Saskia (Chapitre 43)

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Saskia eut l'impression de se prendre un violent coup de poing dans l'estomac à cette annonce. Il venait de la remettre à sa place, violemment, et elle ne trouvait rien à répondre.

Il avait raison. Il était le chef, elle n'était rien de plus qu'une personne à sauver, qu'elle porte ou non son enfant. Le considérait il même comme tel ? Ou juste le fruit d'un hasard, d'un concours de circonstances qu'il regrettait, sans désir de s'en attribuer la paternité ?

Son devoir. Lui obéir. Être à sa place. Saskia n'aimait pas réfléchir à des plans de grande envergure et s'était de toute façon toujours appuyée sur un homme dans sa vie. Elle s'en rendait compte à cet instant. Cela avait été Eden, c'était désormais Rodolphe. Elle n'était pas légitime à le contredire, ni a demander davantage. Que pouvait elle souhaiter de plus que ce qu'il s'engageait à faire, tenter de leur sauver la vie à tous ? Enfin pas à tous, mais le plus possible.

Elle détourna la tête, ravalant le choc qu'elle venait d'avoir et acceptant cette situation qu'elle n'aurait pas dû imaginer remettre en cause, tant elle n'avait rien d'autre à proposer.

Elle recula, tituba, avant de se reprendre et de recommencer à marcher entre les gravats, puis d'accélérer le pas et enfin se mettre à courir. Le « quartier général », c'est-à-dire l'endroit le plus sécuritaire qu'ils avaient pu trouver, était à un quart d'heure encore, s'ils maintenaient l'allure.

L'empereur sautait derrière elle par dessus les poutrelles de bois calcinées, les débris de verre, les bouts de métal tordus... Ils passaient de temps en temps devant un nouveau foyer d'incendie et les yeux de Rodolphe restaient alors identiques, sans passer au doré. Il avait changé d'état d'esprit et contrôlait chacune de ses émotions.

Elle ne pouvait que l'admirer pour cela. Enfin ils arrivèrent devant un immeuble effondré mais dont le rez de chaussée avait par miracle subsisté presque intact, protégé par les tonnes de gravats en équilibre depuis des années sur son toit et autour de lui, formant comme un terrier sûr, un endroit où ramper pour se cacher.

Du reste on y pénétrait par un trou dans le mur et il fallait légèrement se pencher. A l'intérieur une vingtaine d'Astrayens avaient envahis les deux salles accessibles qui avaient dû jadis être de belles vitrines de centre commerciaux.

Ralph sortit de l'ouverture avec soulagement en les voyant arriver et eut un de ces sourires que lui seul savait avoir en temps de crise.

— Rodolphe ! Saskia ! Je commençais à croire que vous étiez sérieusement en péril quelque part. Dans quelques minutes j'allais sonner l'alarme et envoyer certains des nôtres sous les bombes vous chercher et savoir ce que vous étiez devenus...

Saskia s'arrêta, essoufflée, se pliant en deux sans pouvoir répondre. En regardant Rodolphe elle constata que celui-ci ne montrait pas les mêmes signes de fatigue mais se dressait, superbe, les traits carrés en une expression sévère.

— Nous allons bien. Ralph, il va me falloir une estimation exacte de où nous en sommes. Est-ce que nos propres vaisseaux sont en sécurité ?

Le visage du jeune homme s'assombrit et le cœur de Saskia se serra. C'est vrai, elle n'y avait même pas pensé ! Preuve encore qu'elle était incapable d'avoir un plan ou d'en formuler un.

Ils pouvaient toujours de nouveau fuir si les vaisseaux existaient encore...

— Nop. S'il y a eu si peu de bombes sur la ville c'est parce que les Eriquiens se sont concentrés sur eux. Tout est détruit Rodolphe...

L'empereur ne laissa rien échapper, seul un léger frémissement parcourut son bras et il serra le poing.

— Nous n'avons donc plus d'autre choix que de lutter jusqu'au bout.

Saskia le dévisagea un peu plus attentivement et compris. Il n'avait jamais envisagé autre chose, mais peut être espérait il sauver d'autres personnes que lui même. Un pincement de jalousie la saisit. Il devait exister des exceptions dans le cœur de cet homme si inateignables. Des personnes qu'il voulait sauver même en considérant cela déraisonnable. Elle savait n'en faire pas partie, et d'une certaine façon se réjouissait de ne pas faire partie de ceux le fragilisant. Mais c'était une idée détestable.

Il reprit la parole, en direction de Ralph et d'une organisatrice qui sortait de l'abri à son tour, mais pour les inciter à entrer se protéger.

— J'arrive. Encore une chose cependant, a-t-on pu récupérer tous les vivres qui étaient à bord ? Les blocs de survie pour soigner les blessés aussi ?

Saskia s'avança alors, intervenant à son tour.

— Nous pouvons discuter de tout ceci à l'intérieur, on sera plus en sécurité. Arrête de rester dehors et de t'exposer.

L'Empereur leva la tête vers le ciel, regardant les noirs vaisseaux qui semblaient maintenant statiques.

— Très bien, mais tu restes dehors. Je veux savoir minute par minute si quelque chose évolue ou s'ils amorcent le mouvement d'atterrissage...

L'organisatrice rentra à l'intérieur et Ralph commença à la suivre tout en répondant à la question précédente de Rodolphe.

— Les vivres on y a pensé et tout est sécurisé. On a abandonné les modules de soin en revanche... on n'avait pas l'énergie pour les alimenter en dehors des vaisseaux. Nous ne pourrons pas soigner, alors faisons en sorte que nous ne soyons pas blessés !

Il s'efforça de donner un ton optimiste à ses derniers mots mais même à lui sa tentative dû lui paraître dérisoire car il s'arrêta.

Saskia frissonna, soudain angoissée à l'idée de rester seul dehors, à la portée du moindre éclat provenant d'un nouveau bombardement. Mais elle savait aussi que Rodolphe la classerait immédiatement parmi les personnes inutiles et non fiables si elle se rebiffait.

Elle s'était préparée tant d'années pour ce moment... Mais toutes les simulations ne pouvaient imiter vraiment cette réalité. Elle ferma les yeux, luttant contre ses vieux cauchemars, contre le rappel de ses jeunes années où elle avait déjà dû vivre cet enfer.

Elle leva les yeux vers le ciel, au moment où Rodolphe allait à son tour rejoindre l'abri, et oublia alors pendant quelques secondes ses sinistres pensées. Il y avait quelque chose de différent. Quelque chose de fou.

— Rodolphe ?

— Mmm ?

— Regarde les vaisseaux.

Il suspendit son geste et se retourna immédiatement. Alors tous deux contemplèrent en cette fin de matinée le spectacle qui s'offrait à leurs yeux. De nouveau vaisseaux étaient en train d'apparaître dans le ciel. Et les premiers d'entre eux commençaient à tirer.

Pas vers eux comme ils auraient pu le craindre. Mais contre les vaisseaux d'Aileen.

Un sourire apparut sur les traits de Rodolphe, calme et droit.

— Enfin ! Mars, Nepsys, Tireros... N'importe lequel ou tous, mais voilà l'arrivée de nos alliés...

Peut-être qu'il y avait encore de l'espoir. Et que jamais les vaisseaux de l'AM.Erica ne se poseraient de nouveau sur la terre d'Astra...

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant