Rodolphe (Chapitre 10)

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Il ne pourrait plus attendre très longtemps... Les hurlements étaient maintenant insoutenables et le bout du court tunnel juste en face de lui.

Sans s'en être rendu compte, Rodolphe avait considérablement ralenti et Ralph vint poser une main sur son épaule.

— Bon courage, vieux. Quoi qu'il arrive n'oublie pas qu'on est à tes côtés...

L'empereur hocha la tête et voulut faire un pas en avant, mais en fut empêché par une intervention d'Eden qui le surprit et le toucha.

— Vous savez tous que j'aime Saskia... Je n'ai jamais souhaité ta mort pour autant, et je regrette de m'être énervé dans la navette. Tu es exaspérant et je ne t'apprécie pas, mais tu es un bon dirigeant. Essaie de le leur montrer aujourd'hui, c'est notre seule chance.

Rodolphe croisa le regard brun du jeune homme avant d'hocher la tête en signe de remerciement. Pas besoin d'être devin pour comprendre que cet aveu lui en coûtait et qu'il n'aurait pas aimé voir de la gratitude ou de la pitié dans les regards posés sur lui.

L'empereur se détourna alors résolument, inspira, et franchit le dernier mètre pour sortir sur l'immense coursive donnant sur les navettes et où l'attendait la foule des Astrayens en colère.

La première chose qu'il vit fut le cercle de gardes qui avaient été mis en place, sévèrement armé, délimitant un énorme périmètre de sécurité et repoussant la foule hurlante. Visiblement, certains organisateurs avaient réagis au quart de tour pour la protection de l'empereur.

Saskia se tenait juste à sa gauche, proche d'une autre fille, en débardeur et jean serré, cheveux blonds ramenés en queue de cheval à la va-vite.

Un grand silence se fit tandis que Rodolphe s'avançait dans le cercle et que Eden et Ralph venait se poster derrière lui, le responsable communication un peu ridicule avec sa main sur son arme mais l'organisateur réellement menaçant et dissuasif avec ses doigts serrés autour de la croisse de son pistolet.

L'empereur croisa le regard de Saskia qui hocha la tête pour l'encourager. Une fois encore, un peu comme Sibylle aurait pu le faire, image qui serra le cœur du jeune homme comme toujours avant qu'il ne se tourne pour faire face à la foule.

— Je ne suis pas un traître, commença t-il d'une voix forte. Ma mission était de me rapprocher des puissants de l'AM.Erica... C'est ce que j'ai cherché à faire.

— C'est ça ! cria en réponse une voix hargneuse dans la petite foule rassemblée. Et avoir un gosse ça en faisait aussi partie peut-être ?

Rodolphe ne se démonta pas, s'efforçant de surmonter sa peine et sa peur grandissante pour ne pas aggraver les choses en cédant brusquement à la mutation. Ses ongles avaient déjà brièvement changé de couleur en même temps que ses yeux mais il était parvenu à reprendre le contrôle de lui-même.

— J'ai fais une erreur, je suis tombé amoureux. Que ceux qui connaissent ce sentiment osent me dire qu'il était facile d'y renoncer ! J'ai aimé la reine, et je ne le regrette pas. Je ne renierait pas mon fils... Sauf politiquement s'il choisit les Eriquiens. Il n'est pas obligé d'être l'héritier d'Astra, vous ne l'avez pas accepté. Et qu'est-ce qu'un prince sans peuple pour le soutenir ? Du néant, du vide, parfois un dictateur qui se maintient au pouvoir au prix du sang mais finit toujours par tomber. C'est pour cela que je vous demande aujourd'hui une fois encore de me soutenir. Sans vous je ne suis rien. Je ne sais pas m'exprimer comme ma sœur et trouver les bons mots. Je sais que beaucoup d'entre vous ont souvent pensé qu'elle ferait une meilleure impératrice que moi... Hélas, tout laisse supposer qu'elle est mort, quelque part avec nos compagnons sur la terre irradiée qui nous revient, Astra ! Ensemble, nous sommes forts. Je vous apporte un commandement, une discipline, une reconnaissance... Je suis né et j'ai été élevé pour vous servir au mieux. Je n'ai fais qu'une erreur... Celle de succomber à une femme. Me la pardonnerez vous ? C'est à vous de choisir si vous voulez me suivre, mais je vous adjure de réfléchir et de ne pas répondre seulement guidé par la passion.

La foule s'était définitivement tue et les jeunes s'agitaient sur place, mal à l'aise. Les gardes mis en place par les organisateurs fidèles jusqu'au bout se sentaient moins acculés et commençaient à se détendre légèrement. Pendant quelques minutes, tout le monde avait envisagé d'avoir à combattre l'ami d'hier ou une connaissance, mais en tout cas un Astrayen. Et cela aucun d'eux ne pouvait aisément l'imaginer.

La fille blonde à côté de Saskia prit alors la parole, se tournant vers l'empereur qui s'efforça de ne pas laisser percevoir son affolement. Il pouvait garder le contrôle de cette situation...

— J'apprécie ce que vous venez de dire, et je fais partie de ceux qui vous suivront jusqu'au bout, Majesté. Puis-je cependant me permettre de vous demander ce que vous comptez faire de ce mariage qui vous lie toujours à la reine de l'AM.Erica ?

En dévisageant la jeune femme d'une trentaine d'années, Rodolphe comprit que sa question visait simplement à lui donner une occasion de s'expliquer devant la foule complètement. Il lui adressa un coup d'œil reconnaissant et s'efforça de réfléchir malgré son esprit embrouillé.

Son mariage était légal. Comment divorcer sans la principale concernée présente ?

Le voulait-il d'ailleurs ? Il n'en était pas certain.

Saskia s'avança alors pour le rejoindre au milieu du cercle, la tête bien haute et sans le regarder, fixant un point loin au dessus de la foule.

— Rodolphe Astra considère ce mariage comme nul, désormais. Il a été conclu en terre étrangère, sous la religion et les contrats de l'AM.Erica. Un empereur peut s'en détacher sans passer par une procédure que nous savons tous impossible dans le cas présent... De plus...

Elle fit une pose et le jeune homme appréhenda ce qu'elle allait ajouter.

Eden se rapprocha d'eux et Rodolphe aperçu ses traits tirés et la douleur crue qui irradiait sur chaque pore de son visage.

Saskia, imperturbable, termina :

— L'empereur aura d'autres héritiers que Theobald. Nous ne pouvons nous permettre de rester sans prince, désormais, alors même qu'il en existe un en AM.Erica qui pourrait plus tard malgré tout devenir une gêne. Le régent d'Astra m'avait donné un rôle très particulier aujourd'hui que je peux désormais honorer... Je suis la fiancée de l'empereur, ou désormais sa compagne. Nous aurons des enfants, des princes qui représenteront un avenir autre que ce maudit pays qui nous a trop longtemps étouffé !

La parole du régent Saedor était plus forte que tout encore, chacun gardant envers cet homme une secrète reconnaissance d'être en vie. Plusieurs organisateurs hochèrent de plus la tête, connaissant le rôle de la jeune femme, et cela suffit à convaincre la foule qui se tourna vers l'empereur, guettant sa réponse.

Rodolphe se sentait pris au piège, captif, et ne savait plus ce qu'il désirait. Il se sentait engagé irrémédiablement à Aileen, mais après tout, qu'est ce qui l'empêchait de vivre aux côtés de Saskia ? L'idée qu'il n'avait jamais ressenti pour elle la même passion ?

Il porta son regard au loin, sur les organisateurs, la foule, évitant scrupuleusement celui de la jeune femme.

Ses yeux se posèrent alors sur Eden dont le regard rougeoyait, et celui ci secoua très légèrement la tête, le suppliant du regard de refuser. Il se tourna ensuite vers Ralph, et devina sur son visage ouvert ce qu'il pensait, ayant appris à parfaitement le connaître.

« Tu n'as pas le choix, c'est la seule chose qui pourrait leur faire accepter Theobald... »

Alors, pour ce fils qu'il aimait tant ou pour lui-même, il ne savait plus, Rodolphe se tourna vers Saskia à sa gauche, figée en une position d'attente, et il posa sa main sur la sienne avant d'entremêler leur doigts et de brusquement lever leurs poings vers le ciel.

— Vive Astra !

Cela équivalait à un accord, rendu public. La foule, si furieuse un instant auparavant, éclata en ovations, sans que cela soulage l'âme tourmentée de Rodolphe. Ses mains étaient moites et son regard le brûlait, mais il s'efforça de plaquer sur ses lèvres un grand sourire qui sonnait faux.

On devait avoir l'air heureux, lorsque l'on s'engageait auprès d'une femme intelligente et belle comme Saskia.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant