Aileen (Chapitre 38)

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Aileen fixait la vitre du vaisseau spatial, vrillant son regard sur le noir intersidéral de l'espace. Elle ne parvenait pas à s'en détacher, allongée comme elle l'était dans son siège et les pieds sur le tableau de bord. Elle ne se trouvait pas dans le cockpit de commandement mais dans ses appartements, dans la petite cellule de repos donnant sur le vide environnant et donnant l'impression grisante pendant un instant d'y être.

Elle ne ressentait rien. Sa belle énergie au départ de l'expédition semblait s'être envolée à cet instant. Elle ne parvenait plus à se mentir à elle même et plus ils se rapprochaient d'Astra plus combattre la nostalgie, la colère, le désarroi, devenaient presque impossible. Lever la tête avec fierté et rire lui semblait à cet instant un défi insurmontable.

Ses longs cheveux bruns étaient ramenés sur son épaule droite et elle s'était légèrement maquillée, vêtue d'un pantalon moulant et d'un chemisier blanc qui la rajeunissait et rappelait une adolescente lambda plutôt que la reine du royaume le plus craint de la galaxie.

— Aileen ?

— Faut il que je mette une serrure à cette pièce pour t'apprendre à toquer ?

Elle ne prit même pas la peine de se retourner. Damien s'avançait en se penchant pour ne pas heurter le bas plafond gris. Rien qu'à son ton elle savait qu'il était d'aussi mauvaise humeur que d'habitude.

— Nous avons besoin de tes ordres. De te savoir à notre tête, comme tu l'as promis en venant ici... La situation est grave.

— Parce que tu penses sérieusement que quelques gamins astrayens associés à quelques planètes fragilisées comme Mars constituent une menace sérieuse ?

Son ton s'était fait méprisant et Damien la rejoignit, furieux, l'attrapant par le bras pour la forcer à le regarder.

— Ah ah, très drôle. Si ce n'était que ça ! Je suppose que tu n'as regardé aucun des messages que nous t'avons envoyé... Les robots du vaisseau se sont révoltés.

Il venait de parvenir à la surprendre. Elle se dégagea et se releva d'un bond, sa silhouette se détachant devant la vitre.

— Pas de blessé ?

Un réflexe de la personne qu'elle avait été si longtemps. Il secoua la tête négativement et le peu d'énergie qui s'était emparée d'elle sur l'instant disparut.

— On a pu les maitriser assez vite. C'est étonnant pour de la mécanique mais ils ne s'étaient pas assez coordonnés. Tous les vaisseaux de la flotte ont reçu l'ordre de contrôler les leurs pour éviter le même genre d'incidents... Les nôtres voulaient défendre Astra.

— Ah ah, peut-être que les Astrayens ont raison après tout. Qu'en donnant une conscience à nos créatures on leur donne droit à la liberté...

— Non. Ce sont des robots.

— Des êtres qui pensent, dirait Rodolphe.

— Arrête ça. De parler de lui comme si c'était un ami proche, comme s'il suffisait de passer un coup de fil et...

— C'est mon mari.

Elle lui enfonçait des clous dans les veines à chaque mot, le savait, mais s'en fichait pour l'heure. Pourquoi n'aurait elle pas pu elle aussi être égoïste dans sa vie ?

— Tais toi, mais tais toi donc ! Tu ne sais pas ce que c'est que d'entendre quelqu'un que l'on aime dire...

Elle le coupa avec violence, ses yeux lançant un bref éclair.

— Ne te permets pas de me dire ce que je ne connais pas de l'amour ! J'en connais toute la souffrance possible. Toi, tu me désires, mais c'est tout. Il n'y a rien d'autre. Tu n'as jamais appris à comprendre et estimer ma pensée, vouloir une vie avec moi. Tu veux simplement que je sois à toi... L'amour est tellement plus que cela.

Damien recula pour la première fois depuis longtemps dans l'une de leurs altercations, visiblement horriblement blessé.

— Alors c'est ce que tu penses... Je voudrais, je brûle que tu sois à moi. Mais que tu sois à moi c'est tout cela... Pouvoir te faire sourire, te plaire, c'est tout cela. Bien sûr que c'est te connaitre et vouloir faire partie de ta vie ! Et toi t'es tu regardée ? Tu es tout ce que tu détestes ! Une femme qui attend désespérément un homme qui l'as déjà abandonnée et trompée ! Est-ce ce que tu veux ? N'as tu donc pas un peu de fierté ?

Touché. Il venait de la frapper pile à l'endroit où il pouvait l'atteindre. Elle le fixa sans répondre tout de suite, observant ses cheveux désordonnés, son uniforme parfait, ses traits réguliers. Il était beau, viril, devait faire rêver plus d'une femme.

Il était si... Physique. Elle se rapprocha de lui si vite qu'il parut surpris, sans savoir comment réagir.

— Tu as raison. Ma chambre est à côté.

— Q... Quoi ?

Elle ne prit même pas la peine de lui répondre mais passa devant lui pour gagner la porte coulissante de la petite salle et gagner la pièce adjacente, sa chambre effectivement, garnie seulement d'une couchette et d'une armoire pour les quelques tenues emportées.

Il la rejoignit, à demi-fou.

— A quoi tu joues ? Aileen !

Elle leva les mains vers sa nuque et dégrafa les attaches de son haut, toujours silencieuse. Elle le fit glisser au dessus de sa tête puis se retourna vers lui, en sous-vêtement. Si belle, si désirable... Elle le vit au regard de Damien qui devenait étrange, s'allumant d'une flamme qu'il ne contenait plus.

— Aileen...

— Je pense ce que tu as dit depuis un temps fou. Je vais revoir Rodolphe dans quelques heures. Pas question d'être la jolie fille qui l'a attendu bien sagement à la maison pendant qu'il prenait du bon temps... Je ne veux plus être à lui. Tu l'as si bien dit. Je veux que quelqu'un d'autre pose ses mains sur moi et me marque... Feras-tu cela pour moi, Damien ?

C'était lui qui ne parvenait plus à répondre. Sans joie particulière elle se glissa contre sa peau et commença à ôter les boutons de sa chemise tout en cherchant ses lèvres.

Le souffle du jeune homme s'accélérait et il cherchait à lui échapper mais elle renforça sa prise. L'attirant un peu plus contre elle, elle commença à l'embrasser et sentit qu'il lui cédait, perdant son énergie défensive.

Leur baiser s'approfondit et elle eut un sourire ironique lorsqu'il posa ses mains sur ses cuisses pour à son tour la rapprocher de lui.

Elle fronça les sourcils alors qu'elle l'attirait à la couchette collée au mur. La chaleur embrasait son corps, les sensations physiques étaient totalement présentes, mais de qui se moquait elle ? Pouvait elle être à lui alors que son coeur était si loin, si prisonnier des murailles intérieures de protection qu'elle s'était construites ?

Il murmura son prénom et elle releva la tête en fermant les yeux tandis qu'il l'embrassait dans le cou.

Qu'importe.

Mais Rodolphe aurait su se dominer. Jamais il n'aurait accepter d'être utilisé contre un autre. Pourquoi, pourquoi donc lui apparaissait-il toujours aussi grand ?

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant