop d'efforts, conservez une alimentation saine et un peu plus de sommeil.
Moi: Mais qu'a-t-elle à la fin ?!
Docteur: Votre femme est enceinte votre Majesté.

Enceinte. Enceinte, enceinte, enceinte... je n'entend plus que ça. Tout le reste n'est qu'un bruit sourd. Je regarde autour de moi comme si je cherchais quelque chose et je vois le docteur et grand-mère me regarder en attendant une réaction de ma part. Soudain, j'ouvre la porte et pénètre dans notre chambre. Il fait plus frais, la porte est ouverte et la douce lueur des lampes veilleuses éclairent le visage fatigué et inquiet de ma femme. Si belle dans ses draps au milieu de ses coussins. Je me précipite à ses côtés, prenant ses mains. Elle lève immédiatement le regard vers moi.

Rose: Je suis désolée. Je savais que tu voulais attendre... Nous n'avons pas été très vigilants. Mais ça ne fait qu'un mois et demi tout au plus, nous pouvons toujours...
Moi: Tais toi.

Elle se tait immédiatement et baisse à nouveau la tête. Je laisse sortir le sourire large qui me fait déjà mal aux joues et reprend :

Moi: Je rêve d'avoir un enfant si c'est avec toi. Alors nous l'aurons. Et je suis très heureux.

Elle relève ses yeux légèrement plissés, brillants maintenant d'une sorte d'espoir. Elle me regarde intensément. Je la sers contre moi si fort que je sens son cœur battre.

Moi: Je n'ai jamais été aussi heureux de toute ma vie.
Rose: Si tu savais comme je t'aime.
Moi: Et moi donc...

L'étoile et le lionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant