Saskia (Chapitre 49)

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C'était le délire. Un délire comme Saskia n'en avait jamais connu. Ils étaient tous revenus instinctivement presque dans les décombres d'Ivy et ils fêtaient de nuit la victoire.

Des groupes, partout, s'étaient créés. Des enfants, des jeunes, des soldats confirmés venant d'un peu partout dans la galaxie. Les planètes n'ayant pas participé à l'attaque commençaient à envoyer des vaisseaux de vivres, de messages de félicitations, de récompenses, comme pour faire oublier leur absence et rappeler leur soutien aux vainqueurs d'aujourd'hui.

Une main sur son ventre, Saskia se promenait dans l'une des avenues, circulant entre les différents groupes.

Ses cheveux volaient dans un brin de vent, des yeux brillaient, et elle se sentait étrangement lointaine. Étrangère à cette nuit qui rayonnait partout.

Elle avait à peine participé à la bataille. Elle était restée dans le centre de commandement, celui de Rodolphe, tandis que Sibylle ne lui avait pas laissé le choix et était allée en personne prendre la tête de leur armée.

Saskia s'était échappée à l'annonce de la victoire de leur abri étouffant. C'était trop difficile de faire face à la joie expansive de tous, et de se retrouver face au silence tendu du seul homme dont elle aurait aimé la communication. Rodolphe avait eu un sourire de circonstance, de ces sourires d'empereur que l'on donne lorsqu'il le faut. Elle avait senti qu'une lourde charge quittait ses épaules, qu'il avait enfin accompli sa mission. Mais qu'il demeurait une autre crainte, plus étouffée, plus étouffante aussi.

Theobald n'avait pas donné de nouvelles. Il était parti combattre, aussi.

En avançant un peu plus dans l'avenue et en levant la tête vers les étoiles, Saskia songea qu'elle avait alors parfaitement compris que la dernière ligne de son histoire avec Rodolphe s'était terminée au moment même où leurs regards s'étaient rencontrés.

Il avait compris, sans qu'elle ait besoin de dire un mot. Qu'elle espérait que son fils soit mort. Pour que l'enfant qu'elle portait en elle ait sa place... Oh ! Cela n'avait pas duré plus de quelques secondes avant qu'elle ne se reprenne et ne ressente toute l'horreur de ce songe. Mais elles avaient existé, Rodolphe le savait, et jamais il ne le lui pardonnerait.

Ses pas là firent encore un peu progresser, entre les rires joyeux, les discussions, ces hommes et femmes qui se sentaient tous vivants, heureux.

Alors qu'elle allait chercher un coin pour se reposer, seule, elle sentit un drôle de changement envahir l'avenue et en changer l'atmosphère.

Tout le monde était en train de se taire. Le silence les gagnait tous, profond, et elle se retourna pour distinguer les nouveaux venus sans tout de suite les voir. Ceux qui étaient assis le restaient, hostiles, et là où il n'y avait auparavant que de la joie, elle sentit qu'il commençait à y avoir une haine silencieuse.

Saskia se rangea comme les autres sur le côté, à côté d'un soldat martien et d'une femme de Nepsys, pour voir qui s'approchait.

Sibylle, entourée de quatre de leurs camarades. Mais ce qui retenait l'attention, c'était la jeune femme évanouie dans ses bras. Saskia ne connaissait d'elle que les portraits et les apparitions officielles, et elle dû s'avouer que malgré son prénom qui courait sur toutes les bouches elle eut du mal à la reconnaître.

Qui avait il de commun entre la reine altière qui tenait leur destin dans ses mains, avaient brisé plusieurs des milliers des leurs, somptueuses, et cette femme apparaissant si mince dans une combinaison noire sans décoration ?

Les cheveux en bataille, presque effleurant le sol, la pâleur d'une morte et du sang séché sur le visage, la reine de l'AM.Erica n'en avait soudain plus que le titre.

Saskia serait bien restée à l'écart, immobile, mais soudain le martien à côté d'elle fit un geste de colère et s'avança pour barrer la route de l'Astrayenne.

— Alors c'est elle ! Elle le monstre qui nous a tous tenus sous sa coupe ! Donnons lui le même sort qu'au tyran Liam, elle ne mérite pas mieux que son frère !

Ce fut comme s'il avait débloqué la colère silencieuse de tous. Les insultes se mirent à pleuvoir, et la foule qui auparavant apparaissait si inoffensive se rapprocha, obligeant les proches de Sibylle à s'interposer.

Mais ils n'étaient pas suffisamment et surtout ils ne voulaient pas tirer sur les leurs.

En deux bonds, sans réfléchir, Saskia les eut rejoint et se retrouva devant la princesse, arme au poing, hurlante. Et pourtant elle haïssait autant qu'eux la reine de l'AM.Erica et aurait plongé son poignard dans sa gorge avec un indéniable plaisir.

— Reculez ! Reculez tous ou je tire !

Mais ce n'était pas suffisant... Ils devenaient tous fous. Saskia donna un violent coup de poing au hasard devant elle, cassant une arquade sourcilière, avant de brusquement entendre Sibylle donner un ordre à l'homme à sa gauche.

— Prends la ! Je m'occupe des autres !

Avant même d'avoir pu rétorquer l'Astrayen se retrouva avec la souveraine de l'AM.Erica dans ses bras. Sous leurs yeux ébahis comme chaque fois, Sibylle laissa la métamorphose agir.

Ses yeux brillèrent, ses muscles se tendirent, on entendit les craquements de sa musculature changeante, et bientôt l'énorme loup à quatre pattes réapparut devant eux.

Cela calma tout le monde et instinctivement la foule en colère recula. Comme si le loup représentait dorénavant les rois, la sacralitée de leur gouvernants, qu'il les rendait intouchables.

Saskia remarqua cependant encore plus la maigreur de Sibylle sous cette forme, le pelage terne de l'animal, et songea à tout ce qu'elle avait dû traverser pour en arriver là.

Lorsque son regard croisa le sien, elle sut cependant qu'elle ne parviendrait pas plus à se gagner l'amitié de la princesse que de l'empereur.

Celle ci haïssait la pitié plus que tout. La louve s'élança dans la rue, traçant la route, suivit du soldat portant dorénavant Aileen et des autres jeunes proches de Sibylle.

Saskia leur emboîta le pas, malgré elle, consciente de revenir se confronter soudain à la réalité. Ils se dirigeaient droit vers l'endroit où Rodolphe avait élu domicile en apprenant qu'il n'y avait plus de danger, au pied de la dernière tour du palais d'Ivy, dans le parc sauvage.

Il devait les attendre, peut-être en ayant retrouvé Theobald... Ou pas. Qui de la mère ou du fils importait à cette heure ?

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant