Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]

Aileen (Chapitre 11)

— Aileen ?

La jeune femme se retourna d'un mouvement brusque vers l'entrée de sa chambre. Elle avait le visage ruisselant de larmes, et elle ne retint pas un cri, blessée d'être vue ainsi alors qu'elle aurait aimé être seule :

— Allez vous en !

Son frère ne lui obéit pas et appuya sur la commande électrique de son fauteuil roulant pour la rejoindre. Damien, appuyé jusque là au chambranle de la porte sans la regarder, releva lentement la tête.

— Ton fils est venu nous chercher pour qu'on te réconforte...

Aileen sentit sa détresse se transformer en colère.

— Il est parti chercher James peut-être, mais certainement pas toi. Tu as encore dû vouloir t'imposer, comme d'habitude !

C'était injuste de déverser sur lui sa colère, et même dangereux. Le simple fait que ce garde spécialisé pour détruire les mutants soit là en face d'elle signifiait qu'il n'avait pas affronté Theobald, et elle était consciente de l'effort que cela avait dû lui demander de laisser en vie l'un de ses monstres.

Elle était cependant trop loin de tout cela pour prêter attention à ce qu'elle disait.

Son fils avait dû partir, appelé devant le conseil en séance restreinte, sans qu'elle soit parvenue à obtenir le droit de s'y présenter à ses côtés.

A l'heure présente, même James avait été mis dehors à la majorité, et Aileen appréhendait ce que pouvait dire un adolescent de quatorze ans, seul face à une meute de politiques qui n'attendait qu'un faux pas de sa part pour le rendre responsable des troubles éclatant sur toute la planète depuis quelques heures.

Rien de cela ne pouvait expliquer son attitude présente et les larmes qui roulaient intarissablement sur ses joues cependant.

Elle se laissa tomber sur sa couchette, oubliant jusqu'à l'insupportable présence de Damien.

— Vous l'avez entendue n'est ce pas, la toute dernière intervention de Rodolphe à la radio ?

Le regard de James flamboya, celui de son garde du corps resta parfaitement neutre, presque apathique. Il paraissait encore sous le coup des événements des derniers jours.

— Bien sûr, lâcha-t-il enfin. Ton mari a annoncé qu'il prenait quelqu'un d'autre pour avoir de beaux enfants qui remplaceront le tien à la tête d'Astra... Quelle importance ?

Aileen eut envie de se lever pour le gifler mais son frère tout près d'elle la retint d'une poigne ferme tout en incendiant du regard le jeune homme qui venait de parler.

— Laisse, il n'en vaut vraiment pas la peine.

Ce qui eu le don de mettre hors de lui Damien.

— Je n'en vaux pas la peine ! Mais je viens d'accepter de laisser en vie ce monstre de mutant, et même d'arrêter Glenda qui voulait le tuer ! Et je n'en vaux pas la peine ?

Aileen retrouva tout son sang-froid, mise face au danger. Elle releva un regard ferme vers celui de son garde.

— Tu as arrêté Glenda ?

— C'est ce que je viens de dire en effet, confirma celui-ci d'un air agacé.

La reine ne reprit pas tout de suite la parole. Elle se sentait seule, profondément. Elle avait l'impression que le rideau de ses illusions venait brusquement de se déchirer face à l'annonce publique de Rodolphe qui avait suivie la première quelques heures plus tard. Il prenait pour nouvelle femme Saskia DA-48-ER.

Pas de mariage, mais elle serait là, à ses côtés, présente... Une jalousie sans nom dévorait la jeune femme, en même temps qu'un manque affreux. Des années s'étaient écoulées ! Pourquoi est-ce que cela n'était toujours pas suffisant ?

Elle s'efforça de se concentrer sur le positif pour oublier les larmes qui roulaient malgré elle sur ses joues. Son amour survivant se mêlait de ressentiment et de haine, et même si à cet instant elle s'était retrouvée face à Rodolphe, elle ignorait si elle l'aurait tué de son arme à sa ceinture ou embrassé. Dur dilemme.

Son regard croisa alors celui froid de Damien et elle ne baissa pas la tête. Elle avait au moins appris dans cette journée qu'elle pouvait lui faire confiance et qu'il lui était loyal, même si cette décision n'avait pas dû être facile vu les cernes sous ses yeux. La raison même d'être du jeune homme était le combat des monstres, des mutants... Et indéniablement Theobald en était un, même si Aileen discernait dans sa forme lupine une beauté qu'il lui semblait être la seule à voir.

— Petite sœur ?...

La reine se secoua suffisamment pour reporter son attention sur son frère. Elle avait envie de se jeter dans ses bras et de sangloter sur son épaule, mais ils n'avaient jamais été suffisamment proche pour qu'un tel geste leur paraisse évident et naturel.

— Oui ?

— Pour te défendre au mieux, avec ton fils, j'ai besoin d'en savoir un maximum sur ce qu'il est en train de dire au conseil. Concentre-toi et essaie d'oublier un peu cet imbécile de Rodolphe. Aileen, si on demande à Theobald de choisir entre l'AM.Erica et Astra, que répond-il ? Dis moi qu'il répond ton pays !

Sa voix était presque suppliante sur la dernière phrase et Aileen eut envie de tout de suite mettre fin à sa visible anxiété. Elle hésita pourtant, détournant la tête. Une fois encore, elle réalisait qu'elle était incapable de prédire le comportement de son fils.

Damien la dissuada de répondre en ne la quittant pas des yeux et en reprenant la parole.

— Je pense que la conduite de Theobald est impossible à prévoir. Nous savons tous que c'est un ado intelligent, voir surdoué. Mais il a toujours été discret... Même lors de ses leçons avec des politiques ou des historiens, il n'a jamais rendu publique ses opinions... J'ai souvent été là en tant que garde du corps, et je n'ai aucune idée de ce qu'il peut bien être en train de répondre. Et, à moins qu'Aileen ne sache mais j'en doute, il est la plus grande équation de l'échiquier du pouvoir à venir.

La reine le dévisagea longuement, secrètement reconnaissante de cette explication. Avouer tout de go qu'elle ne connaissait pas son fils lui aurait été extrêmement difficile, mais les choses étaient différentes présentées ainsi. Theobald était en effet l'archétype même de l'enfant parfait : obéissant, prévenant, compréhensif... Mais secret.

Un vrai casse-tête, parfois même impossible à comprendre pour sa mère.

Elle s'efforça de contenir une nouvelle vague de tristesse en songeant qu'il était en cela et en bien d'autre choses encore le portrait craché de son père, et vrilla son regard sur un invisible point du mur en face d'elle.

— Je crains que nous n'ayons d'autre possibilité que d'attendre du conseil... Nous ne saurons qu'alors ce qu'il leur a dit, et quelle est leur décision.

James poussa un juron.

— Non ! Les délais seront trop courts pour préparer une bonne défense !

Il n'y avait rien à répondre à cela, et Aileen se surprit à hausser les épaules, exactement en même temps que Damien.

— Je le sais. Mais nous n'avons pas le choix... On ne peut qu'espérer que le conseil ne parvienne pas à réunir l'unanimité. Auquel cas ma voix sera absolument nécessaire pour permettre de déterminer le sort de Theobald...

Elle ferma les yeux, s'efforçant de ne pas trembler à l'idée qu'ils puissent se mettre d'accord sans elle. C'était inimaginable et intolérable, car cela pouvait même signifier la mort de son fils.