Aileen (Chapitre 39)

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Aileen se tenait de nouveau devant la vitre donnant sur l'espace. Elle ne portait qu'une longue chemise, la couvrant à peine, et ses yeux brillaient de larmes contenues de rage. Elle se mordait le poing pour ne pas crier.

Elle ne se sentait pas apaisée. Sa colère ne s'était pas éteinte. La seule différence était que sa fierté stupide ne se sentait plus bafouée. Mais de qui se moquait elle ? Elle n'avait pas retrouvée son indépendance d'esprit.

— Je hais l'amour.

Si seulement elle avait pu être comme tant de personnes de son entourage. Aimer par jeu, sans s'engager, sans être aussi totalitaire et absolutiste.

Il allait réapparaitre devant ses yeux. Une autre femme à ses côtés, des années plus tard... Aileen eut une pensée pour leur fils et baissa sa main, choisissant cette fois ci de se détruire les joues en retenant un hurlement.

Theobald n'était pas son enfant chéri à cet instant mais seulement une corde de sauvetage, un lien avec le père de celui-ci, un lien qu'il ne pouvait ni ne voulait rejeter.

Comment pouvait-elle penser ainsi ? Ne plus penser à lui pour ce qu'il était mais pour ce qu'il représentait. Elle prit brusquement conscience qu'elle était comme les autres. Pour elle également il était l'enfant des deux mondes.

Un léger bruit de pas la ramena au présent et cette fois-ci elle jeta un coup d'oeil à Damien qui la rejoignait. Il s'était rhabillé mais semblait terriblement gêné, sans savoir comment réagir face à elle. Il voulut venir poser une main sur ses épaules mais elle s'écarta.

Il eut un sourire triste.

— Tu ne t'es jamais donnée à moi n'est-ce pas ? Et c'est moi qui ne t'aime pas ? Me pardonneras tu un jour ce que nous venons de faire ?

Elle n'avait rien à lui pardonner, elle était à l'origine de tout. Mais aucun geste n'effacerait jamais la sensation, injuste par ailleurs, de tout le mépris qu'elle éprouvait pour lui maintenant. Elle aurait aimé un homme qui lui dise non. Alors peut-être qu'elle aurait pu envisager de commencer à le regarder autrement.

— Peu importe. Nous arrivons bientôt, retourne au poste de commandement. Je vous rejoins dans un instant. Je serai là pour encourager nos soldats, si c'est cela qui te préoccupe.

— Ce n'était pas cela, riposta t-il d'une voix fatiguée avant d'abandonner la lutte.

Elle haussa un sourcil. Elle aurait voulu quelqu'un d'assez fou pour se battre même sans espoir. Même face à un échec annoncé. Son dégoût s'accrut et elle laissa son regard revenir à la vitre tandis qu'il revenait à la porte.

— Aileen...

— Mmm ?

— Quoi que tu en penses et tu en dises, je t'aime. Peut-être juste que... Personne ne peut aimer à la hauteur de tes attentes. L'Empereur lui-même... S'il... Si tu le retrouvais, il décevrait tes rêves. Tu as une trop haute vision de l'amour.

Elle voulut répondre cette fois mais ne trouva pas les mots et il ne lui en laissa de toute façon pas le temps, quittant la pièce sans plus attendre.

Suffoquée par la surprise et heurtée par ses mots, elle songea avec un sourire douloureux que de toute évidence elle s'était peut-être trompée en partie sur son compte. Il avait cherché à la comprendre, et réussi en partie.

Peut-être en effet qu'il n'existait pas au monde un homme capable de répondre à sa soif inextinguible d'amour et sa vision de ce qu'il devait être.

Elle baissa la tête un peu plus, jetant un coup d'oeil aux mèches de cheveux bruns éparses sur ses épaules. Elle avait cru que s'il existait cet homme pouvait être Rodolphe... Mais soudain se sentait plus désillusionnée et seule que jamais.

Ce fut alors qu'elle remarqua. Ce n'était plus le vide de l'espace qui lui faisait face. Un point, infime, qu'elle n'avait pas remarqué, s'était agrandit derrière la surface de verre, jusqu'à devenir cette magnifique planète en approche.

La jeune femme se rapprocha et vint poser sa main sur la vitre froide, saisie d'une étrange fascination. Toute cette guerre, toute cette souffrance personnelle...

Aileen n'était jamais venue sur Astra. Elle n'avait jamais vu en vrai ce monde qui la séparait de l'homme qu'elle aimait, jamais distingué cette planète qui était le coeur de toutes les guerres.

Astra.

"Un jour nous retournerons chez nous. Et vous n'y pourrez rien". "Un jour JE repartirai la-bas !" Elle revoyait Rodolphe debout sur le banc de ce jardin public, étrangement détendu pour une fois, dansant sur la surface dure, les cheveux coupés trop ras par le coiffeur, le sourire aux lèvres. Si insouciant et tellement loin...

Y avait-il une place pour elle dans ses rêves alors ? Ils n'étaient pas ensemble à ce moment-là mais elle gardait distinctement à l'esprit la souffrance qui l'avait malgré tout envahie. Rien n'avait jamais été facile avec lui.

Cette impression de se battre systématiquement pour entrer un peu dans sa vie. D'en être rejetée à chaque instant, de ne pas comprendre pourquoi lui-même restait alors que dans ses mots elle ne pouvait exister.

La planète se rapprochait lentement et la noirceur de l'espace semblait la rendre étrangement brillante, la faisant se détacher dans la nuit. Aileen frissonna. Elle aurait voulu retourner dans le temps et hurler à l'enfant qu'elle avait alors eu la sensation d'être que jamais cet homme ne l'accepterait vraiment. Qu'ils pouvaient lutter tout ce qu'ils voulaient contre leurs mondes, cela ne fonctionnerait jamais entre eux.

Elle eut alors un étrange sourire. Curieusement franc au milieu de sa colère.

Elle se connaissait et savait que l'idéaliste de naguère n'aurait jamais rendu les armes, même face à un avertissement du futur ! Elle inspira, ferma les yeux, puis les rouvrit.

Il était temps de tourner définitivement la page, d'admettre un échec et d'abandonner. Elle était si incapable d'accepter un échec pourtant... Et moins encore s'agissant de sentiments.

Mais elle n'était plus une adolescente émerveillée par la vie et la beauté de l'humanité. Elle connaissait le mal dont sont capables les hommes, leurs cruautés, leurs calculs.

Une dernière fois son regard se fixa sur Astra, cette planète qui avait si bien représenté ses illusions concernant des hommes capables de justice, avant de se détourner.

Il était temps de se préparer à la dernière bataille d'une longue guerre et d'enfin y mettre le point final qu'elle méritait.

Les enfants d'Astra T5 [SOUS CONTRAT D'EDITION]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant