Sibylle (Chapitre 24)

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— Sib, je peux ?

La jeune femme écarta de son front une mèche de cheveux bruns et leva la tête vers l'entrée de la grotte. Elle finissait de boucler son sac, et avait à la main une gourde de cuir et dans l'autre une fine dague, seule arme dont elle disposait puisque les munitions manquaient pour leurs pistolets à rayon plus sophistiqués.

— Carlys ! Oui, vas-y, entre...

Le jeune homme s'était changé, mettant à profit les trente minutes accordées à chacun pour préparer de quoi tenir une semaine et lever le camp. Il laissa son sac à l'entrée, par terre, avant de baisser la tête pour éviter le plafond bas et la rejoindre.

— Il y a de grandes chances pour que nous mourions...

— C'est maintenant que tu y penses ? riposta sarcastiquement la jeune femme, sentant au passage sa respiration s'accélérer.

Le garçon se tenait trop proche d'elle dans l'ombre ménagée par la roche, et elle avait une conscience aiguë de sa présence. Sentait il lui aussi leurs cœurs si proches, son bras effleurant son torse lorsqu'elle farfouillait dans son sac ?

Elle fit un pas en arrière mais il fit mine de ne s'être aperçu de rien et se rapprocha.

— Arrête ! cria t-elle alors avec violence en faisant volte face vers lui.

Carlys eut une grimace d'innocence.

— Quoi ?

Elle laissa échapper un soupir d'exaspération, mais ne put poursuivre dans cette voie en croisant le regard du jeune homme. Il l'aimait... Elle pouvait sentir d'ici la passion qui l'animait.

Sibylle connaissait ce sentiment. Dans son enfance, dans les souterrains, elle l'avait éprouvé pour un garçon aux cheveux noirs, pas grand, faisant juste sa taille. Avec son caractère d'idéaliste, elle s'était sentie devenir prisonnière de cet amour au fil des jours, jusqu'à ce qu'elle soit séparée de lui. Au fil des mois ses sentiments s'étaient mués en de simples souvenirs, associés à un regret de n'avoir jamais parlé à la personne en question.

Carlys... Elle sentit alors au plus profond d'elle même qu'elle aurait aimé retrouver la sensation enivrante de ne vivre que pour une personne. De ne respirer que pour un sourire échangé... Si elle entrebâillait la porte... Si elle le laissait toucher son coeur comme il était déjà en train de le faire de toute façon... Pourrait elle basculer du côté de la vie alors que la mort lui tendait les bras un peu plus chaque jour avec un visage aussi accueillant ?

— Sibylle, je t'ai dit que je t'aimais...

Elle rougit malgré elle, comme une enfant, et se détourna en crispant ses mains sur son sac malgré la douleur.

Le jeune homme se rapprocha dans son dos, et elle sentit son souffle tiède dans son cou.

— Je voudrais qu'on en parle. J'ai peur que tu me rejettes après ça... Et en même temps, j'espère malgré moi. Jure moi... Jure moi qu'il n'existe vraiment aucune possibilité, pas même infime, que tu me vois autrement que comme un simple ami et...

Il ne put trouver ses mots pour terminer et Sibylle se retourna lentement vers lui, vrillant dans les siens ses grands yeux gris.

Derrière elle une teinture cachait une ouverture taillée dans le roc menant à ses quartiers, et vers la lumière, des cris et des appels résonnaient dehors, rappelant les préparatifs du camp sur le départ. Personne n'était spécialement excité, chacun ayant eu le temps ces dernières années de parfaitement assimiler leur vie spartiate et quasi militaire.

— Et tu partiras ? C'est ça que tu proposes, Carlys ? demanda la jeune femme, complétant ainsi les propos de son ami.

Le regard de celui ci vacilla pendant quelques secondes, saisi de doutes, avant qu'il ne secoue la tête.

— Non, je ne pourrais pas. Mais disons juste que... que je tâcherai de me convaincre qu'il n'y a plus d'espoir. Que je ferai tout ce que je pourrais pour me débarrasser de ce sentiment.

Sibylle chercha en elle le courage de rassembler les mots qu'elle voulait lui cracher à la figure.

— Eh bien, je te le jure. Il n'y a pas une seule chance que je t'aime un jour...

Elle s'était redressée, et ses yeux lançaient des éclats méprisants. Pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, Sibylle vit Carlys vaciller, et des larmes envahir ses yeux. Il ne pleura pas, mais se détourna brusquement, se dirigeant vers la lumière de l'entrée sans rien ajouter.

Le sang battait aux tempes de la princesse et elle voyait trouble. Le Ravageur... Ce maudit Ravageur ! C'était la faute de cette appareil qui lui dévorait sa vie, c'était...

Et brusquement, Sibylle eut honte. Non, ce n'était pas la douleur qui la ravageait... Mais bien son abatement, sa lassitude, son envie de quitter le monde des vivants, et sa certitude qu'elle ne reverrai plus jamais son frère...

Sans réfléchir, elle se rua en avant, de sa démarche souple, retrouvant son agilité de jadis et ses manières discrètes de se déplacer. En quelques pas bondissants elle avait rejoint Carlys, qui n'avait pas encore tout à fait quitté la grotte.

Il voulut se retourner, et eut le temps de murmurer le début d'une interrogation :

— Que...

Il ne put articuler un mot de plus. Sibylle avait passé ses bras autour de sa taille, et s'appuyait contre son dos, se collant à lui et fermant les yeux contre le haut de sa chemise, laissant son corps épouser le sien et ses yeux pleurer.

— Je... Pardonne moi Carlys. Je ne peux pas t'aimer plus tard... Parce que c'est déjà le cas. Tu n'es pas l'homme idéal que j'imaginais petite... Je croyais ne vouloir de personne... Mais là, malgré les aiguilles qui me percent la peau au moindre contact, ou le fait que tu es tout sauf le prince parfait, tout ce que je veux, c'est être dans tes bras. Juste... Juste contre toi, avec toi.

Il ne bougea pas, restant bras ballant, un peu fou, comme s'il avait peur qu'au moindre mouvement elle ne change d'avis et ne le fuit de nouveau.

Finalement, au bout d'un long instant, il leva ses mains pour venir doucement les poser sur les mains de la jeune fille qui s'agrippaient à lui.

— C'est... C'est exactement ce que je veux aussi. Être juste avec toi et que nous ne nous perdions plus jamais... Je peux le répéter alors ? Je t'aime jolie princesse...

Sibylle hésita, ne sachant comment retranscrire par des mots ce qu'elle ressentait au plus profond d'elle même et prenait soudain le risque d'accepter.

— Moi aussi. Et... J'essaierai dorénavant d'être meilleure avec toi. Parce que je ne veux pas te perdre, malgré tout ce que j'ai pu en dire...

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant