Saskia (Chapitre 27)

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Saskia était adossée à la porte du compartiment qu'elle partageait avec Rodolphe et affichait une mine sombre, bras croisés sur sa poitrine.

Assis sur le lit juste devant elle, Eden la dévisageait, sans rien dire, et ils écoutaient tous deux les cris d'enthousiasme et les applaudissement qui ne cessaient de retentir dans tout le vaisseau depuis bientôt une heure, heureusement étouffé par la porte blindée de sécurité.

— Ton amant s'en donne à coeur joie on dirait... Il a retrouvé son fils, il ne lui manque plus que sa femme pour être parfaitement heureux ! Tu n'as rien à faire dans le tableau, Saskia, et il vient encore de t'en donner la preuve.

La jeune femme releva la tête et incendia du regard l'homme aux cheveux blancs rasé de près. Il avait lâché ces paroles avec tout le fiel qu'il savait parfois employer pour chercher à la blesser.

— Je n'ai pas besoin de toi pour me dire ça. Mais je me suis entraînée pendant un an dans les souterrains, et même des mois avant en rencontrant régulièrement Saedor qui m'a beaucoup appris... Je suis l'une des Fiancées, il finira bien par l'accepter !

Une étincelle illumina un bref instant son regard avant qu'elle ne baisse de nouveau la tête, laissant de longues mèches de cheveux auburns lui cacher la vue. Elle avait beau être une battante, elle savait quelque part au fond d'elle qu'Eden avait raison. Le reconnaître aurait cependant été admettre qu'elle s'était leurrée pendant des années, et que toutes les privations et les entrainements qu'elle avait subi pour pouvoir servir de son mieux l'empereur étaient tout à fait inutiles.

Et puis, plus profondément... Elle n'était pas certaine d'être passionnément éprise de Rodolphe, mais elle aimait sentir ses bras forts autour d'elle, s'endormir le soir contre sa peau, ou se positionner comme sa femme face aux autres Astrayens. Etre impératrice... Elle était persuadée de n'en avoir jamais rêvé, mais se rendait finalement compte qu'elle se rattachait bien plus qu'elle ne l'avait imaginé à cette position, non officielle à cause de cette maudite Aileen...

Et voilà que le fils de cette dernière venait la narguer jusqu'ici ! Trop, c'était trop ! Sans s'en rendre compte, la jeune femme leva une main pour essuyer rageusement une larme de colère, traitresse, roulant au coin de ses yeux.

— Saskia... Puis-je te rappeler moi que j'ai toujours été présent à tes côtés ?

Elle haussa les épaules mais daigna replacer d'un geste mécanique l'une de ses mèches de cheveux derrière son oreille pour le dévisager.

— Je m'en souviens, Eden.

Le visage du garçon se ferma un peu plus à cette réponse énoncée si froidement. Sa main droite jouait avec un pli du drap et une ride dure traversait son front. Son uniforme de vie quotidienne, similaire à celui que portait chaque habitant du vaisseau à l'exception des écussons cousus pour indiquer son important poste dans la hiérarchie, était impeccablement mis et propre contrairement à celui de Saskia froissé et enfilé à tort et à travers, la veste tout du moins.

— Laisse moi quand même te rafraîchir la mémoire... Lorsque nous étions dans les souterrains, qui venais tu voir au moindre problème ? Moi, et je t'ai toujours aidée. Plus tard lorsque nous nous sommes retrouvés dans le même lycée et à quelques rues d'écart pour nos familles d'accueil... Qui t'aidait à aller mieux lorsque tu n'avais plus le moral parce qu'Astra te manquait ou que tu trouvais ta vie trop dure ? Moi, toujours moi ! Et même sur ce vaisseau depuis que nous y sommes venus... J'ai tout fait pour te rendre la vie plus belle, plus facile, pour amener un rire sur tes lèvres !

Incapable d'en entendre plus, Saskia se rebiffa et cria en réponse :

— Je ne t'y ai jamais obligé ! C'est toi qui l'a choisis ! Parce que nous étions amis...

— Amis ?

Le mot paraissait avoir achevé de mettre hors de lui Eden. D'un bond, il s'était relevé du canapé et avait rejoint la jeune femme dont il emprisonnait dorénavant les deux poignets dans ses mains, l'empêchant d'échapper à leur soudaine promiscuité.

— Amis ! répéta-t-il, ses yeux brillant de colère. Dis ce que tu veux Saskia, mais ne m'insulte pas ! Tu sais très bien que je t'aime depuis toujours, et je suis à peu près certain que je ne te suis pas indifférent... Alors, pour l'amour du ciel, dis moi ce que t'a fait l'empereur ! Dis moi ce que tu lui dois, ce qu'il a tenté d'accomplir pour te rendre heureuse... Donne moi un seul exemple, et j'arrête là, tu as ma parole...

L'esprit de Saskia tournait à vide avec le jeune homme si proche d'elle, son souffle contre ses lèvres et son regard torturé. D'une rapide torsion des poignets, elle parvint à se ressaisir et lui échappa. Sans lui donner le temps de réagir, elle lui administra ensuite un violent coup de poing qui l'atteignit au menton et l'envoya rouler sur le lit.

Il se redressa lentement, tandis que Saskia refrénait difficilement son premier mouvement qui avait été de se précipiter vers lui pour s'excuser et constater l'état des dégâts. Elle parvint au contraire à conserver son attitude froide et distante, alors que son coeur battait la chamade et que ses joues rougissaient sous ses cheveux bruns.

Il avait raison d'un bout à l'autre... Mais penser à cet amour qu'elle ne pouvait se permettre ne pouvait que la détruire. Elle... Elle se devait à l'empereur, c'était ça la mission qu'elle avait accepté jadis de son plein grès. Même... Même si Rodolphe ne rêvait que de retrouver sa femme, cent fois plus légitime qu'elle, plus attirante, caractérielle, attachante... Qui était elle à côté d'une reine aussi puissante, redoutée mais aimée comme Aileen ?

— Je n'ai rien à te répondre Eden... Cela fait plus de quinze ans que nous nous connaissons, rien n'a changé aujourd'hui par rapport à hier. Va-t-en, si tu ne le supportes plus !

Le jeune homme se releva du lit, tituba un instant en se frottant le menton puis parvint à se redresser. Il resta cette fois-ci à une distance prudente de Saskia, tout en tentant un sourire pitoyable. Sa colère paraissait retombée, mais il était bien plus dangereux ainsi... Parce que c'est cet homme là qui séduisait indubitablement la jeune femme.

— J'avais oublié qu'en tant que fiancée de l'empereur tu avais reçu tout un entrainement de self-défense... Le rappel est douloureux. Quant au reste, poursuivit-il en haussant les épaules, j'ai toujours secrètement espéré que tu ne sois pas la première fiancée à entrer en contact avec l'empereur. Si ça avait été une autre... Tout serait différent, n'est ce pas ? Nous serions sans doute ensembles, toi et moi... Cette idée me rend fou, autant que lorsque je le vois t'oublier complètement, alors qu'il devrait se rendre compte que tu es plus précieuse que tout et que tu mérites tous les égards !

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant