Rodolphe (Chapitre 9)

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Cela faisait une bonne dizaine de minutes qu'un profond silence régnait dans la navette de transport. Ils approchaient du vaisseau qu'ils devaient rejoindre et il ne restait plus que quelques mètres à franchir pour que leur appareil vienne s'arrimer à l'une des alvéoles du géant en face d'eux.

Rodolphe avait du mal à respirer normalement, et chacun des quatre jeunes gens partageait cet état d'esprit. Il avait beau avoir terminé de s'exprimer à la radio une heure auparavant, les mots continuaient de le hanter et de passer devant ses yeux.

Il avait parlé avec son coeur, avec toute la franchise dont il était capable, et il était prêt à tenir tête à la galaxie entière pour réaliser sa promesse de ne jamais affronter son fils. Néanmoins, cela ne lui permettait pas de se calmer. Il appréhendait l'inévitable retour à son vaisseau... et la confrontation avec les Astrayens restés sur place.

— J'aurais dû te laisser là-bas Saskia, tu aurais pu préparer le terrain.

— Certes, mais nous ne savions pas en partant que cette révélation allait avoir lieu maintenant, rétorqua la jeune femme.

Eden secoua la tête derrière eux, toujours en colère.

— En effet. Et de toute façon la seule personne qui pourrait te tirer d'affaire actuellement, c'est ta sœur Rodolphe. Tout le monde sait qu'elle est capable de se mettre n'importe quelle foule dans la poche d'une parole et d'un sourire... Mais on ne l'a pas sous la main. Décidément avec ton discours, on va se faire lyncher sur place. Je t'avais dit de la jouer en mode repentance d'erreur de jeunesse et de renvoyer le gosse à sa mère et de refuser d'en entendre encore parler ! Mais il a fallu que sa majesté s'obstine à le reconnaître publiquement et même à lui attacher de l'importance. On est foutus... J'en viens à regretter encore un peu plus d'être venu dans cette expédition de malheur, je ne sais pas ce qui m'a pris...

Rodolphe se retint de le remettre vertement en place. Pas besoin d'être devin pour savoir qu'Eden n'avait accepté de faire partie de son corps dirigeant et de participer à des opérations risquées de ce type uniquement pour les beaux yeux de Saskia, qui s'obstinait à l'ignorer. L'empereur savait pourtant que les choses n'étaient pas si simples, et que la jeune femme avait parfois du mal à se détacher du garçon si visiblement amoureux d'elle. À plusieurs reprise, Rodolphe avait tenté de lui demander s'ils s'étaient connu avant l'embarquement des vaisseaux, mais n'avait pas osé. Il n'avait pas à interférer dans son passé alors qu'il refusait toujours d'accepter son rôle de fiancée, ne la gardant à ses côtés que comme une amie et conseillère.

— Arrimage dans cinq minutes, lâcha alors Ralph après un coup d'œil aux écrans de bord. Rodolphe, tu reprends les commandes manuelles où je vérifie rapidement la programmation sur mon écran ?

Simple mesure de sécurité, il n'y avait jamais aucun problème à l'arrimage des navettes. Faire lui même la manœuvre permettrait cependant au jeune homme de se concentrer sur autre chose, et Rodolphe répondit avec un hochement de tête en direction de son responsable communication.

— Je m'en occupe.

Saskia aimait le faire aussi, mais elle ne lui disputa pas les commandes. Cette fois ci, parce qu'elle avait la manie de le faire souvent. Un léger sourire naquit sur les traits de l'empereur qui songea qu'il pensait décidément souvent à la jeune femme, et qu'il n'aurait pas aimé qu'elle puisse lire dans ses pensées. Elle aurait alors compris qu'il n'était décidément plus si éloigné de l'idée de l'accepter comme elle le voulait...

Il se pencha en avant, saisit un levier puis cliqua rapidement sur quelques touches, activant les moteurs arrières de propulsion et les commandes en mode manuel.

En quelques minutes il fit pivoter la petite navette légèrement pour qu'elle soit bien perpendiculaire au vaisseau qui se rapprochait d'eux à grande vitesse. Enfin c'était eux qui se déplaçaient et non lui mais l'impression était la même.

A leur approche Rodolphe appuya sur une nouvelle touche et un signal lumineux partit de la navette pour heurter l'alvéole de verre censée les accueillir.

C'était du verre renforcé et incassable, strié de fils métalliques imbriqué, formant d'épais carreaux à la surface des ovales.

Le signal lumineux se répercuta sur toute le verre jusqu'à atteindre les détecteurs qui le validèrent alors. A présent plus question de reculer : les jeunes à l'intérieur du vaisseau devaient avoir vu qu'une alvéole était en train de s'ouvrir.

En manipulant les commandes avec dextérité, Rodolphe commença à faire entrer sa navette dans le petit espace dédié. Un instant plus tard elle était en place, arrimée, et la cloche de verre se refermait sur eux.

Il fallut attendre encore quelques minutes avant qu'un voyant vert ne s'allume sur l'écran, indiquant que le taux d'oxygène était parvenu au bon chiffre et qu'ils pouvaient sortir de leur cabine pressurisée.

Rodolphe fit coulisser la porte du côté droit puis se leva et sortit de l'appareil. La sensation était toujours aussi étrange dans l'alvéole de verre : on avait l'impression d'être au milieu de l'espace sans rien à quoi se retenir mais sans tomber pour autant.

Il fit un pas vers l'ouverture ronde menant à l'énorme vaisseau, mais Saskia se précipita pour venir s'y placer devant lui. Elle se retourna ensuite, anxieuse.

— Je crois qu'il vaut mieux que je passe devant. On ne sait pas ce qui nous attend derrière... Une foule d'Astrayen t'accusant d'être un traître, peut-être. Nous ne pouvons pas prendre le risque qu'en te voyant, ils fassent dégénérer la situation. Ne sors pas d'arme pour leur montrer que tu es pacifique, mais Ralph et Eden, ce serait bien que vous les conserviez à portée de main.

L'organisateur hocha froidement la tête et l'empereur eut le temps de songer avec agacement que le jeune homme en question avait déjà failli le tuer durant le transport. Il n'aimait pas beaucoup l'idée de l'avoir lui pour couvrir ses arrières mais n'était pas certain d'avoir le choix.

Quant à Ralph, malgré tous les cours des souterrains puis plus tard dans le vaisseau qui leur servait de lieu de vie, il était toujours aussi incapable de savoir comment fonctionnait un pistolet laser. Lui demander d'être armé était donc purement symbolique : ses pistolets ne devaient même pas être chargés, il aurait été capable de se blesser.

— Prêts ? demanda Saskia en levant sa main gauche armée au dessus de son épaule et en allongeant les doigts vers la commande d'ouverture.

Rodolphe retint son souffle puis finit par acquiescer, la gorge serrée. Chaque fois qu'il pensait l'avoir écartée, la peur panique qu'il possédait depuis son enfance d'être exclue revenait le hanter.

— Vas-y Sas', ajouta Eden.

Elle lança un coup d'œil au jeune homme assorti d'un léger sourire tendu, avant d'appuyer sur la touche.

La porte se mit à coulisser, permettant d'accéder au couloir rond et étroit qui se tenait juste derrière.

En suivant Saskia qui venait de s'engager dans l'ouverture, penché pour ne pas se cogner au plafond et main sur les rampes des côtés pour se retenir au cas où il tomberait, Rodolphe commença à entendre les premiers cris.

— Traître !

— On n'en veut pas du gosse des eriquiens !

— Hou ! Saleté de prince qui se sent tout permis !

Les insultes pleuvaient, et à chaque nouveau pas devenait plus fortes et plus violentes, faisant battre le cœur de Rodolphe un peu plus vite. Ou était Sibylle ? Morte depuis longtemps même si cela n'avait jamais été prouvé. Elle seule aurait pu l'aider à reprendre la situation en main et en attendant, il n'avait aucune idée de comment faire.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant