Aileen (Chapitre 15)

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Aileen ne pouvait pas quitter des yeux son fils. Elle sentait qu'il lui échappait, que sa vie entière était en train de déraper. Et, pire que tout, elle avait l'impression d'être en train de commencer à le perdre, exactement comme Rodolphe.

Son coeur la déchirait, Et elle n'avait qu'une envie : le supplier d'être raisonnable, de comprendre la signification de ce qu'il venait de dire. Quoi que le problème venait peut être justement du fait que Theobald savait parfaitement la signification de ses mots.

Les conseillers continuaient de les fixer dans un lourd silence, et lorsqu'Aileen voulut reprendre la parole, un « bip » urgent de leur table de communication les fit tous sursauter. Visiblement, une nouvelle importante venait d'avoir eu lieu.

Saisissant immédiatement ce prétexte pour laisser encore quelques secondes de répit à Theobald – et elle même –, la reine appuya rapidement sur son écran numérique en même temps que les autres conseillers. Le seul à ne pas bouger fut son fils, droit à l'autre bout de la salle, son regard doré brillant d'un feu passionné rappelant son père.

Lorsqu'elle commença à lire, Aileen faillit lâcher un juron. Astra... Encore et toujours Astra ! Les mots dansaient devant ses yeux, mais elle s'efforçait de les comprendre.

Les soldats stationné sur Astra révèlent une nouvelle pour la moins étrange et dangereuse : s'ils n'ont toujours pas capturés les fuyards eriquiens, ils viennent de lancer une attaque contre des créatures que l'on pensait depuis longtemps éliminées... Les dragons d'Astra ont survécu.

La nouvelle ne comportait pas davantage d'informations mais Aileen comprenait l'étendue du désastre. Des dragons ! Ils étaient le symbole de la planète ravagée, presque autant que l'empereur Rodolphe...

La jeune femme comprenait que les siens aient lancé une attaque aussitôt, en espérant réduire à l'impuissance les derniers spécimens, mais s'il n'y avait pas plus de détails, cela ne pouvait signifier qu'un échec.

— L'heure est grave... commença-t-elle en faisant des yeux le tour de chaque personne présente figée sur son siège. Nos soldats avaient pour mission de s'assurer qu'Astra demeure une planète déserte sous notre influence... Avec la fuite des enfants d'Astra ce n'était déjà plus le cas, mais la découverte des dragons rend la situation plus précaire encore. Que suggère le conseil ?

Le silence sembla encore plus pesant, jusqu'au moment où un grand rire ironique s'éleva, terriblement reconnaissable.

— Ah ah ! Il y a des survivants ! Savez vous ce que va en penser toute la galaxie ? Et, pire encore, les enfants d'Astra eux mêmes ? Cette nouvelle va déclencher leur retour... Car les planètes qui commencent à échapper à notre contrôle dans notre propre alliance tiennent enfin un prétexte pour se rallier à leur cause. Et chez nous même, qui acceptera un nouveau massacre même s'il ne concerne que quelques créatures qui nous sont étrangères ? Personne...

Aileen fusilla des yeux son fils de quatorze ans, tentant de s'élever mais elle était déjà debout sur ses talons hauts et ne pouvait prendre plus de place.

— Théo ! Cette nouvelle restera secrète...

— Vraiment ?

Le regard du jeune homme, même d'ici, était devenu complètement doré, couleur si peu humaine qu'elle déstabilisait toujours ses interlocuteurs.

Un conseiller âgé, celui qui soutenait toujours Aileen, se tourna vers le jeune homme à son tour pour intervenir.

— Altesse, mesurez mieux vos paroles. Le conseil peut contrôler un prince récalcitrant...

Le regard de Theobald se fit dur, et sa mère le vit serrer les poings sans pouvoir rien faire.

— Un prince eriquien. Et moi, j'appartiens autant à l'AM.Erica qu'à Astra. Je suis un enfant des deux mondes... Quel pouvoir avez vous sur moi ?

Le vieillard devint pâle et posa sa main bien à plat sur la table, cherchant visiblement à reprendre le contrôle de lui même.

— Vous n'êtes pas d'Astra... Vous appartenez à ceux qui vous ont élevé.

Le regard de Theobald revint se fixer dans celui de sa mère. Aileen y discerna une soudaine tristesse et son coeur se brisa dans sa poitrine, tant elle devinait la suite. Son fils avait conscience d'être en train de la détruire, mais il était décidé à aller jusqu'au bout.

Il releva son bras gauche bien à la hauteur de tous, puis fit un sourire calme, qui ne reflétait plus ses émois intérieurs, fixant chacun tour à tour sauf la reine.

— Voyez vous cela ?

Il ferma les yeux quelques secondes avant de les rouvrir. Sans effort apparent de sa part, son bras venait de se couvrir d'une fourrure argenté, et s'il conservait encore des doigts en contrôlant sa mutation, ceux ci étaient terminées de longues griffes acérées bestiales.

Chacun recula instinctivement, sauf Aileen qui se sentit soudain un peu plus lasse. Elle caressa d'un mouvement machinal un pli de sa robe violette, longue, et reprit la parole doucement.

— Tu portes en toi la malédiction des Astra, nous le savons tous désormais. Mais pour quelle raison leur serais tu plus fidèle qu'à nous ?

Malgré la distance, la reine eut l'impression de pouvoir deviner la douleur qui perçait désormais dans les yeux de son fils, tandis qu'il la contemplait avec un amour non feint.

— Maman, j'ai été avec vous pendant quatorze ans et je vous aime. J'ai tenté de servir au mieux l'AM.Erica durant tout ce temps, même si je n'étais qu'un enfant. Il est temps désormais que je rejoigne mon père, et que ce soit lui que je serve. N'est ce pas juste ?

Aileen n'eut pas le temps de répondre. Les mots se bousculaient dans son esprit mais elle ne parvenait à les dire, tant le sentiment de perte, de trahison et de douleur était le plus dur.

— Il a tué ton oncle ! Qui te dit qu'il ne fera pas de même pour toi ?

Le regard de son fils se fit de nouveau plus dur, sombre, Et elle devina qu'il lui échappait de nouveau.

— Et pouvez vous me dire le sort qui attend ma tante Sibylle si on la retrouve, Maman ? Mieux, ce que vous ferez à mon père s'il est capturé ? Je hais la guerre, mais je ne peux la voir comme vous tous. Ma famille se trouve des deux côtés... Je veux aider mon père, parce qu'il est juste qu'Astra renaisse.

— Et ensuite ? Car si tu pars aujourd'hui, jamais tu ne pourras revenir ! Deviendras tu l'héritier de l'empereur ? Ou choisiras tu l'AM.Erica malgré ton reniement ?

La colère faisait oublier à Aileen à qui elle s'adressait. Elle oubliait tout, les visages de Theobald et de Rodolphe qu'elle haïssait depuis la mort d'Edward se confondant dans son esprit.

— J'aimerais réunir nos deux mondes.

— Ils ne sont pas conciliables ! rétorqua avec hargne une femme aux cheveux rouges.

Theobald haussa les épaules.

— Alors je ne sais pas. Je ne suis qu'un adolescent, et vos querelles m'échappent encore. Si ma mère a aimé l'empereur, comment leurs deux peuples pourraient ils demeurer si inconciliables ? Je veux comprendre, et découvrir. Je vivrais aux côtés de l'empereur, et alors je vous dirais de qui je veux être l'héritier et suivre les traces !

Aileen recula, titubante, et un soldat se précipita pour la soutenir. Lorsqu'elle se redressa, elle était blême.

— Rodolphe m'a tout pris, jusqu'à ma joie de vivre et mes rêves. Il ne peut pas en plus te prendre toi !

Theobald ne répondit rien, se contentant d'esquisser un nouveau douloureux sourire, qui sonnait comme le pire des aveux.

— S'il faut faire cela pour te sauver... commença alors Aileen d'un ton grave qui raisonna avec force dans la salle en se redressant et s'écartant du garde, tu ne me laisses pas d'autre choix. Conseillers, soldats, je déclare à partir d'aujourd'hui Theobald d'Erica...

— Theobald Astra, le nom de mon père est dominant, coupa son fils sans plus la quitter des yeux.

Elle trembla, mais poursuivit en ignorant l'interruption.

— ... en état d'arrestation pour motif de haute trahison.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant