L'étoile et le lion

Chapitre 36

Après de longues minutes dans un silence pesant et sans rien à se mettre sous la dent pour faire passer le temps plus vite, une des pendules sonne. Il est dix-neuf heures trente tapantes.
Le roi lève le menton et alors tous les membres du personnel s'ébranlent dans un ballet parfaitement répété pour débouler avec des plateaux roulants débordant de plats succulents. Il ne sourie pas et ne laisse absolument rien paraître. Nous sommes tous servis et enfin, nous pouvons attaquer ce qui semble être un bouillon de légumes. Je n'ai pas le temps d'avaler deux cuillerées que je suis interpelée.

Edward: Votre Grâce, comment avez-vous rencontré mon fils ?
Moi: Nous nous sommes rencontrés à une réception donnée par mon oncle et ma tante, les Middleton, en décembre dernier.
Edward: Vraiment ? Pourtant des rumeurs toutes autres laissent penser que vous vous êtes connus dans des endroits disons, plus intimes.

Le roi a l'air doué en joutes verbales et en plus, de prendre son pied. Mais il ne sait pas qu'il a face à lui quelqu'un de surentraîné. Je remercierai presque Sacha en ce moment. Je sais ce qu'il me reste à faire : répliquer de manière aussi directe et piquante qu'il le fait.

Moi: Je n'ai pas entendu ces rumeurs, quelles sont-elles ?
Edward: On rapporte que vous vous êtes connus dans un de ces clubs libertins de Londres. Une relation des plus surprenantes.
Moi: En effet, quand on sait que je n'ai déjà guère de temps à accorder à ma famille.

Ma réponse mouche l'assemblée qui retombe le nez dans son assiette. Je jette un coup d'œil à Alexander. Il observe tout ce qu'il se passe, les moindres faits et gestes de sa famille mais surtout de son père. Il est agrippé à sa cuillère. Je n'arrive pas à voir ce qu'il pense.
Nous changeons de plat et voici maintenant l'entrée. Une mousse de poisson en gelée avec des toasts. Je change de couverts et ne redemande pas de vin.

Edward: J'ai appris que vous aviez été décorés en même temps dernièrement à Paris. Alexander a reçu la médaille d'honneur pour actes de courage et de dévouement, je ne sais pourquoi. Et vous, vous avez reçu la médaille infirmière de guerre ?
Moi: J'ai été décorée du titre de chevalier de la Légion d'Honneur, étant donné que j'avais déjà reçu les décorations précédentes. Il a semblé à mes supérieurs que mon travail et mes actes le méritaient. Quant à Alexander, c'est grâce à lui si je suis encore en vie aujourd'hui. Il mérite amplement la décoration que notre armée lui a accordée.
Edward: Excusez moi, je pensais que vous faisiez partie du corps médical. Mais alors vous dirigiez cette mission ?
Moi: Tout à fait Monsieur. Mais pourtant il est difficile de se tromper, tous les journaux de ce pays ont diffusé la photo le jour de ma titularisation de général de corps d'armée.

Cela laisse sous entendre qu'il me prend pour une idiote mais que je ne le suis pas. Il le sait et je le sais. Il sait aussi que je n'en suis pas une mais il essaie de m'humilier avec une réputation amoindrie, salie ou encore piétinée. Je bouillonne au fond de moi mais ce soir, le roi a voulu rencontrer une duchesse. Plus cette discussion avance, plus l'atmosphère est tendue. Je m'en fiche à part pour Alexander qui a l'air de mal le vivre. Je suis satisfaite de mettre autant la pagaille dans les petits plans bien ficelés de sa majesté. Nous attaquons le premier plat de résistance et pour l'instant, je ne suis pas encore découpée pour être dévorée. Et après plusieurs tentatives de déstabilisations et de d'humiliations sur moi, qui tantôt font ricaner et tantôt étonnent les convives, il décide de changer de tactique. Un choix plutôt sage s'il avait pensé à un abandon simple et net de ce petit jeu ridicule. Mais le roi doit penser que s'attaquer à Alexander ouvrira plus facilement une brèche.

Edward: Alexander, ton secrétariat m'a fait savoir que tu ne t'étais pas rendu à plusieurs engagements en avril et la semaine dernière. Pour qui te prends-tu ? Certains d'entre eux ont été pris il y'a des mois, c'est indigne de la fonction que tu es censé occuper !