Sibylle (Chapitre 37)

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Comment pouvait elle avoir oublié l'émotion qu'Astra faisait naitre chez eux tous ? La magie qui régnait sur cette planète brûlée ? Les dragons avaient quitté la plaine, refusant de s'engager formellement mais laissant entendre qu'ils viendraient probablement aider les astrayens à défendre leur terre commune... Mais ce n'était pas à cela que pensait Sibylle en marchant aux côtés de Theobald dans la longue file qui s'étirait dans la nuit, partant des vaisseaux aux décombres d'Ivy visibles au loin, l'ancienne capitale des rois.

Personne n'avait décidé de partir ainsi, cela s'était fait naturellement. En descendant de son vaisseau Rodolphe avait été submergé par des tonnerres d'acclamation et s'était dirigé de lui même vers les tours de verre calcinées, entrainant derrière lui les centaines d'astrayens. La double file semblait courir en avant, marchant d'un pas rapide. Seul l'empereur avançait seul dans le chemin creusé par le passage de quelques appareils eriquiens de reconnaissance probablement.

La lune était pleine ce soir, et Sibylle regardait son frère quelques pas devant eux, sa démarche fluide, son dos droit, et ses cheveux dans le vent. Un peu plus loin dans son dos à elle avançaient Carlys qui ne cessait de discuter, s'appliquant à faire sourire Saskia, et à la rendre un peu plus heureuse. Elle aurait pu être jalouse si elle ne s'était raisonnée et si l'atmosphère magique de cette nuit illuminée ne l'avait saisie.

Un vent froid faisait battre sa veste ouverte contre la peau nue de ses bras mais la princesse ne le ressentait pas. Il y avait quelque chose de fantastique dans cette immense file d'adultes et d'adolescents se dirigeant d'un pas hagard vers un but inconnu, tout un peuple rentrant chez lui comme à travers un songe.

— Altesse ?

— Je suis ta tante Theo, appelle-moi Sibylle si tu veux.

Le jeune homme à ses côtés ne répondit rien à cela mais posa sa question dans un murmure en regardant la silhouette de Rodolphe s'enfonçant sans cesse plus avant dans l'ombre, les poings serrés dans ses poches.

— Comment supporte-t-il d'être aussi important pour tant de monde ?

Sibylle chercha une réponse et se rendit alors compte qu'elle n'en avait pas.

— Je l'ignore.

Un lourd silence s'installa entre eux, seulement troublé par les rires de Carlys derrière eux et celui plus timide de Saskia. L'étrange magie de la nuit et de cette longue marche semblait cependant gagner toute la colonne puisque même eux baissaient le ton, pour se taire bientôt.

La princesse resserra les pans de sa veste après un léger frisson, puis jeta un coup d'oeil en biais au garçon à ses côtés, se décidant à poser à son tour la question qui lui brûlait les lèvres.

— Et toi, comment as tu réagi en apprenant que tu n'étais pas seulement le prince de l'AM.Erica mais aussi celui d'Astra ? Cela doit être grisant d'avoir pour père un empereur, non ?

Theobald baissa la tête pour lui cacher son visage, laissant ses cheveux retomber sur son large front avant de répondre à mi-voix.

— Je commençais sans me l'avouer à le croire. Me transformer régulièrement en mutant tout en ne connaissant au monde que vous deux semblables à moi... Mais cela m'a fait un choc quand même. Pour autant, grisant n'est pas le mot que j'aurais employé. Je ne vous le montre pas mais... Il est difficile pour moi de me sentir déchiré. Je sais que ma mère souffre de mon absence quelque part. Et elle me manque aussi... Mais la retrouver signifierait perdre un père que j'ai l'impression d'avoir toujours voulu retrouver et aimer.

— Pardonnes moi mes paroles... se précipita Sibylle avec spontanéité. Je ne sais pas à quoi je pouvais penser en disant aussi légèrement cela...

Il releva enfin la tête et la jeune femme crut voir une larme rouler sur sa joue, sans en avoir la preuve cependant.

— Ce n'est rien. C'est juste que rien n'est jamais simple.

Ils poursuivirent en silence, et ce ne fut qu'une demi-heure plus tard que Theobald reprit la parole, alors que les ruines de la ville était bien plus près et que le vent redoublait de vigueur, soufflant sur la petite colonne sans discontinuer.

— Je... Je ne sais pas si je suis légitime pour entrer dans Ivy...

Sibylle inspira une bouffée de l'air de plus en plus froid de la nuit. Ces doutes, cette peur, d'une certaine façon elle ne l'avait jamais vécue. Parmi tous ses questionnements, elle avait la chance de s'être toujours sentie légitime, contrairement à Theobald.

— Tu es un prince d'Astra. Tu as autant le droit qu'aucune autre personne d'être présent aujourd'hui.

— Le pensez vous ?

La jeune femme ne répliqua rien, sentant que cette question s'adressait plus à lui même qu'à elle. Il lui faudrait du temps pour cesser d'avoir peur d'être rejeté par les Astrayens et si elle pouvait l'aider, elle ne pouvait à sa place faire cet effort.

— L'enfant qu'attend Saskia ne te remplacera pas dans le coeur de mon frère, si c'est ce qui te fait peur.

Il détourna la tête vivement mais trébucha sur le sol inégal, laissant ainsi percevoir combien elle avait visé juste.

— Je le sais. Enfin... Je voudrais tant en être sûr ! Cet enfant connaitra toute sa vie notre père, sera légitime, régnera à sa suite...

— Parce que tu aimerais être l'héritier de Rodolphe ? demanda avec une curiosité non voilée Sibylle.

— Non... Si. Je n'aurais plus peur de n'être pour vous tous que le fils de la reine ennemie... Pouvez vous le comprendre ? Mais d'un autre côté... J'aime ma mère. Tant que je ne peux imaginer lui infliger la souffrance de la quitter pour toujours...

— Tu devras choisir. Abandonne ton rêve Theobald.

Le prince leva sur elle un regard fier, brillant dans la paleur de la nuit.

— Que savez vous de mes rêves ?

Ils se jaugèrent quelques secondes avant que Sibylle n'hausse les épaules.

— Réunir ton père et ta mère de nouveau... Etre légitimement aux yeux du monde leur enfant sans avoir peur qu'on te reproche une part de ton origine d'un côté ou de l'autre.

L'éclair d'espoir mêlé d'une amère souffrance qui traversa le regard de Theobald fit honte à la jeune femme, qui l'avait dévisagé froidement comme si elle évoquait une certitude connue de tous. Ce n'était cependant encore qu'un adolescent de quatorze ans... A cet âge là, n'aurait elle pas eu les mêmes illusions ?

Submergée par l'émotion et brusquement incapable d'affronter les prunelles dorées du jeune homme, elle ne réfléchit pas et fit appel à ses muscles. Une sensation familière l'envahit et tout son corps se modifia, jusqu'à ce que sa forme lupine apparaisse. Tombée à quatre pattes sur le sol et couverte de sa fourrure noire aux reflets bleus, elle s'élança sans un grognement ou le moindre son en direction de Rodolphe toujours marcheur solitaire en tête de la colonne.

Un désir brusque d'échapper à une souffrance qui la submergeait la saisissait et dans son désarroi elle courrait comme dans leur enfance vers son grand frère. Ils étaient sur Astra... Elle pouvait laisser parler sa peur une fois encore et oublier la jeune femme forte !

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant