Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]

Aileen (Chapitre 8)

— Je... commença Theobald avant de s'interrompre.

Un léger vrombissement au poignet d'Aileen ne pouvait signifier qu'une chose : un message urgent.

Elle baissa son regard vers la surface de verre, furieuse d'être interrompue à deux doigts de savoir l'opinion de son fils, et lut rapidement le message concis d'Andrei qui s'affichait.

Chaîne radiophonique numéro 3457.

La colère la déserta aussitôt et elle baissa la tête vers Theobald assis près d'elle sur le sol.

— Je crois que... que l'empereur est en train de prendre la parole à ton sujet sur l'une des chaînes de radio à grande écoute.

— Je veux l'écouter alors. Pas vous ?

Elle hésita. Qu'était en train de dire Rodolphe ? Pouvait il détruire son fils par des mots ? Theobald la tira de ses pensées en se levant du sol pour venir s'asseoir près d'elle sur la couchette.

— Maman vous avez passé votre vie à essayer de me protéger... et je vous en remercie. Mais j'ai grandis et ce n'est pas une simple allocution à la radio qui va me faire du mal.

Elle se retint de répondre abruptement que ce qu'ils allaient entendre étaient tout sauf "simple" mais accepta ce que venait de dire Theobald. Il avait raison, elle avait toujours tendance à réagir envers lui comme s'il était toujours le petit garçon fragile de six ans susceptible à tout moment de perdre le contrôle et de se transformer en loup.

— Très bien, allons y, je suppose que tu as raison.

En quelques clics elle connecta l'écran de son poignet à celui au mur de la chambre et demanda la chaîne de radio. Un instant plus tard la voix d'un commentateur résonnait dans la pièce.

« Quelle surprise et quel honneur de découvrir que je tenais au bout du fil – si je puis dire ! – le célèbre empereur lui-même... Chers auditeurs, Rodolphe Astra, premier du nom, descendant de la lignée fondée par Tugdual d'Alcy en 2063 renommé Astra, faut-il le rappeler, en direct aujourd'hui à dix-huit heures quarante-cinq... »

Un tonnerre d'applaudissement se fit entendre et Aileen secoua la tête pour elle même. Les médias galactiques commençaient à échapper à tout contrôle eriquien et prenaient de plus en plus de liberté avec la discrète censure qu'exerçait jusque là l'AM.Erica. Présenter sous un jour si favorable l'empereur et rappeler l'ancienneté de sa dynastie devait faire s'arracher les cheveux à la police des ondes.

Elle n'eut pas le temps de réfléchir, entendant une voix grave prendre la parole en réponse au présentateur. Malgré sa tranquillité affichée, Theobald se tendit à côté d'elle.

« Merci à vous d'avoir accepté de me laisser m'exprimer... Lorsque j'ai entendu la nouvelle, j'ai tout de suite voulu prendre la parole. Autant pour les Astrayens, que certains aimeraient voir disparaître, que pour les Eriquiens. Avant d'aller plus loin, sachez déjà que la naissance de Theobald ne fut pas voulue... Cet enfant n'est pas dû à un complot pour fragiliser l'AM.Erica de ma part, et je ne crois pas non plus avoir été joué par Aileen d'Erica dans le but de prendre le contrôle d'Astra. Theobald est mon fils, je le reconnais aujourd'hui devant toute la galaxie après l'avoir caché si longtemps, mais sachez qu'il est né parce que sa mère et moi nous sommes réellement aimé, en oubliant un temps la politique. J'avais caché à la reine mon identité d'empereur... Elle ne m'avait pas dit qu'elle tenait dans les geôles du palais ma sœur, et la martyrisait. Nous étions jeunes, fous, amoureux, nous avons cru pouvoir oublier... Nous nous sommes mariés, secrètement, mais nous avons tous les documents le certifiant. Theobald est un enfant secret mais légitime, et je suis fier de reconnaître qu'il est mon fils... »

Le présentateur mît un instant à surmonter ses émotions, ce qui n'étonna pas Aileen qui elle même peinait à surmonter le choc d'entendre comme s'il était dans la pièce, la voix de Rodolphe, revenant des tréfonds de sa mémoire et ramenant avec lui des milliers de souvenirs et sensations oubliées.

Theobald posa sa main gauche sur la sienne et elle referma ses doigts sur lui, d'un geste réconfortant. Elle ignorait cependant qui s'accrochait désespérément à l'autre, de lui ou d'elle. Peut-être les deux. Une présentatrice laissa échapper un sifflement avant de reprendre la parole.

« Tout le monde sait que vous avez fui le palais en révélant votre identité et en faisant sortir illégalement de prison Sibylle Astra... Votre sœur. Combien de temps avez vous vécu aux côtés d'Aileen en tant qu'époux ? »

Aileen aurait voulu crier que cela ne les regardait pas, que c'était ses secrets, sa vie cachée, la seule partie d'elle même qu'elle n'avait jamais livrée à son pays... Mais Rodolphe paraissait avoir opté pour une parfaite franchise. Il s'exprimait en eriquien, avec ce très léger accent presque imperceptible qui le caractérisait lorsqu'il s'exprimait dans cette langue qui n'était pas la sienne.

« Quatre jours. »

« Et vous avez eu le temps d'avoir un enfant... Theobald Astra. »

Aileen se releva vivement de la couchette où elle était assise, furieuse et prête à frapper l'écran noir juste pour faire cesser cette interview insupportable. Son fils la retint par le bras cependant, vrillant sur elle son regard ferme et intelligent.

— Maman je vous en prie... Laissez moi l'écouter jusqu'au bout. C'est... C'est mon père et je veux savoir tout ce qu'il pense de moi.

Elle se rassit, puis attira contre elle le garçon qui posa sa tête sur son épaule.

— Tu as raison. Désolée de m'être emportée.

Un sourire étira les lèvres de Theobald.

— Cela ne doit pas être facile pour vous de l'entendre. Comment pourrais-je vous en vouloir ?

Elle ne répondit pas à sa question rhétorique et ils se turent tous deux tandis que le présentateur masculin s'adressait à Rodolphe Astra, qui n'avait pas relevé l'utilisation de son nom pour son fils.

« Selon vous, Theobald est l'héritier d'Astra ou de l'AM.Erica ? »

La réponse se fit attendre et un lourd silence plana pendant quelques secondes. Aileen se surprit à retenir son souffle, tandis que Theobald s'était redressé pour fixer droit devant lui l'écran même s'il ne représentait aucune image puisque l'émission était uniquement radio.

« Il n'existe pas de précédent juridique. Il y a déjà eu par le passé des alliances volontaires de dirigeants, auquel cas leurs enfants ont hérité de leurs diverses charges. Mais personne n'a jamais eu un enfant avec la représentante d'un pays en guerre contre le sien... Je crois qu'il n'existe qu'une réponse adaptée. C'est à Theobald Astra de choisir lui-même de qui il veut prendre la suite. Je précise immédiatement pour les Astrayens qui nous écoutent que si mon fils choisit l'AM.Erica, il sera rayé de nos héritiers... même si là aussi ce serait une première juridique depuis l'impératrice folle. Quant à Theobald, si tu m'écouter, saches que personnellement, quoi que tu fasses et même si je dois publiquement te désavouer, je t'aime comme un père. Je t'ai eu à mes côtés quelques semaines, lors de cet enlèvement lorsque tu avais cinq ans... J'ignore si tu t'en souviens, mais je t'avais promis de ne jamais te combattre. Je n'ai pas oublié, et je le proclame devant la galaxie entière : je tiendrai ce serment. S'il faut un jour qu'Astra t'affronte, ce sera fait, mais je ne serai pas en face de toi... »

La voix de l'empereur, de l'homme le plus célèbre de la galaxie, se brisa, et Aileen tourna la tête vers Theobald.

L'adolescent pleurait, mais un grand sourire éclairait ses traits malgré tout.

— Je me souviens. Et je ne chercherai jamais non plus à vous affronter...