— Que fais tu là ?
Aileen venait de pénétrer doucement dans le cockpit du vaisseau spatial. Il était désert, à l'exception de deux robots devant les panneaux de contrôle. Le trajet de la flotte militaire avait été paramétré au millimètre près, mais dans ce genre d'expédition, on n'est jamais trop prudent. Les robots assuraient ce contrôle.
La personne à qui s'adressait la reine était Damien, debout près de la vitre, à droite par rapport à l'entrée. Il fixait des yeux l'immensité noire de l'espace et ne se retourna pas pour lui répondre.
— Dans cette direction... C'est Sagan. La planète morte.
Aileen s'approcha à pas lents jusqu'à se poster juste à côté de lui. Ils étaient seuls – les robots ne comptant pas –, et elle sentit elle-même l'émotion l'envahir.
— La planète de ta sœur adoptive.
Il lâcha un rire amer.
— Je crois qu'après toutes ces années si je lui en veux encore autant, c'est parce que ce jour là en allant à la rencontre de cette petite fille aux cheveux blonds... J'ai vraiment cru que j'allais avoir une soeur, une amie, quelqu'un toujours là pour moi. Et puis... Elle est partie avec mon père. Ça a laissé un immense vide à la maison, mais j'étais prêt à le lui pardonner. C'est son rejet ensuite qui m'a fait souffrir... Mais là, proche de cet astre brisé, je crois que je commence à comprendre. Comment ai je pu espérer dans mon inconscience d'enfant qu'elle m'aimerait alors que je faisait partie du peuple qui lui avait pris les siens ?
— Cyndie... Je... Je crois qu'elle me manque aussi.
L'ombre de l'espace paraissait s'être invitée dans le cockpit, et la respiration de la reine se fit sifflante lorsqu'elle comprit que ce qu'elle venait de dire était la stricte vérité. Sa demi soeur aurait elle choisit de modifier le trajet, de mourir sur Sagan, si elle ne lui avait pas brutalement révélé auparavant qu'elles étaient liées par le sang ? Si elle ne lui avait pas volé sa raison de vivre ? Une question qu'Aileen repoussait depuis des années, sachant pertinemment que jamais elle n'aurait la réponse, et que ça n'était qu'un regret de plus contre lequel elle ne pouvait rien.
Elle sentit le regard de Damien peser sur elle et compléta :
— J'aimerais la revoir pour lui dire que je regrette. Je n'en suis pas venue à l'adorer du jour au lendemain mais... si elle était là, je lui proposerais de reprendre notre relation au départ. Si j'y avais mis du mien, les choses ne se seraient peut être pas passées de la même façon. Mais, après tout... Peut être que je vais la retrouver plus vite que ce à quoi je m'attendais...
Le jeune homme à ses côtés vint poser une main sur son épaule. L'un des robots leur lança un regard empli de curiosité mais aucun d'eux n'y prit garde.
— On ne va pas mourir, Majesté.
C'était rare qu'en privé Damien lui donne son titre, et Aileen s'efforça de sourire pour montrer qu'elle était sensible à cette marque de respect.
— C'est pourtant un combat qui commence... Et tout m'est égal.
La main du jeune homme se resserra sur son épaule avant qu'il ne reprenne le contrôle de lui même et la relâche d'un air gêné pour reculer de quelques pas, retrouvant une certaine distance plus conventionnelle entre eux.
— Vous parlez de retrouver Cyndie majesté... Mais n'y a t-il personne de bien vivant à qui vous voudriez parler de la même façon ? Exprimer des regrets ?
La reine lui lança un long regard, déstabilisée qu'il l'ait si bien percée à jour.
— Vous avez raison, Damien. J'ai encore beaucoup de choses à demander et dire à Rodolphe... ainsi qu'à mon fils. Mais si l'un d'eux meurt, j'ai plus de personnes à retrouver de l'autre côté. Priez donc pour qu'il ne leur arrive rien, si vous ne voulez pas que je succombe à cette vérité mathématique.
— Notre but est de tuer l'empereur.
— Peut être. Mais cela c'est la volonté de l'AM.Erica, et non la mienne. Avant cela, je parlerai à Rodolphe, même si je doute que rien de ce que nous avons vécu puisse jamais de nouveau voir le jour.
Il y eut un énième silence entre eux, finalement rompu par le jeune homme.
— Votre passé n'est que regret... Mais le futur comporte toutes les possibilités, et autorise tout espoir.
Aileen ne répondit pas, la gorge serrée d'une émotion indéfinissable. Elle se détourna résolument de la vitre, tournant le dos à Sagan indiscernable dans l'immensité de l'univers.
— Peu importe. Je n'ai besoin ni de passé ni d'avenir pour l'heure. Quel et l'état actuel de notre armée ?
Les considérations pratiques pouvaient l'aider à surmonter sa nostalgie. Autant tenter de s'y concentrer, de surmonter le dégoût que lui inspirait cette idée de préparatif pour la guerre.
— Rien à signaler. Les canons sont chargés à bloc, les soldats sont entraînés et leur moral n'atteint pas le minimum critique...
— ... Ce qui signifie en d'autres termes qu'il n'est pas élevé non plus. Depuis combien de temps avons nous cessé d'espérer qu'ils aient un bon moral et fiers de défendre leur patrie ?
Damien ignora sa question rhétorique pour poursuivre son énumération.
— Les nouveaux infirmiers ont terminé leur entraînement. Non, la seule chose un peu habituelle, mais non notable, c'est le comportement des robots de bord.
Cette dernière remarque éveilla l'intérêt d'Aileen qui esquissa malgré elle un sourire un peu hautain. Elle se souvenait de Rodolphe lui expliquant qu'une créature de métal pensante et capable d'émotion était leur égal, mais la vision eriquienne était si opposée que même un peu troublée, la reine n'avait pu rejoindre cette idée. Les robots obéissaient. Il en avait toujours été ainsi : ils étaient créés par l'homme.
Les seules exceptions avaient été Sagan et Astra, mais cela n'avait donné qu'une révolte robotique restée dans les mémoires comme dangereuse et dissuadant tout autre astre à les libérer de la même manière, et ce même si les Astrayens avaient endigué la crise.
Elle jeta un coup d'œil aux robots de bord et constata qu'ils étaient dans la même position qu'à leur arrivée, immuables et imperturbables.
— Que font ils exactement ? Je n'ai pas remarqué de différence.
— Des histoires circulent à propos de la liberté que les Astrayens leur donneraient. Ils chuchotent, se réunissent... obéissent moins volontairement.
— Des peccadilles. Vérifiez les réglages, mais je pense que nous avons autre chose à nous soucier.
Elle jeta un nouveau coup d'œil au robot de bord, et eut la désagréable surprise de constater que l'humanoïde féminin la fixait. Celle ci se détourna lentement, mais Aileen avala sa salive, un frisson désagréable lui parcourant le dos. Elle baissa le ton, considérant pour la première fois de sa vie comme des personnes pouvant utiliser ses paroles les créatures métalliques.
— Garde un œil dessus quand même, s'il te plaît. Avertis moi si ça devient plus grave.
Damien hocha la tête, grave, puis haussa les épaules avec un sourire.
— Après, tu as probablement raison. Ce n'est sans doute rien...
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Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]
Ciencia FicciónTome 5 : L'enfant des deux mondes La guerre fait rage. Les enfants d'Astra ont passé des années dans l'espace à survivre comme ils le pouvaient... Il est maintenant temps pour eux d'entrer dans la dernière phase du plan. Il est temps de rentrer chez...