Sibylle (Chapitre 33)

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Une déflagration terrible sur sa gauche fit ouvrir les yeux à Sibylle. Son dragon s'était déporté pour éviter l'onde de choc, mais il ouvrait les mêmes yeux fous devant le spectacle s'offrant à eux.

Dans le ciel rougeoyant, ce n'était pas les dragons et leurs cavaliers qui se transformaient en torche vivante pour aller s'écraser au fond du ravin dans un bruit de tonnerre. C'était les appareils eriquiens.

Les pilotes n'avaient rien vu venir non plus, et si certains commençaient brusquement à se ressaisir et à tenter de sortir du guêpier dans lequel ils étaient enfermés, il était trop tard. Sans pitié, les rayons lasers des énormes vaisseaux les détruisaient un à un.

— Humaine, que se passe-t-il ?

Quelque chose se réchauffait lentement dans la partie détruite du coeur de Sibylle. Un pan de sa vie qu'elle avait cru disparu à jamais se rouvrait lentement et des souvenirs resurgissaient en force. Des rires d'enfants, des yeux aux éclats d'or, les courses sur la plage, le regard grave et inquiet cherchant toujours son approbation. La complicité, les jours heureux, l'espoir...

— Rodolphe...

Il y avait dans son murmure toute la tendresse du monde, tout ce qu'elle avait de beau en elle. Le dragon avait dû percevoir ses émotions car il ne répondit que dans un grognement :

— Les liens du sang sont indestructibles.

Sibylle n'avait pas la tête à discuter, elle se sentait juste perdue dans une ivresse, un espoir qu'elle osait à peine dire à voix haute de peur de le briser. Et si c'était bien les enfants d'Astra, qui d'autres aurait pu les soutenir, mais que Rodolphe n'était pas avec eux ? S'il était bien mort, comme elle le pensait depuis des années ? Son souffle s'accéléra et elle sentit profondément en elle qu'un tel désespoir serait impossible à surmonter.

— S'il te plait, pose moi sur le plateau.

Le dragon obtempéra sans opposer de résistance, pour une fois.

— On dirait que vous nous avez sauvé, remarqua-t-il simplement, et s'il avait été humain, il aurait eu l'air d'un prince faisant une faible concession du haut de sa grandeur, mais Sibylle n'en avait cure.

Lorsqu'ils furent assez proche du sol, elle se laissa glisser à terre avant même qu'il ne soit posé, se meurtrissant volontairement. Sentir en elle l'effroyable douleur tandis qu'elle roulait sur le sol poussiéreux lui permettait de tenter de reprendre contact avec la réalité, de se rappeler que la vie était cruelle et n'avait aucune raison de lui faire maintenant le cadeau de retrouver son frère, alors même qu'elle n'avait jamais eu pitié d'elle.

Les autres dragons sous le choc avaient eux aussi atterrit, certains plus tôt qu'elle, et alors qu'elle relevait la tête pour se lever, la jeune femme vit une main se tendre, et son coeur se remit à battre la chamade tandis qu'un sourire spontané lui venait aux lèvres. Elle avait toujours envie de lui sourire. Plus encore lorsqu'il laissait percevoir de petites attentions comme celle ci.

Sans tenir compte de la douleur, Sibylle effleura les doigts tendus de Carlys avant de lui agripper la main et de s'en aider pour se relever. Ils demeurèrent un instant l'un face à l'autre, émus, trop proches, sans savoir quoi dire.

Les derniers rayons du soleil avaient disparus mais des cris retentissaient de toute part, tandis que les gros vaisseaux commençaient à atterrir un peu plus loin, éclairant le sol de leurs phares immenses. "Vous pensez que ce sont les astrayens ?" "Idiot, qui veux tu que ce soit ?" "Hurra, ce sont enfin eux !" "Nous avons gagné la guerre !"...

Non, une bataille, mais pas la guerre, songea Sibylle sans quitter de ses yeux gris le regard de Carlys. Elle aurait voulu lui demander depuis combien de temps lui l'aimait en silence, sans qu'elle en ait pris conscience, mais se sentait en même temps pour la première fois incapable de franchie. Parler d'amour, c'était prendre le risque de briser l'étrange magie de tous ces trop courts instants passés auprès de lui. C'était un risque qu'elle n'était pas prête à prendre. Pas encore, mais sans doute plus tard, dans quelques mois, lorsque leurs sentiments à tous deux auraient encore grandis en force.

En attendant, elle voulait simplement être certaine de ne pas le perdre, dans le tourbillon d'événements et de changements qui survenaient dans sa vie.

Les dragons restaient au bord du précipice, le regard tourné vers les vaisseaux au loin, mais les astrayens courraient dans leur direction sans attendre, gagnés par un enthousiasme que rien n'aurait pu arrêter. Seuls demeuraient en arrière Sibylle et Carlys.

— Tu as peur ? murmura doucement celui-ci.

La jeune femme hocha la tête. Elle aimait leur mutuelle compréhension, cette façon qu'il avait de tout deviner chez elle, parce qu'ils se connaissaient si bien tous les deux, et réussissaient à parler de tout, y compris de leurs désaccords.

— Oui. Et s'il n'y était pas ? Si Rodolphe n'est plus en vie ? Je voudrais courir au devant des vaisseaux moi aussi, mais quelque chose m'en empêche. Avec toi, ici, il me semble que je pourrais vivre une éternité avec mes espoirs. J'ai peur de tout briser.

Carlys effleura les cheveux de la princesse, sans contact, pour ne pas la faire souffrir. Dans la nuit, elle voyait mal ses traits, mais son regard à lui aussi était brillant.

— Quoi qu'il arrive je t'aiderai. Je resterai toujours, et à deux, nous pouvons tout faire, n'est-ce pas ? Même les plus grandes folies du monde, tant qu'on ne se prend pas trop au sérieux et que l'on reste des enfants.

— Ayons toute notre vie dix-sept ans, n'est ce pas ?

La voix de Sibylle s'était chargée d'un mélange d'amusement et d'affection indéniable. Elle dansait sur une corde raide, entre un demi-aveu et sa pudeur qui l'empêchait de parler. Ces mots qu'elle venait de dire, il les lui avait dit lui-même il y a quelques années. C'était loin déjà mais elle s'en souvenait. Parce qu'elle avait toujours été d'accord qu'il était bien plus beau de voir la vie comme une enfant, avec un soupçon de magie et de rêve, plutôt que complètement comme une adulte, sérieusement, concrètement.

Carlys acquiesça, avec une émotion visible, sans aborder non plus le sujet qui demeurait entre eux, brûlant et intensifiant leur échange.

— On y va ? demanda-t-il en se retournant déjà.

Elle répondit dans un joyeux éclat de rire, de ceux qu'elle avait quand ils étaient ensembles :

— Tu m'as promis de toujours rester, alors je suis prête à aller au bout du monde et à tout affronter.

Derrière la plaisanterie amusée, il y avait sa pensée réelle, dit telle quelle, que le jeune homme dû saisir à la façon dont il tressaillit légèrement.

Au loin, les premiers vaisseaux étaient en train d'ouvrir leurs portes, et le retour des astrayens chez eux était sur le point de devenir vraiment une réalité.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant