Rodolphe escaladait des marches. Des marches couvertes de gravats, horriblement glissantes, certaines manquantes.
La tour dans laquelle il s'élevait ainsi était à moitié détruite et le vent s'engouffrait dans la faille, rendant encore plus dangereuse l'ascension.
Il n'y prenait garde, et déjà deux fois était tombé, se rattrapant de justesse avant de glisser vers le vide créé par l'absence de paroi. Sa main droit était ensanglantée, suite à diverses coupures occasionnées mais c'était un autre détail auquel il ne voulait même pas prêter attention.
Les enfants d'Astra s'étaient répandus dans toute l'ancienne capitale, sans rencontrer âme qui vive, pas même les quelques soldats Eriquiens déjà présent sur la planète mais Rodolphe les soupçonnait d'avoir reçu l'ordre de ne pas bouger. D'attendre les renforts...
Il s'immobilisa sur une nouvelle marche et jeta un regard à l'extérieur en se rapprochant légèrement de la paroi brisé tout en restant prudemment à l'écart.
Il devait maintenant être aux deux tiers de la haute tour de verre. Il semblait dominer la ville d'ici et le fracas des vagues en contrebas se faisait entendre. Rodolphe en avait rêvé si longtemps... Retrouver le palais de ses pères, la senteur iodée de l'air marin, et le bord de mer sauvage de la côte rocheuse bordzant ce côté ci de la capitale.
Il ne restait plus qu'une tour debout, la plus élevée et la plus au nord. C'était là où il se trouvait à cet instant. Le reste du bâtiment n'était que débris ou immenses pans de verre fondu par la chaleur des incendies et les projections acides.
Il laisse échapper un soupir alors qu'une nouvelle bourrasque de vent le faisait trembler sur ses jambes puis entrepris de poursuivre son ascension.
— Rodolphe !
Il ne s'était pas attendu à être suivi. Pour quelqu'un d'autre il ne se serait peut être pas arrêté mais pour sa sœur il n'eut même pas l'ombre d'une hésitation.
Elle arrivait en effet elle aussi, blessée également par une probable chute, au bras droit, et essoufflée malgré son physique, d'avoir dû accélérer pour tenter de le suivre. Elle n'était pas seule cependant et Rodolphe songea qu'ils en revenaient au point de départ.
Theobald apparut également à sa suite et les deux jeunes gens s'arrêtèrent face à lui quelques marches plus bas.
— Logique que l'on soit avec toi pour redécouvrir le palais d'Astra, tu ne crois pas ?
Rodolphe acquiesça et laissa même un sourire affleurer à ses lèvres malgré la douleur que cela lui faisait de voir ses souvenirs heureux d'enfant détruit par cette sinistre réalité.
Son regard se posa alors son fils qui détourna le sien et il comprit instinctivement le doute qui l'assaillait.
— Ce n'est pas une redécouverte pour toi, n'est ce pas ? Tu n'as pas grandi ici... Mais les enfants d'Astra de la deuxième génération sont tout autant les bienvenus.
— M... Merci Papa.
Ce mot transperça le cœur de Rodolphe qui ne repondit rien mais vrilla son regard doré dans celui de son fils, sous celui amusé de sa sœur.
— Ah ah, ému pas vrai ? Theo si tu continues comme ça il sera tellement perdu qu'il ne saura plus comment nous répondre.
Le jeune garçon se détendit et se mit également à sourire malgré tout ce que la situation avait d'étrange pour lui, jusqu'à ce que Rodolphe descende une marche et lui tende une main pour le hisser à sa hauteur.
— Que dirais tu d'être le premier à arriver là-haut ? Nous te suivrons.
— Non ! C'est vous l'Empereur ! C'est à vous de poser le pied au sommet du palais d'Astra, je suis un prince à demi-eriquien, je suis...
— Tu es mon fils. Et l'un des adolescents les plus courageux que j'ai jamais rencontré. A quatorze ans, j'étais angoissé à mort à l'idée de régner et la seule personne qui m'a permis de traverser cette période est ma sœur, ta tante ici présente. Toi tu n'as jamais eu personne. Et tu es là, prêt à endosser tout ce que ta naissance t'a mis sur le dos. De nous deux, si quelqu'un mérite d'être là-haut, c'est toi. Et n'oublie pas, Theobald. Être derrière toi ne sera jamais pour moi une défaite, mais un honneur. Je suis incroyablement fier de t'avoir pour fils.
Le garçon hésita encore un instant puis accepta la main tendue de son père pour le rejoindre avant d'inspirer fortement et de franchir une nouvelle marche. Il reprit silencieusement l'escalade, suivi de Sibylle et de Rodolphe juste derrière elle pour veiller à ce qu'elle ne tombe pas et sois le moins possible en contact avec la paroi gauche et dure. Il préférait lui tendre son bras et qu'elle l'effleure simplement plutôt qu'elle tombe.
— Tu pensais vraiment ce que tu as dit ? Que tu ne t'en serais jamais sorti sans moi ?
Rodolphe croisa les yeux gris de la jeune femme et se permit un franc sourire, de ceux qu'il avait si rarement, avant de reporter son regard sur son fils avançant seul devant eux.
Il faisait toujours nuit dehors mais une légère clarté commençait à les éclairer, facilitant un peu la montée.
— Comment peux tu en douter ? J'ai failli m'effondrer tant de fois. Je ne voulais pas être empereur ! J'en étais incapable. Mais quand toi tu me regardais... Je savais que tu ne doutais jamais de moi. Qu'à tes yeux j'étais un homme qui pouvait le faire. Alors j'ai avancé, pour ne jamais décevoir cette foi sans faille. Cette confiance aveugle que tu avais en moi. Cela m'a donné envie de me dépasser... C'est l'une des seules choses qui pourrait aujourd'hui achever de me détruire totalement. Je peux survivre à tout... Je l'ai vu. Je me suis relevé quand j'ai perdu Aileen, quand j'ai souffert de n'avoir pas mon fils à mes côtés, d'avoir tué de ma main l'un des princes les plus justes de la galaxie... mais jamais je ne pourrai imaginer continuer si tu me disais, ne fut-ce qu'une seconde que tu n'as plus en moi cette foi absolue qui m'a toujours donné la volonté d'être à la hauteur.
— On dirait que c'est moi que tu vas faire taire, cette fois.
Visiblement terriblement émue elle se détourna et poursuivis la marche elle aussi, agitée d'un léger tremblement.
Rodolphe n'ajouta rien, devinant l'inutilité des mots à ce stade, et ils continuèrent ainsi tous les trois à s'élever dans la tour en silence. Aucun autre astrayen ne les rejoindrait, l'Empereur devinant qu'il y avait comme un tabou à pénétrer dans leur palais en ruine à cet instant qui n'appartenait qu'à eux.
Il ne sut jamais combien de temps s'était écoulé lorsque Theobald franchit la dernière marche de l'escalier et jaillit à l'air libre sur ce qui avait été une plateforme d'atterrissage de vaisseaux mais n'était qu'un immense cercle de verre sous leurs pieds, absolument désert, balayé par les vents.
Rodolphe le rejoignit à son tour avec Sibylle et les trois jeunes gens restèrent ainsi silencieux, soufflés par la majesté du moment qui les saisissait et les dominait.
Ils surplombaient la ville en ruine d'un côté et de l'autre faisait face à la mer qui venait se jeter contre les rochers en contrebas. C'était un spectacle superbe.
Rodolphe rejoignit son fils et posa une main sur son épaule au moment où les premiers rayons de soleil annonçaient l'avènement de la nouvelle journée.
Sibylle dans leur dos haussa la voix, retrouvant sa vigueur et son franc parler d'antan. Elle riait, et en même temps, il y avait de l'admiration.
Le soleil les embrasait désormais tous les trois dans un éblouissant ensemble.
— Le temps d'hier est enfin terminé. Il y a de nouveau un prince pour fouler la terre d'Astra !
Rodolphe eut un sourire et échangea un regard avec son fils. Lorsque leurs yeux se rencontrèrent son émotion s'accentua.
Qui représentait au juste l'avenir d'Astra à cet instant ? Qui était le prince enfin de retour ?
Peut-être qu'au fond ce n'était pas lui, condamné à appartenir à ses faiblesses, son lourd passé, mais cet enfant à l'aube de la vie, tout juste en train de commencer à comprendre l'ampleur de l'avenir qui l'attendait.
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Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]
Science FictionTome 5 : L'enfant des deux mondes La guerre fait rage. Les enfants d'Astra ont passé des années dans l'espace à survivre comme ils le pouvaient... Il est maintenant temps pour eux d'entrer dans la dernière phase du plan. Il est temps de rentrer chez...