Aileen (Chapitre 45)

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Le vaisseau de la reine se détachait des autres en premier, suivis du gros de la flotte ensuite.

Les premières attaques derrière eux commençaient et Aileen pivota dans la salle de commandes, pour venir se placer face à un écran de visualisation. Chacun de leurs vaisseaux était représenté par un point en progression dans l'espace.

Ses soldats gardaient un calme parfait dans la pièce centrale de commande, mais l'ambiance venait de s'alourdir d'un coup.

En silence elle regarda les premiers points lumineux s'éteindre sur l'écran.

Une sonnerie d'alarme sonnait pour chacun des vaisseaux touchés, en sourdine pour ne pas gêner le pilotage de leur vaisseau mais bien présente et curieusement entêtante.

La reine se tourna vers Andrei et ils échangèrent un regard tandis qu'une troisième sonnerie se déclenchait.

— Je n'ai pas de regret. Les Astrayens ont sacrifié tous les adultes d'une planète, nous ce sont une partie de nos troupes.

— Il y a une différence. Les Astrayens ont sauvé leurs enfants, pas sacrifiés leurs adultes.

Aileen ne répondit rien. C'était vrai. Qu'aurait fait Rodolphe ? Comment l'aurait-il jugé pour cette action ?

Elle laissa échapper un sourire amer. Ce questionnement continu de ce qu'il pourrait penser d'elle... Son plus grand moteur d'action et son frein le plus puissant. Être à la hauteur, donc se battre contre toutes ses faiblesses, et dans le même instant, craindre son regard, rendant plus difficile devant lui chacune de ses actions et demandant toujours devant lui beaucoup plus de courage.

Il ne faisait plus partie de sa vie cependant, alors elle était libre. Libre de choisir de sacrifier ses hommes, de gagner cette guerre, et d'oublier le frein que pouvait être son regard. Mais elle était aussi en train de renoncer à elle même au passage, à son désir de toujours demeurer à la hauteur de ses idéaux.

***

— Sécurisez le périmètre ! Envoyez des escadrilles pour explorer les environs, des observateurs sur la route menant à Ivy, je ne veux prendre aucun risque !

Andrei descendait la passerelle et Aileen le suivait, juste derrière. Damien semblait avoir disparu de la circulation.

Les premières tentes du campement avaient déjà été montées, à côté de celles des Eriquiens présents sur place avant leur arrivée.

Aileen avait été retenue par sécurité dans le vaisseau pratiquement jusqu'au dernier moment, histoire de s'assurer qu'aucun piège ne les attendait sur la surface d'Astra mais aussi parce qu'elle tenait à demeurer dans la salle de commande.

Elle avait voulu entendre les dernières paroles de chaque homme qui s'était exprimé dans les radios de liaison.

Certains avaient hurlé lorsque le coup fatal avait frappé leur appareil, d'autres avaient transmis leur amour pour un époux, une femme, une maîtresse, un amant, des enfants, d'autres encore, le pire à entendre, l'avaient assuré une dernière fois avant de mourir de leur loyauté et remerciée de cette écoute des derniers instants.

Aileen serra sa main sur la rambarde métallique, parfaitement immobilisée alors que tout le monde s'activait à droite et à gauche. Des véhicules légers de transports sillonnaient déjà les chemins entre les tentes, soulevant des nuages de terre grisâtre, et elle était là, hésitante, à attendre avant de poser le pied sur le sol.

— Majesté ?

Elle se retourna lentement pour croiser le regard de Damien, derrière elle en haut de la plate-forme, à l'entrée du vaisseau. Il la dévisageait avec une curieuse compréhension, inattendue mais perceptible.

Il descendit rapidement pour la rejoindre, se postant à côté d'elle à un mètre du sol.

— Vous trouvez cela beau, vous ?

Elle embrassa du regard l'horizon. De la terre noirâtre, un ciel rougeoyant en cette matinée, et au loin les ruines affreusement sinistres d'Ivy. C'était hideux, froid, le vent soufflait par rafale, et pourtant, il se dégageait de l'ensemble un je-ne-sais-quoi de troublant qui serrait le cœur.

— Non. Mais j'imagine qu'il y a derrière tout cela quelque chose que nous ne pouvons plus comprendre.

Elle n'hésita plus ensuite et franchit la faible distance qui la séparait encore de la terre d'Astra.

Une bourrasque de vent souleva ses cheveux bruns, sans qu'elle s'immobilise pour autant. Elle s'avança devant son vaisseau, jusqu'à gagner la première lisière des tentes. Damien la suivit, courant presque pour être à son niveau.

— Majesté, quels sont vos ordres ?

Andrei venait de surgir de sa droite et la rejoignait en quelques pas, empressé et visiblement soucieux.

Elle s'arrêta, répondant au passage d'une inclinaison de tête au salut d'une dizaine de ses soldats qui passaient en formation, pour laisser à son commandant le temps de la rejoindre.

— Majesté, les Astrayens sont cachés dans les ruines d'Ivy, éparpillés d'après les détecteurs de nos vaisseaux. Nous aurons beaucoup de mal à les débusquer là-bas.

Bien sûr. Encore une fois leur faible nombre les protégeait, d'une certaine manière.

— Laissez moi quelques heures pour réfléchir, nous pouvons nous donner ce temps, nous venons d'atterrir. C'est transmis à nos stratèges ?

Andrei hocha la tête. Damien fronça les sourcils, se tournant vers leur gauche d'où leur étaient parvenus quelques minutes plus tôt les dernières explosions.

— Nos vaisseaux sont tous détruits ?

— Deux s'en sont sortis... Mais pas un seul de la coalition ne s'en est sorti. Astra n'a plus d'allié à attendre.

Un frisson parcourut l'échine d'Aileen. Leur sacrifice n'avait pas été vain... Elle leva les yeux, dévisageant Andrei, mais celui ci détourna la tête. C'était si rare chez lui que Damien lui même fit une remarque.

— Vous n'êtes pas à l'aise avec ce qui s'est passé ?

— Non, ce n'est pas ça. Je pense que nous n'avions pas d'autre choix et que c'était le bon à ordonner de la part d'une souveraine. Je vois simplement que l'Empereur va perdre... Qu'il n'a de nouveau plus une seule chance. Cela ne devrait pas me faire de la peine mais lorsqu'il était au palais sans que l'on sache qui il était... J'en ai fait un soldat, je lui ai appris à manier les armes, ce que c'était que l'armée véritablement... Je sais ce qu'il ressent. Le désespoir devant lequel il va être... Sauver encore son peuple en perdant tout ? Je ne le vois pas faire cela... Jamais il ne cherchera à négocier avec nous... Nous allons devoir les tuer, un à un. Cet adolescent que j'ai vu grandir, mais aussi chacun de ses enfants parfois de deux ou trois ans, que nous n'avions pas eu le cœur de détruire et qui nous avaient conservé un reste d'humanité...

Aileen grinça des mâchoires, très droite.

— Commandant, vous êtes viré.

— Je vous demande pardon ?

Il avait blêmi et redressé la tête d'un coup. Damien lui lança un coup d'œil comme si elle devenait folle mais elle n'y prit pas garde et reprit sa marche, les laissant derrière elle sans un regard.

— Je n'ai pas besoin à mes côtés d'un homme sensible. De quelqu'un qui regrette. Damien, tu prends sa place. Quant à toi Andrei, je sais que tu seras un bon soldat, où si ta fierté t'empêche de te battre comme tel, que je ne te retrouve en tout cas plus à aucun poste de commande.

— Majesté ! Laissez moi une chance !

Elle l'ignora et leva le pied pour contourner une pierre du sentier commencé par le pas des hommes.

Elle venait de virer, sans une hésitation, un homme qui l'avait sauvée a des milliers de reprises, avait veillé et éduqué son fils comme un père, lui avait toujours été fidèle. Mais c'était un homme du passé et surtout, il n'était plus bon à rien dans la dernière manche qui se dessinait.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant