Rodolphe (Chapitre 34)

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— Votre majesté, vous devez rester à l'intérieur, répéta imperturbablement l'organisateur.

Rodolphe ne tenait pas en place face à Eden, campé devant lui dans la salle de commande de leur énorme vaisseau stabilisé au sol.

— Je veux sortir d'ici moi aussi ! hurla en réponse Rodolphe, cédant à son exaspération grandissante.

Il y avait Saskia derrière lui, son fils Theobald assis à sa gauche sur un siège, et Ralph adossé au mur, les dévisageant tour à tour, Eden et lui. Le jeune homme aux cheveux blancs demeura intransigeant, placé entre la porte de sortie et l'empereur, bras croisés sur sa poitrine.

— Nous devons avant tout sécuriser la zone. Vous ne sortirez d'ici qu'une fois que nous seront absolument certain que vous ne courez aucun risque.

Saskia paraissait exténuée et avait de larges cernes sous les yeux, lorsqu'elle s'avança devant Rodolphe.

— Je crois qu'il a raison. Toi et Theobald, il vaut mieux que vous attendiez un peu ici.

L'empereur rougit de colère et eut du mal à conserver son calme devant sa compagne. Il aurait eu envie de la gifler, tant elle ne comprenait pas la situation. Son vaisseau avait déjà été le seul à rester en arrière lorsque les détecteurs avaient permis de deviner le combat en cours un peu plus loin à la surface de la planète. Il n'était pas intervenu, de peur que ce soit un piège. Et maintenant on lui demandait en plus de rester en arrière !

— Tu n'as aucune idée Saskia de ce que c'est que de vouloir retrouver quelqu'un qu'on aime et qui est toujours en danger. Laisse-moi...

Elle tituba et recula, sous le choc. La jeune femme trébucha sur le bord d'un fauteuil et Eden la rattrapa de justesse avant qu'elle ne tombe. Tout en refermant ses bras musclés sur elle d'un air protecteur que n'apprécia pas Rodolphe, il fusilla ce dernier du regard.

— Arrête de lui parler comme ça ! Tu ne la mérites pas...

Il semblait hors de lui, mais pas davantage disposé à le laisser sortir. Rodolphe fit un pas en avant et repris Saskia de ses bras, plus pour l'énerver encore que par jalousie.

— Fais attention à toi. Ne traine pas trop autour d'elle, on pourrait t'accuser de lèse-majesté...

Quelque chose comme un éclair de peur traversa le regard d'Eden mais cela fut si fugitif que Rodolphe crut avoir rêvé. Saskia se dégagea violemment de sa poigne et vint brusquement s'interposer entre eux, les écartant d'une bourrade pour les empêcher d'en venir aux poings.

— ASSEZ ! Arrêtez tous les deux de parler de moi comme si je n'étais pas là. Ensuite Rodolphe, je sais parfaitement ce que c'est que d'attendre quand l'on espère quelqu'un. Mais as tu pensé à elle ? Sibylle ? S'il y avait un piège, il pourrait servir non seulement à te tuer toi, mais aussi à la mettre hors d'état de nuire elle. Est-ce cela que tu désires ? Nous nous soucions tous de toi ici. Crois tu que cela nous fasses plaisir de te demander de rester en arrière ? Et puis, moi aussi je suis consignée ici en tant que ta fiancée. J'adorerais aussi sortir enfin de ces murs de métal dans lesquels nous vivons depuis des années, même si personne ne m'attends. Pense donc plutôt à ta chance. Toi au moins, tu as encore quelqu'un de ta famille. Alors arrête de tout mettre en danger pour un petit caprice de souverain.

L'empereur l'attrapa vivement par la taille d'une poigne de fer et elle voulut se dégager mais n'y parvint pas. Il était fou de colère, d'exaspération et d'impatience. Ce ne fut que lorsqu'il croisa le regard de la jeune femme qu'il comprit qu'il était allé trop loin.

Les prunelles de Saskia brillaient de peur, de peur de lui. Ce n'était pas quelque chose que Rodolphe était habitué à faire ressentir aux autres. Saisi d'une profonde culpabilité et de remords, il la relâcha vivement et tâcha de s'excuser.

— Pardonne-moi. Pardonnez moi tous. Je vous ai mis à bout alors que vous aviez raison, je suis désolé.

Il n'osait pas se tourner vers son fils. Pendant quelques secondes il avait oublié sa présence, et un profond sentiment de honte et d'inquiétude l'envahissait maintenant. Sa peur que Theobald le rejette demeurait intacte.

Son fils se leva tranquillement de son siège et vint alors poser une main sur son épaule.

— On est tous tendus je crois. Je crois que je serai aussi impatient que vous si ma soeur était là.

Rodolphe posa sa main sur celle de son fils pour la maintenir sur son épaule, le coeur légèrement apaisé. La pardon de Theobald, sa simple présence rassérénante, signifiaient énormément de choses pour lui.

— Parfait, si tout le monde est d'accord, résuma Ralph de son ton tranquille. Il ne nous reste plus qu'à attendre alors... Les atrayens ont mission de nous amener Sibylle dès qu'ils la trouveront.

Personne ne formulait à haute voix l'hypothèse qu'elle soit peut-être morte depuis les années passées sans nouvelle, mais cette pensée était présente dans tous les esprits.

Rodolphe se détourna pour aller s'asseoir à l'avant du vaisseau, les yeux tournés vers la vitre du cockpit trop haute pour voir le sol à ce stade d'immobilité, et Theobald vint le rejoindre, s'installant à côté de lui dans l'allée directement sur le sol.

Saskia était restée avec Eden et Ralph, comme si tous les trois sentaient que seule la présence de son fils pourrait apaiser encore un peu plus l'empereur.

— Papa... Qu'est-ce qui vous a plu chez Maman au départ quand vous l'avez connue ?

La lumière artificielle éclairait l'habitacle mais dehors il aurait fait complètement nuit noire si les phares n'avaient pas éclairé. Rodolphe s'attendait à tout sauf à cette question. Il resta figé, un instant silencieux, avant de commencer à réfléchir, passant une main d'un geste nerveux dans ses cheveux noirs mi-longs.

— Sa fougue je crois. Aileen était... Comment dire, elle était mon opposé. J'étais timide, taciturne, et elle vive, alerte, capable de dire tout ce qu'elle pensait. Elle n'était pas reine alors, et sans le poids des responsabilités, elle était capable de déclencher un incident diplomatique juste pour agir comme elle le souhaitait. Moi-même, je n'était pas capable d'agir ainsi. Je suppose que j'ai admiré son indépendance, aimé sa franchise et son habitude de sans cesse douter d'elle-même, qui elle pour le coup nous rapprochait.

Une étincelle de tristesse traversa son regard grave et Theobald murmura simplement :

— Vous regrettez ?

Un grand sourire se fit jour sur les traits de Rodolphe et il tourna franchement la tête vers lui, s'attardant un instant à dévisager ce garçon de quatorze ans qui lui ressemblait tant.

— Pas une seconde. Tu es un fils trop merveilleux pour que je puisse imaginer agir différemment si c'était à refaire.

Le jeune prince eut un sourire complice, heureux, mais ne resta pas sur cette réponse, insistant.

— Mais si je n'étais pas né ? S'il y avait juste eu Aileen et vous ?

L'empereur voulut répondre mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Il suivit le regard de Theobald pour tomber sur Saskia un peu plus loin, fatiguée et appuyée sur Eden. Elle était belle, jeune, intelligente... Mais tout cela n'amena qu'une grimace sombre sur ses traits. Il répondit à la question sous-entendue de Theobald.

— Elle n'a rien à voir avec ta mère. Chaque fois que je la prends dans mes bras, je me rappelle un peu plus de la façon dont Aileen m'a captivé dès le départ. Je l'aimais... Je l'aime encore. Saskia n'est que la femme que l'on m'a imposé. Sais tu ? Je ne regrette pas mon mariage avec ta mère. Ce qui me manque, c'est de ne plus l'avoir à mes côtés.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant